Portraits du mensonge

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Portraits du mensonge est une étude signée Mohamed Ait Bouzakri, publiée dans le numéro 6 de Nabe’s News (15 août 2017), et portant sur le premier tome des Les Porcs.

La vérité n’est pas relative. Elle est amour d’absolu, ce puits inépuisable qu’elle n’en finit pas de creuser pour étancher sa soif malgré la boue pâteuse du mensonge et de la suffisance érigés en fond indépassable et factice ! Elle est, selon qu’on l’omette ou qu’on la porte aux nues, celle qui brûle et celle qui irradie. Chaque homme est un combat en soi et la noblesse de la cause définit le guerrier qui est (ou qui sommeille ?) en nous. Et des combats qu’offre l’existence Nabe a choisi le sien : La Vérité ! Passant de son journal intime (que je n’ai pas encore lu car il est actuellement hors de prix et car je suis né trop tard à sa littérature pour acheter sa gerbe d’or à un prix plus que convenable, mais ça ne saurait tarder) au journal mensuel qu’il a lancé en 2003 pour trouver son apothéose dans les deux numéros du magazine Patience et dans ce gros pavé qu’est Les Porcs (Tome I).
Mais avant de parler de ce livre, un retour en arrière s’impose. Il me faut, en effet, préciser que j’avais découvert, au milieu des années 2000, quasi simultanément Nabe et Dieudonné. Les deux sont tout de suite devenus mes idoles et mes lanternes, Nabe pour son ton frondeur et son côté fonce dedans à l’éloquence redoutable, Dieudonné pour la profonde humanité de son rire et les deux pour leur soutien à la cause palestinienne contre la débâcle et la lâcheté perpétuées des régimes arabes et contre l’injustice criante du seul état « démocratique » du moyen orient : Israël.
Début Janvier 2014, Nabe publie un texte intitulé « Avertissement » dans lequel il déclare la guerre à Dieudonné ! Moi qui les croyais, du fin fond de mon quartier Casablancais, du même bord j’étais sur le cul ! Qu’avais-je loupé ? Nabe s’occupera de me le dire un peu plus tard, et plus exactement le soir du 10 Janvier 2014. Ce soir-là je suis devant mon téléviseur pour un « Ce Soir (ou jamais !) » où l’on débat à propos de la liberté d’expression du controversé Dieudonné. Au cours du débat, pendant lequel presque aucun des intervenants – sauf Jean Bricmont - ne prenait la défense de l’ogre franco-camerounais, les propos n’étaient que ressassement des discours habituels sur la dérive antisémite et les questions de fond étaient à peine effleurées. Mais cette dernière injustice n’allait pas tarder à être réparée puisque Taddeï, prenant ses invités et ses téléspectateurs de court, annonça tout à coup la venue d’un invité de dernière minute qu’il recevrait « à part » car taxé de « cerveau malade » : Marc-Édouard Nabe ! Tous aux abris ! Les invités ne savaient plus où se mettre, gesticulaient, verts, dans le plateau. Mes yeux que le sommeil gagnait au fil du débat, soudain, s’écarquillaient. Cette brève prise d’otage opérée par le terroriste Nabe s’abattit comme un tonnerre de parole vraie pendant laquelle il asséna autant de coup au couple Soral/Dieudonné, qu’aux invités de l’émission qui leur refusent, sous prétexte d’antisémitisme, toute liberté d’expression.
« Il y a une exploitation de la Shoah mais il y a aussi une exploitation du 11 septembre » asséna Nabe d’emblée, puis il enchaîna en expliquant comment, Dieudonné, par la funeste influence de Soral, avait cessé de rire complètement et se plaçait avec ce dernier à la tête d’une meute qui trouvera dans le « Complot » la cause profonde du mal qui ronge son époque, la réponse ultime, celle qui se trouve au-dessus du soleil lui-même. Il s’agissait dorénavant, derrière la goguenardise et la provocation incitant à faire réfléchir, d’une entreprise (au passage lucrative) de transformation de la réalité. Et plus le système clouait Soral et Dieudonné au pilori plus ils gagnaient en légitimité auprès des rangs de plus en plus grandissant de leur fans assoiffés, à juste titre, de paroles libres. Forts de leur posture de martyrs et de résistants aux dominants, ils se permettaient d’insuffler dans les esprits des militants acquis à leur cause leur dogme pourri, défaitiste et falsificateur de la vérité : le conspirationnisme.
Moi qui prêtais délibérément peu d’attention à Soral pour son ambition politicienne française parlant moyennement au Casablancais que je suis, j’ignorais les dessous des accointances que pourrait avoir avec ses thèses un Dieudonné, humaniste au plus haut point. Par la suite, je m’obstinerai à voir dans l’adhésion de Dieudonné au Parti Anti-Sioniste une énième performance visant à bien faire chier ses détracteurs, une espèce d’acte artistico-politique visant à élargir le champ de l’expression libre et ainsi celui du risible…Mais je me trompais visiblement.
Suite à l’émission de Taddeï, les spéculations et les injures allaient bon train sur internet. Une vidéo de Soral crachant avec véhémence et mépris, criant au baissage de froc. Nabe et Dieudonné demeuraient silencieux. J’étais, pour ma part, confus et tiraillé intérieurement entre les éclats de rire Dieudonnesques et les envolées Dantesques de L’Homme qui arrêta d’écrire.
Pendant les longs mois qui suivirent l’annonce du 10 Janvier la tension était à son comble, et à l’insoutenable attente de ses fans Nabe répondait patience, patience… Patience ! 1er du nom voyait le jour en décembre 2014. En couverture, Nabe châtiait Soral et Dieudonné aussi poétiquement qu’ils l’avaient châtié dans la bande dessinée « Yacht People » pour son prétendu ralliement à la bienpensance. Et dans le corps du magazine, une partie de l’insoutenable vérité que les deux acolytes ne sauraient voir car elle était incompatible avec la logique d’un « Empire » omniscient tirant toutes les ficelles imaginables.
Arriva Les Porcs, en juin 2017, dont les impacts sont encore en gestation et qui promettent d’être considérables pour toute personne de bonne foi lisant les pages de cet auteur qui n’en manque pas. Pour les autres suffit l’enfer qui les consume en bafouillage, argumentation, faits faiblards et contrefaits défaits et qui doit les consumer jusqu’à ce qu’intime conviction s’en suive. Mais n’est ce peut être que trop d’espoir ?
Mille pages habillées en noir (1000, M en latin, ۱۰۰۰ en arabe… on ne le dira jamais avec assez de signes venus du monde entier pour appuyer l’ampleur de l’ouvrage en tant qu’objet d’écrivain artisan du livre) qui nous entraînent à voir les soubassements de la transformation d’une large palette de personnages romanesques et bouillonnants de vie. D’ailleurs, et d’autres articles l’ont pointé avant le mien, on ne sait comment lire ce livre qui semble être un roman véridique déguisé en pamphlet. On y voit des personnages, aussi connus que peu connus, jouant la première partie d’une tragédie (du Mensonge) dans laquelle ils mettent progressivement à mal la Vérité –personnage principal devant celui de Nabe, cet éternel arrogant !- sous l’œil attentif, patient puis éberlué du narrateur. L’œil pénétrant et les incisives coupantes, j’imagine, auront tout loisir à se déployer dans le Tome II.
Dans ce récit des dix premières années du 21ème siècle vues par l’œil avisé d’un auteur qui a compté (oui, mais il ne faut pas le dire), qui compte (pas assez, hélas !) et qui comptera toujours (on attendra peut être qu’il soit mort de plusieurs décennies pour sanctifier à sa gloire la rue de la Convention, où il a habité), Nabe érige la sincère ambition de la recherche de la vérité en unique chemin vers une vie précieuse et juste. Beaucoup aimeraient donner du sens à leur existence mais il est plus facile de ne pas se bouger le cul. La réalité est-elle si difficile à saisir ? Oui, car il faut y travailler. A la lecture des Porcs on est saisi par la volonté de voir plus claire en notre existence, et par nos propres mots, de même que Nabe voit -et nous avec lui- plus claire en la sienne propre, débusquant les pièges et les faux semblants dont la vie et les hommes sont féconds. Il analyse particulièrement l’amitié, ce sentiment problématique qui lui aura décidément fait faux bond jusqu’au bout tant ses amis se dévoilent sous un monstrueux visage dès que leur ambition prend le pas sur leur prétendue amitié (Soral dans Les Porcs voulant rallier Nabe à son ambition politicienne ou bien, et bien avant lui, Zagdanski voulant se donner de la consistance en tant qu’écrivain en piétinent son talentueux meilleur ami). Il faut dire aux personnes qui côtoient Nabe autrement que pour s’en inspirer que ce personnage bien réel n’est ni utile à leur accession à un quelconque trône de reconnaissance qui les ferait baver, ni enclin à servir une quelconque cause politicarde mobilisatrice des masses qu’il déteste dans leur attroupement aveugle et moutonnier. Il faudrait presque écrire une notice et la distribuer à tous ceux qui veulent l’approcher de trop près pour les mettre en garde contre le risque de sombrer dans la profondeur de leur démence mise à la lumière du jour.
Les seuls rapports qui trouvent finalement grâce aux yeux de Nabe dans ce livre sont finalement ceux basés sur la franchise, qu’importe que les personnages soient de son bord lumineux (dans Les Porcs : Besson, Taddeï, Vergès, Carlos, Bouteldja, Ramadan), du bord crapuleux (Kouchner, Elisabeth Lévy, Lanzmann) ou d’aucun des deux bords mais ne témoignant d’aucune dissimulation, demeurant cohérents et frontaux (Villepin et Littell).
Les Porcs est un livre qui sera minimisé et dédaigné par ceux-là mêmes à qui il est adressé en premier lieu, mais en attaquant l’insignifiance d’un livre qui leur est « consacré » (loin de là) ils avoueront leur propre insignifiance bien réelle.
La vérité rend libre mais elle exige aussi d’être libre de la dire. Soral et Dieudonné ont troqué leur liberté contre la création d’un système parallèle, et je m’aventurerai à dire qu’ils ont fait ce choix par un semblant de conviction, pour faire front au système qu’ils combattent. Mais au final leur système utilise les mêmes outils et souffre des mêmes limites que celui de leurs ennemis : un dogme autoritaire auquel on ne peut pas déroger quitte à minimiser, voire dénaturer des faits réels. On pourrait presque, j’ai bien dit presque, pardonner à une dictature qui aurait pour fondement la promotion de la Beauté, mais soutenir un mouvement qui fait commerce du Mensonge et consacre la défaite des masses au profit d’un « Empire » surpuissant et indéfectible est presque criminel envers sa propre intelligence.

Mohamed Ait Bouzakri