Akira Kurosawa

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Akira Kurosawa

Akira Kurosawa est un réalisateur japonais né le 23 mars 1910 et mort le 6 septembre 1998 à Tokyo.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que Kurosawa, Fellini, Dino Risi, Maurice Pialat, Mario Monicelli, Rainer Werner Fassbinder etc., étaient vivants à l’époque où le jeune Nabe découvrait le cinéma en salle à Paris, et que leurs films sortaient en même temps que les navets de Gérard Oury, Éric Rohmer, Francis Girod et autres Claude Zidi. On ne se rend plus compte que dans les années 1970/1980, il était naturel pour un cinéphile d’aller voir le « dernier » Kurosawa au cinéma de son quartier à l’instant même de sa sortie. C’est beaucoup plus tard, et grâce à Internet, que Nabe découvrira certains Kurosawa qu’il lui avait été impossible de pouvoir voir auparavant. Son intérêt pour le grand cinéaste shakespearo-dostoïevskien ne s’est jamais démenti puisque jusqu’en novembre 2019, grâce à Amaury Brelet de Valeurs Actuelles, on a des traces de ses visionnages kurosawaïens :

« Tandis que sa perche refroidit, Nabe le volubile défait le monde, raconte Larmes de clown, film américain muet de Sjöström, Un merveilleux dimanche, film japonais méconnu de Kurosawa et les “chefs-d’oeuvre” du cinéma scandinave...[1] »

Citations

Nabe sur Kurosawa

  • « Lundi 7 octobre 1985. – [...] Je vois enfin Ran, sorti il y a quelques semaines. Le film s’est fait descendre de partout. C’est la nouvelle mode de laisser les souris s’attaquer aux montagnes. Les minus de la critique se croient courageux de dénigrer les œuvres de monstres comme Kurosawa, Fellini, Orson Welles... Encore une fois ils se trompent. Comment faire confiance à un triple-connard qui joue au “non-conformiste” en encensant le navet d’une peine-à-filmer sous prétexte que personne ne le connaît, et qui crachouille sur l’œuvre d’un grand artiste qui n’a plus à faire ses preuves ? Qu’ils en trouvent des cinéastes comme Kurosawa ! Kagemusha m’avait fait un peu chier, mais ce n’est pas grave. Dans sa veine médiévale, Kurosawa aussi a le droit d’évoluer. Pourquoi resterait-il figé — c’est le cas de ne pas le dire — dans un “expressionnisme baroque” à la Sept samouraïs ?
Dans Ran, tout est ralenti et kitsch, naïf et coloré “fluo” comme notre époque. Vieillard ou pas, un grand artiste absorbe toujours les ondes de son temps, pas celles de son “bon vieux temps”. Ran est puéril comme un film des années 80, mais quelle puérilité grandiose ! J’ai lu : “Il ne suffit pas d’enregistrer le frottement d’une robe sur le sol pour provoquer l’extase”. Eh bien si ! Quand c’est l’auteur de Rashomon (avec Dodes’ Caden mon film préféré de lui) qui place le micro près du moindre ourlet frottant, c’est à coup sûr l’extase ! Je pourrais en énumérer cent de moments extatiques dans Ran ! Les costumes, les décors, les cieux (il filme les nuages comme un dieu), et le vent ! Qui sait filmer le vent ? Et en silence ? Le silence du vent ! C’est tellement facile de faire la fine bouche devant les batailles muettes et musicales à la fois, délibérément épinaleuses, ou de croire Kurosawa trop gâteux pour ne pas en avoir rajouté exprès sur le vert des près et sur le rouge du sang, et ne pas avoir pensé le chaos (Ran) comme une lente destruction métaphysique et irréelle... Quand, entre deux nuages de fumée, il montre un soldat qui pleure d’effroi en brandissant son bras gauche coupé, ça aucun cinéphile ne le remarque.
Ran est une autre variation kurosawaïenne sur Shakespeare. Comme Orson Welles, il fait ce qu’il veut avec Shakespeare ! Un journaliste du Nouvel Observateur se permet d’apprendre à Akira Kurosawa ce qui est shakespearien et ce qui ne l’est pas ? Je crois rêver !
La façon dépouillée et faussement toc que Kurosawa a choisie pour raconter Le Roi Lear est parfaite : on s’attendait plutôt à un film comme Le Château de l’araignée, là on n’a “que” la toile de l’araignée ! Le château s’effondre sous l’assaut des fils du seigneur barbichu, mais quand il en sort, hagard, ayant tout perdu et qu’il va cueillir des fleurs dans la lande agitée par le vent, heureux d’être devenu fou (“Dans ce monde fou, devenir fou c’est être sain d’esprit” dit son bouffon), on est de plain-pied dans le sublime.
Ça vaut hautement le coup de “supporter” ce “non-évènement”, ce “ratage” d’un ex-grand cinéaste emphatique (comme ils disent), pour voir au moins deux moments inoubliables. D’abord, cette scène où la “justicière”, après avoir poignardé un des deux frères du roi, vient pour poignarder l’autre et se contente de lui érafler le cou avant de lécher sa plaie et de le violer ! J’ai pensé au beau remake que ça ferait de l’assassinat de Marat par Charlotte Corday !... Et puis, à la fin, le châtiment de cette même femme qui a tout détruit. Comme c’est filmé ! À soixante-quinze ans, le vieil Akira ne tremblote pas ! Les soldats déboulent dans la chambre de la “renarde”, ils l’insultent, elle est assise, l’un d’eux dégaine son sabre, l’autre se déplace de façon à la cacher et schlack ! Il la décapite ! On ne voit rien, on voit tout, en une seconde. Le geste et le son. Le son surtout, le son du sang qui gicle sur le mur en face et qui dégouline ensuite, inondant l’écran d’un rouge chaud somptueux. Un hennissement de cheval au loin, et c’est fini. Pour ça, rien que pour ça, Ran vaut la peine d’être vu vraiment. » (Tohu-Bohu, 1993, pp. 1272-1273)
  • « Mardi 19 juin 1990. — [...] Je vais voir Rêves de Kurosawa. Les dreams du vieux samouraï ne sont pas du tout freudiens ! Et pourtant, il y aurait de quoi les divaniser. C’est la grande force mystérieuse de tout ce qui est asiatique (comme de tout ce qui est arabe, d’ailleurs) : l’impossibilité de psychanalyse. Y a pas d’entrée pour ça. Le symbolisme a fermé d’avance toutes les portes de l’inconscient.
Dans le premier rêve, Kurosawa se revoit petit garçon. Il pleut tout en faisant soleil : c’est ce jour-là que les renards s’accouplent, derrière l’arc-en-ciel, mais interdiction de les regarder lui dit sa mère. Bien sûr, il va aussi sec sous la pluie dans la forêt aux grands arbres embrouillardés de bleu et, d’un nuage de vapeurs, apparaît une procession : les renards ! En lente cohorte, ils avancent vers le gosse qui rentre en courant chez sa mère : elle l’engueule, surtout que les renards lui ont laissé quelque chose pour le punir d’avoir désobéi : une épée pour se faire hara-kiri ! Voilà tout ce qu’il mérite, le petit voyou. “Va t’excuser !” dit la mère, et le petit Kurosawa, avec son poignard, se perd dans un champ de fleurs avant de trouver l’entrée de l’arc-en-ciel...
Deuxième rêve : le jour de la fête des poupées, le petit frère de ses sœurs qui se préparent à jouer s’aperçoit qu’il manque une des petites filles. En fait, c’est dans sa tête. Elle n’existe pas donc lui apparaît et c’est elle qui l’entraîne dans la campagne devant l’empereur et sa cour au grand complet coloré sur les terrasses d’une colline. Le gosse se fait engueuler parce que ses parents ont coupé les arbres en fleurs du verger et les âmes de ces arbres râlent. Lui était contre, il pleure : l’empereur pardonne à l’enfant le crime de ses parents et tous dansent dans les fleurs retrouvées, avant de disparaître comme dans un rêve...
Troisième rêve : c’est une expédition montagnarde. Les alpinistes soupirent en montant péniblement dans la neige la nuit. Quelle angoisse ! C’est la tempête, et le chef de cordée n’arrive pas à stimuler ses compagnons qui ne pensent qu’à dormir. Il ne faut pas dormir. C’est la mort ! D’ailleurs, la voici : la fée de la Mort, du Sommeil et du Froid. Toute belle, elle le couvre de ses guirlandes et paillettes. Le chef est pris dans ses filets, au ralenti, elle a les cheveux dans le vent. Superbe apparition-disparition de la refroidisseuse fantomatique dans le ciel enneigé, virevolante...
Quatrième rêve : un capitaine de retour de la guerre du Pacifique rentre chez lui. Dans la campagne, il tombe sur un tunnel gardé par un chien méchant. Au bout du tunnel qu’il traverse, lui apparaît (toujours) un de ses soldats morts qui se croit encore vivant bien que très blafard. Le capitaine le persuade de retourner dans le tunnel des morts, mais les voilà qui surgissent, les morts ! Toute sa compagnie anéantie avance du fond du tunnel au pas vers le capitaine survivant... Il est très gêné, se sent fautif, jure qu’il souffre aussi de vivre encore. Il vaut mieux être mort. Il leur ordonne de faire demi-tour, de renoncer à revivre et les soldats obéissent, toujours au pas, s’enfonçant à nouveau dans leur tunnel...
Cinquième rêve : un jeune peintre japonais en herbe admire des tableaux de Van Gogh au musée. Il entre dans l’un, Le Pont de Langlois, et demande aux lavandières arlésiennes — en français — où se trouve M. Van Gogh... IL cherche un peu en traversant une nature vangoghisée où les maisons ont des murs verts et des briques roses, les charrettes des roues rouges, et où les toits sont tordus... Le voilà ! Van Gogh, tout roux avec son pansement à l’oreille, travaille dans un champ de blé, antipathique et fiévreux (c’est Scorsese qui l’incarne !) : il explique — en américain — à son fan qu’il peint comme une locomotive (ses phrases sont tirées des lettres à Théo, bien sûr) et laisse le Japonais en plan pour se perdre parmi les corbeaux. Le jeune peintre n’a plus qu’à visiter d’autres tableaux. Seule idée marrante, l’explication que Van Gogh donne de son oreille coupée : “Je peignais un autoportrait et comme je n’arrivais pas à faire mon oreille, je me le suis coupée !” C’est du Andréa de Bocumar !
Sixième rêve : panique au pied du mont Fuji en feu ! La foule fuit : la centrale nucléaire aux six réacteurs a explosé et brûle de tout son rouge... Ça y est, c’est la fin. Les affolés se sont tous jetés dans l’océan. Quelques survivants avec des enfants attendent les nuages mortels (chacun — le noir, le jaune et le violet — provoquera une mort particulièrement atroce). Les technocrates de la radioactivité sont maudits : l’un d’eux demande pardon et se jette à l’eau.
Septième rêve : encore un survivant de la catastrophe atomique. Il erre dans la désolante lande embrumée qu’est devenue la Terre. Le “dernier être humain” rencontre un ancien être humain qui lui raconte comment était le paysage avant la bombe H qui stupidement encendra tout. Il n’est plus un homme, mais un démon ricanant comme quelques autres à qui des cornes ont poussé plus ou moins douloureusement sur la tête et se mangent eux-mêmes pour échapper à la malédiction suprême : continuer de vivre ainsi, à perpétuité !...
Dernier rêve (ouf !) : plus de monstres, de fumée, de sang et de nuit noire. La campagne rossignolesque avec ses moulins à eau et sa rivière rafraîchissante. Le vieillard du village explique qu’ici ils n’ont besoin ni d’électricité, ni de mécanique, ni de combustible. Le luxe, c’est d’être pur. La Nature, c’est le vrai progrès. Tout le reste est souillure. Le vieillard se rend à l’enterrement de sa première fiancée (99 ans), c’est une vraie fête de célébrer une vie saine bien remplie : aucune raison d’être triste. La cérémonie est carnavalesque : la procession d’enfants et de vieux avance au milieu des moulins, tubas, tambourins, clochettes, chants, rires, pétales...
Mon rêve préféré — et si mon préféré était le meilleur ? — est celui de la tempête de neige : c’est le plus artificiel et le plus mystérieux aussi. La symbolique est la moins appuyée grâce à la féérisation du tournage en studio. La déesse de l’engourdissement est digne d’une véritable apparition mariale et Kurosawa ne tombe pas, il monte. Dans les autres rêves, il va trop dans le discours sincère mais démago de la destruction de la nature par les vilains hommes... Les trois derniers rêves sont vraiment cuculs. Le premier est bien parce qu’il est “grimmique”, je dirais : une cruauté de contes pour enfants nimbe ce rêve (la mère qui donne à son fils de quoi se suicider), et celui sur le capitaine qui renvoie ses troupes en enfer est excellent : le “message” est un peu trop intelligible mais il ne gêne pas trop l’idée (piquée au J’accuse de Gance ?)... Finalement, le plus décevant, c’est le Van Gogh : tout le monde en avait parlé mais Scorsese en Vincent (“Yep !”), ça ne passe pas... Et pour animer des tableaux, Jean-Christophe Averty est meilleur que Kurosawa !
Moi, je peux dire ça ! Moi, j’ai le droit d’être déçu par un film de Kurosawa parce que je l’adore et je l‘adore parce que je le connais. Un vieux génie a le droit de retomber en enfance. Tout gaga écolo écœuré primaire qu’il soit devenu, Kuro est Kuro et ça se voit. Même si je soupçonne que l’influence de son producteur Spielberg n’est pas pour rien dans la puérilité bien-pensante de cette série de sketches fantasmatiques, je suis content pour lui que Kurosawa ait réussi, à plus de 80 ans, à faire ce film. » (Kamikaze, 2000, pp. 3757-3760)
  • « Kurosawa a réussi à transmettre la juste vision de toute éternité d’un véritable artiste à la fin de son film Le Château de l’araignée quand le seigneur est harcelé par une foule d’archers qui le crible de flèches... Le général Washizu finit piqué de partout jusqu’à ce qu’une flèche lui transperce la gorge, et il a encore la force d’essayer de sortir son sabre pour en découdre avant de s’écrouler dans la poussière et le brouillard, mort. » (Le Vingt-septième Livre, 2009, pp. 42-43)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Amaury Brelet, « Censure, Zemmour, antisémitisme... Rencontre avec Marc-Edouard Nabe, l’écrivain le plus sulfureux de France (1/2) », Valeurs Actuelles, 16 février 2020, lire : https://www.valeursactuelles.com/culture/censure-zemmour-antisemitisme-rencontre-avec-marc-edouard-nabe-lecrivain-le-plus-sulfureux-de-france-12-116116