Mon meilleur ami

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Couverture de L’Infini n°70

Mon meilleur ami est un texte de Marc-Édouard Nabe publié dans la revue L’Infini (numéro 70), dirigée par Philippe Sollers, en juin 2000.

Je viens de perdre mon meilleur ami. C'est un grand garçon goguenard aux grandes oreilles et débordant de jovialité. Il parle fort et rit violemment. Il porte des lentilles de contact, des chaussettes Burlington et des chemises roses. Très intelli­gent, il est plus malin encore. Mon meilleur ami croit que je suis son meilleur ami, mais c'est lui qui est le mien.
Mon meilleur ami est si grotesque, si immature, prétentieux, parano, fébrile et myope qu'on pourrait croire que je parle de moi quand je parle de lui, et lui-même ne manque pas de voir de la projection dans tout ce qu'on peut dire de lui et qui l'indif­fère, d'après ce qu'il prétend. Pourtant, hélas, il y a si peu de vrai dans ce que mon meilleur ami pense des autres et de lui-même, qu'il est de mon devoir de parler.
Si je me charge de sauver l'âme de mon meilleur ami en révélant toute la richesse de sa nature, c'est que j'ai beaucoup d'affection pour lui. Je ne peux pas laisser ce soin à un autre, pour la simple raison que mon meilleur ami n'a qu'un seul problème : moi.
J'ai longtemps voulu ignorer cette obsession, afin qu'elle ne gâche pas les bons moments passés ensemble, et lorsque mon meilleur ami a écrit enfin ce qu'il pensait de moi et de mon travail, il a bien fallu me rendre à l'évidence. Je suis son enfer. Qu'est-ce qu'il devait être mal à l'aise à feindre l'amitié et l'admiration pour celui qu'il considérait comme son meilleur ami ! Quelle culpabilité retournée comme un gant par l'arrogance ! Quelle gymnastique yoga-zen pour me haïr de si près ! Que tout cela semble démodé, mais que tout cela est passionnant !
Car si « l'affaire meilleur ami » peut m'aider à aller plus profond dans mes recherches psychologiques, tant mieux. Elle tombe au moment où je m'interroge le plus sur l'importance de l'affectif. Toute la société contemporaine aimerait ne parler que de ça, car c'est la seule chose qui ravage encore secrètement les esprits. Je suis très optimiste sur la tournure des événements affectifs. Bientôt, les individus ose­ront dire que leur vie n'est envahie que par ce lierre : le sentiment. Les vrais triom­phateurs du XXe siècle seront ceux qui n'auront pas honte d'exprimer leurs senti­ments, leurs ressentiments, et qui en tireront un enseignement.
On est loin de mon meilleur ami et pourtant si proche dans sa moiteur de martyr hilare, dans sa douleur d'autohypocrite malfaisant, dans sa très intéressante terreur.
Quand j'ai connu mon meilleur ami, il avait des crises de nerfs dorsales. Il tres­saillait comme sous des coups de poignard dans le dos qui le terrassaient et lui fai­saient faire d'atroces grimaces comiques teintées de haine. C'est là que nous aurions tous dû comprendre qui était mon meilleur ami. Quelqu'un qui sent son propre moi impuissant et envieux lui donner rageusement de petits coups de couteau par-der­rière, pour le punir d'être incapable de jouir. Faire semblant, simuler, tromper, leur­rer, induire en erreur pour mieux ricaner ensuite comme un canard qui ne s'aperce­vrait pas qu'on lui a coupé la tête, telles sont les compensations orgasmiques de mon meilleur ami.
Je n'imaginais pas que mon meilleur ami souffrait à ce point de mon affectueuse présence. C'est ma faute. J'aurais dû faire attention à ne pas être aussi sincère et confiant : il prenait ça pour des leçons de morale et pour de l'envie de ma part !... Mon meilleur ami me reprochait d'être trop généreux avec tout le monde. Je l'étais aussi avec lui, ça ne semblait pas le gêner que par indulgence je l'aie laissé croire qu'il était écrivain comme moi. Sacré meilleur ami ! Je n'ai pas eu le coeur de lui dire qu'il est « un gentil garçon », comme dit de lui le meilleur écrivain français vivant. Sympathique, trop sympathique. Un cultivé rigolard et doué qui aime lire et vivre dans les livres des autres, bref un homme de lettres, comme la France qu'il aime tant en compte depuis des siècles.
La vanité de mon meilleur ami est d'autant plus forte qu'il la cache dans son ventre. Il la protège et l'étouffe comme un enfant qu'il porterait toute la journée, et qu'il délivrerait en rentrant chez lui. Il est perpétuellement engrossé par sa préten­tion et, le soir, il en accouche dans le sang et la merde, ça doit être horrible. Et, le lendemain, ça recommence. Pauvre meilleur ami ! Comme tout est faux chez lui, il passe son temps à faire passer sa vanité pour de l'orgueil, comme une femme se croit enceinte, alors qu'elle fait une grossesse nerveuse, mais l'orgueil ce n'est pas ça, meilleur ami, ce n'est pas ça.
Souffrir n'est pas un péché : c'est ce que la Bible n'a pas appris à mon meilleur ami. Lui préfère faire semblant de ne pas souffrir, car il se croit libre de tricher avec lui-même. Quand il se vante de n'avoir connu qu'une souffrance, celle d'avoir été obligé de rester toute une nuit assis, plutôt que couché, dans un train, il fait sem­blant d'en rire, mais l'impuissance à souffrir, inconsciemment et consciencieusement, fait son chemin. Ah ! l'inconscient de mon meilleur ami ! Il ne pense jamais qu'à celui des autres. Le sien, il nous fait croire qu'il s'en moque avec pudeur, mais non il ne le maîtrise pas, tout simplement. Amoureux de son cerveau (dix auto-coups de foudre par jour ne suffisent pas à épuiser la redécouverte toujours plus éberluée des fulgurances de son organe crânien), il ne sait pas à quel point les autres, intelligents ou idiots, voient clair dans son inconscient jaillissant comme par les trous d'une passoire, par tous les pores de sa peau rosée d'autosatisfaction feinte.
Pour mon meilleur ami, toute personne qui n'est pas de son avis est un antisé­mite, un homosexuel, ou un Français. Mon meilleur ami ne comprend rien à (en vrac) : la musique, la nature, la mer, la pénétration, les nuages, les animaux, et bien sûr la littérature qu'il croit dominer par sa culture livresque. Mon meilleur ami a fait croire qu'il était né écrivain, mais il n'a commencé à avoir l'idée de le devenir que lorsqu'il s'est abonné à L'Infini.
Mon meilleur ami est un bourgeois de Louveciennes qui aurait fait un excellent bibliothécaire, il aime tellement lire ! Il croit que lire, c'est écrire, alors que c'est savoir lire qui est savoir écrire. Mais savoir écrire n'intéresse pas mon meilleur ami. Il n'a besoin des conseils de personne, mais les demande sans arrêt pour en tirer profit et les retourner dans une volonté manifeste de nuire à tous ceux qui osent lui en donner, sincèrement, dans son intérêt. La sincérité n'est pas le fort de mon meilleur ami.
Il est surtout copieur dans l'âme. Il a mélangé le style du meilleur écrivain fran­çais vivant et celui de son meilleur ami, et personne ne se décide vraiment à rendre compte de la supercherie car beaucoup, parmi les ennemis du premier et du second, ont intérêt à occulter ou à dénigrer la personnalité de ces deux-là, au profit de la cuistrerie fabriquée de mon meilleur ami. Les femmes lucides appellent mon meilleur ami « le cache-sexe » des esprits pénétrants.
Incapable d'écrire sans dictionnaire, il est fier de ses misérables allitérations qu'il va chercher dans celui des synonymes, comme il fouille du bout de la langue les cons des amatrices par défaut de ses cunnilingus. Ainsi mon meilleur ami croit rattraper son infirmité poétique par une prétention au sens et à la pensée, mais sa « pensée », qu'il jette à la figure de qui a le sens du son qui lui fait cruellement défaut est vite comprise : la haine de la France, point. « Je pense, donc je hais la France. Je hais la France, donc je pense. » C'est pas mal, mais un peu court. Surtout quand on sait quelle idée raciste mon meilleur ami se fait du Français : est français tout ce qui n'est pas lui, alors que lui est le plus français de nous tous, dans ce qu'il reproche au Français : lourdeur et insensibilité, arrogance, bêtise psychologique et cécité narcissique.
Mon meilleur ami n'a aucun courage, cela va sans dire. Il appelle un chat une souris. Il ne dit jamais ce qu'il pense à personne, et fait croire à tout le monde qu'il n'en pense pas moins. Il ne dit sa vérité que dans ses livres, et cette vérité l'accable. Le masque soudain tombe. L'aigreur bien retenue dans la vie sourd comme du pus de ces ouvrages vulgairement hargneux. Oui, il a la méchanceté vulgaire, mon meilleur ami. C'est comme ça.
Dénué de toute psychologie, mon meilleur ami se croit le maître de l'ironie, sa clé préférée. Il devient touchant de naïveté quand il croit que les autres sont aussi enfer­més dans l'ironie, alors qu'ils disent exactement ce qu'ils pensent, surtout en ce qui le concerne. En particulier les femmes, qu'il croit séduire par son charme, alors qu'il n'y parvient que par sa gentillesse. Il les méprise trop pour jouir avec elles. En trou­vera-t-il une, un jour, assez bonne pour passer l'éponge sur son indifférence fondamentale ? Rien de moins sûr, quand on voit agir en direct son antisentimentalisme mielleux par lequel il sucre son mépris. Mon meilleur ami n'aime pas les femmes, il aime l'effet négatif que peut faire une femme sur des hommes, autant dire, des Fran­çais. Voilà pourquoi il fait semblant, jusqu'à les gruger, de s'éprendre d'Africaines, croyant choquer le Français blanc en les embrassant à pleine bouche devant lui.
Mon meilleur ami se comporte avec les femmes étrangères comme avec les auteurs de la Pléiade. C'est par complexe qu'il les triture. Personne ne lui a dit à quel point il était gênant de le voir se tortiller pendant des années, d'une façon trop ostensible pour ne pas être louche, avec une épouvantable Brésilienne dont il valori­sait la laideur, dans un mouvement de masochisme sadiquement retourné à son désavantage. C'était à moi de le lui dire. J'ai eu tort de ne pas le faire.
Mon meilleur ami veut donner l'impression d'un célibataire handsome, fair-play, toujours de bonne humeur, décoincé, déconnant, et qui, par pudeur, cache son sérieux d'« écrivain » sous une affabilité bon enfant. Hélas, quiconque a un peu d'oreille entend le grincement de doute dans cette voix qui se prétend celle d'un stentor alors qu'elle est la gueulerie mal contrôlée d'un castré de la vie notoire qui hurle pour cacher les gémissements de son manque. Plusieurs fois, nous avons, nous autres ses amis, essayé de lui faire entendre sa voix, mais mon meilleur ami est sourd à lui-même comme aux autres. Et même si on arrivait à le convaincre que sa voix est horrible, il hurlerait encore pour mieux couvrir la subtile musique de la vie. Il a préféré augmenter son volume, plutôt que de mettre en valeur son zozotement adorable par lequel il avait une chance d'émouvoir son entourage.
Ce qui m'a le plus intéressé chez mon meilleur ami, c'est son aspect Schpountz. On sait que le personnage inventé par Marcel Pagnol m'a toujours touché par son enthousiasme grandiloquent et sa baraka blindée. Comme le Schpountz, mon meilleur ami croit que ceux qui ne croient pas en son talent sont des méchants, mais non. Souvent j'ai eu tort, par sacrifice amical, de lui dire ce qu'a travers moi beaucoup pensaient, c'est-à-dire qu'il ne touche pas assez sa bille en écriture vivante et vécue pour prétendre à la grande littérature, et que la conscience de ce manque fla­grant d'incarnation verbale, personne d'autre que lui n'a à le supporter.
Mon meilleur ami n'a pas la « fibre », ce n'est pas tragique. J'espère qu'au fond de lui il le sait. Sinon ça le serait, tragique. Quand il est tout seul dans sa cuisine, bastion héroïque du « penseur » debordo-baudelairien qui a tout compris de la bassesse et de la bêtise humaines, et que, entre deux petites séances récréatives de jeux vidéo (batailles aériennes ou mortels combats de robots) assouvies en cachette sur son ordinateur, il recopie des citations de Saint-Simon ou de Clausewitz pour gon­fler sa prose aux hormones du génie comme un poulet déjà mûr, je pense — car ça m'arrive — qu'il doit savoir.
Seul, il s'effondre. Ce manque d'énergie caché avec tant d'énergie sous les rodo­montades d'un paon dont la roue tournerait toujours, par ironie, à l'envers, devrait mettre mon meilleur ami sur la voie de la véritable humilité. Pas celle de la foi en soi, mais celle en ce qu'on fait, parce que ce qu'on fait est juste.
Tout ce que fait mon meilleur ami est faux, et plus c'est faux, plus il s'acharne. Prêt à manger dans la main qui le dégoûte si cette main lui est tendue, il est prêt à mordre celle qu'on lui tend s'il n'y a rien à manger dedans. ll pérore que les êtres ne l'intéressent pas. Sa devise, c'est : « Le premier être humain qui me surprendra aura gagné une Pléiade. »
Ah ! sa Pléiade ! C'est plutôt drôle et sympathique qu'un garçon de son âge (trente-sept ans) se promène avec des tomes de la Pléiade maltraités dans les poches de ses vestes Farnel. Y a-t-il vraiment de quoi se glorifier à ce point de lire névroti­quement en cornant comme des cocottes les pages dont il recopiera soigneusement les extraits dans son ordinateur, autant dire sa banque du sperme, et d'où il sortira en temps voulu les citations pour « pulvériser » un contemporain ? Le hic, car il y a toujours un hic pour tout ce qui concerne mon meilleur ami, c'est qu'il a un rapport auto-infantilisant à la célèbre collection de chez Gallimard. Il est impressionné par le papier bible, car il ne cesse de répéter qu'il vient d'elle (de la Bible) et croit y retourner par le papier du même nom. Comme un employé à genoux devant ses patrons, il lit les grands auteurs, et ose affirmer qu'ils sont ses amis. Proust, Céline, Nabokov, Hemingway (mais pas Dante, Cervantès, Dostoïevski, Lautréamont, Bal­zac, Vallès, Michaux, Péguy, de Gaulle) sont les meilleurs amis de mon meilleur ami. Il est dans une psychose telle qu'il croit vivre avec eux. Il se déguise en eux et pense qu'ils sont vivants grâce et à travers lui comme Anthony Perkins dans le film de Hitchcock se déguise en sa mère. Tous les génies sont des mères pour mon meilleur ami, mais il n'est que leur enfant mort-né. Les classiques se moquent de mon meilleur ami. Shakespeare, à qui il confie ses ombrageux triomphes, bâille sur son nuage. Et Homère, dont l'ouïe a été développée par sa cécité, se bouche les oreilles quand il entend mon meilleur ami hurler son nom.
Esclave volontaire de la grande tradition française qu'il envie jusqu'à se damner, mon meilleur ami ne pense, au fond, qu'en termes de classes sociales. Pour lui, il y a les bourgeois qui ont de l'argent et les génies qui n'en ont pas. Son absence totale de sens politique l'empêche de comprendre que la bourgeoisie n'est pas une question d'argent, un génie peut gagner de l'argent, et il ne suffit pas d'être pauvre pour être génial : c'est plus compliqué que cela.
Son rapport à l'argent est d'ailleurs particulier. Je ne l'ai jamais vu manquer un mendiant dans la rue, la charité est la seule chose qui puisse interrompre ses sar­casmes. Il s'approche obséquieux de l'exclu, et lui donne un franc, ou un peu plus. C'est le geste qui compte, c'est un principe. Mon meilleur ami s'excuse presque pour tous les passants qui ne donnent pas, comme lui, systématiquement aux clo­chards, car il pense que sous chaque barbe de SDF se cache peut-être le visage lumi­neux du Messie, et mon meilleur ami n'est pas du genre à prendre le risque de lou­per le Messie.
Mon meilleur ami ne peut pas supporter le moindre cadeau et, plus grave, qu'on lui paie un verre, même à charge de revanche. Il croit noble d'insister jusqu'à se battre pour payer sa part. Je l'ai vu, devant mon fils, déchirer nerveusement un billet de cinquante francs, plutôt que de me laisser payer sa consommation...
Quand le meilleur écrivain français vivant m'invite à déjeuner, ce n'est pas parce que nous sommes « amis », et pourtant nous vivons ensemble de brefs et denses moments de compréhension. Cette complicité, si douloureusement enviée par mon meilleur ami, n'a pas sa place dans l'entretien fantasmatique d'une double hypocrisie artificiellement animée par un vieux sentiment d'enfance. J'ai eu tort, par sym­pathie pour sa jubilante immaturité, de laisser mon meilleur ami me piquer mon goûter à la récré. On dirait que tous les hommes aiment se retrouver sous ce préau d'école maternelle qu'ils appellent l'amitié. Moi, ce que j'aime dans une main, ce sont les doigts, pas la poignée.
Mon meilleur ami est amoureux de moi, et, pour le cacher, il fait croire que je suis jaloux de lui. Toute la crédibilité de son imposture tient à cela, car il ne peut pas dire sans faire rire que je suis amoureux de lui. Par un effet de regard amer dans son miroir, l'homosexualité glorieusement refoulée de mon meilleur ami apparaît, écla­tante, dans les pages qu'il me consacre. En réfléchissant tout à travers la psychana­lyse (qu'il confond avec l'art de lire dans les pensées), mon meilleur ami ne voit que lui, dans le seul but de ne voir personne. Exempté de tout tourment, il se croit alors capable d'affronter seul les banales névroses d'autrui. Mon meilleur ami n'aime pas assez les gens pour les haïr ou les adorer, il est dans l'ignoble indifférence. Son éthique, c'est de mépriser toute opinion le concernant. Il appelle ça de la confiance en soi, mais quand on le voit trembler comme une feuille morte lorsqu'un souffle de vérité l'effleure, ça fait peur.
Ce qu'on sent tout de suite chez mon meilleur ami, c'est sa froideur profonde, réchauffée laborieusement par la joie de vivre factice. Mon meilleur ami est si froid au fond de lui, si frigide, disons-le, qu'on voudrait allumer un feu de bois près de lui. S'il est si fasciné par les congélations d'embryon, ce n'est pas seulement pour imiter le meilleur écrivain français vivant dans une de ses thématiques les plus personnelles, c'est parce qu'il se voit dans une éprouvette. Les paillettes ne sont pas toujours celles du show-biz. Incapable de faire circuler son émotion dans les veines de ses phrases glacées, il n'est pas encore sorti de la glace spermatique. C'est l'écrivain-éprouvette en mal de naissance. Il attend qu'on l'insémine, mais n'est-ce pas trop tard ?
On dit que les hommes comme lui ont la nuque raide. « La nuque raide », l'aura-t-on assez entendue cette expression dans sa bouche, raide aussi, lorsque sa haine froide (comme on le dit d'une viande) du lourdissime franik lui remonte du fin fond de son frigo ! Ce n'est pas seulement la nuque qu'il a de raide : son corps entier, dont il est si fier, et dont il croit que tout le monde est envieux, est très intéressant à voir bouger, surtout quand il danse. Mon meilleur ami est la lourdeur incarnée. Il danse comme un bloc de béton qu'une grue balancerait dans un chantier abandonné. Quelle lourdeur pour tant de manque ! Qu'est-ce qui peut bien lui manquer de si lourd ? La question ne reste pas longtemps suspendue, et ce n'est pas moi qui ai trouvé la réponse pour définir mon meilleur ami :
L'EUNUQUE RAIDE.