Stanislaw Witkiewicz

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Stanislaw Witkiewicz

Stanislaw Witkiewicz est un écrivain, dramaturge, peintre et photographe né le 24 février 1885 à Varsovie et mort le 18 septembre 1939 à Velyki Ozera.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

C'est à la boutique des éditions de L’Âge d’Homme à Saint-Sulpice que Marc-Édouard Nabe découvre en feuilletant un catalogue la photo de Stanislaw Witkiewicz. L'éditeur Vladimir Dimitrijević qui était admirateur de Nabe et toujours généreux avec lui, lui offre des livres de Witkiewicz, romans et pièces de théâtre. Depuis lors, l'auteur du Zigzags n'a cessé de plonger dans l'œuvre de cet écrivain et peintre (de portraits) avec qui il s'est trouvé bien des points communs. Nabe en parlera surtout dans son Journal intime.

Citations

Nabe sur Witkiewicz

  • « Mercredi 29 janvier 1986. — [...] Sa gueule est fantastique. En casquette, montrant une montre avec une expression effroyable... Witkiewicz... L’Âge d’Homme (héroïque maison) a tout publié plus des cahiers... Qui est ce type ? Je lis les titres de ses pièces de théâtre et je m’enthousiasme déjà : La Sonate de Belzébuth ; Une locomotive folle ; La Métaphysique du veau bicéphale ; Tumeur Cervykal ; La Poule d’eau ; Les Pragmatiques... Je renifle, je sens, j’ai mon radar. C’est fou comme j’ai un septième sens littéraire. Sur une simple photo je respire les ondes familières, fraternelles, paternelles... Je peux de moins en moins penser qu’il s’agisse d’un Slave mineur, un Polak chiant, antisoviétique moralisateur : pas avec cette gueule...
Immédiatement, je cours à L’Âge d’Homme où je pourlèche le rayon Witkiewicz, je parcours les romans gigantesques. J’ouvre le théâtre, me tords de joie à la lecture des noms de personnages et soupèse les cahiers. Un volume de présentation (Witkiewicz, génie multiple de la Pologne) me semble nécessaire. Je feuillette son plus célèbre roman L’inassouvissement, et un seul paragraphe, tortueux, sale et méchant, me convainc illico. Je me sens vivre un grand moment. Je sais que je suis en train d’accéder à quelque chose. Pour cent dix-sept francs, j’emporte les deux bouquins (il en reste quatorze) et me sens comme aéré : ces instants sont imprenables : personne ne saura jamais ce qui se passe en moi lorsqu’une écriture et un personnage me sont révélés. Ça va très vite : quelques informations, une photo, trois titres, deux pages, des couleurs et je sais que c’est lui, qu’il en est pour tout dire.
En une heure et demie, je deviens witkiewiczéen. Un de plus ! Inassouvi et répugnant, Witkiewicz est là. Je me retrouve dans son inorganisation métaphysique, sa parano, sa rhétorique, sa prolixité, son “pessimisme sexuel intégral”, ses théories impraticables, sa peinture aussi, ses conceptions théâtrales, sa susceptibilité, ses exaltations, sa fils-uniquerie, sa précocité, son autodidactisme, son individualisme, son catastrophisme, ses défauts... Je plonge, je plonge. L’inassouvissement est un chef-d’œuvre. Genezyp Kapen et Putricide Tengier ! Ces informations, ces parenthèses, cette lourdeur quasi powyso-proustienne… C’est si mal foutu ! Si broyé de genres ! Quel splendide mauvais goût ! » (Tohu-Bohu, 1993, p. 1451)
  • « Lundi 10 février 1986. – [...] Witkiewicz disait que le roman n’était pas un art. Un fourre-tout plutôt où il jetait des idées, des personnages, des souvenirs, les laissant mariner ensemble, faire des bulles comme dans un chaudron. L’Inassouvissement, c’est ça : des embryons d’êtres qui s’agitent sans art dans un jus puant et bouillant. Voilà pourquoi Witkiewicz veut tellement prouver qu’il est un artiste, parce qu’il n’en est pas sûr. D’où ses théories sur la “Forme Pure” et les tirages interminables et pathétiques des personnages de ses pièces, bouffonnant sur l’œuvre et son créateur. C’est la faiblesse de Witkiewicz, noyant le poisson dans les eaux polonaisement agitées de la philosophie, de la peinture, de la photographie, du théâtre... Ce qu’il perd en rigueur artistique, il le gagne en chaos. Car peu d’“artistes” ont l’amour du chaos. Witkacy, si. La confusion — source de toute trouvaille —, Witkiewicz aime vraiment ça. Il renverse tout, la chronologie, les genres, les principes, les logiques... Il désordonne ce qu’il touche. Ça c’est très beau. L’anarchie épouse l’anachronisme. J’ai vu que dans une pièce, les temps sont délibérément inversés d’un acte à l’autre pour dédoubler les personnages pris dramatiquement entre deux âges. Ça ne range pas pour autant ce Polonais délirant mais tragique dans la classe des précurseurs de l’absurde, du non-sens et autres ionesconneries... Non, Witkiewicz n’a rien d’un humoriste “fantastique”, il n’appartient pas à la grotesquerie d’anticipation simili-surréalo... Ce n’est pas un comique, et son suicide n’est pas seulement là pour le prouver. » (Tohu-Bohu, 1993, pp. 1464-1465)
  • « Mardi 25 mars 1986. — [...] Je vais me présenter enfin, après tant de chassés-croisés, à Dimitrijevic... Je ne suis pas déçu de ce premier contact. Le personnage est à la hauteur de son catalogue. Slave et lyrique, hirsute et voûté, bien illuminé... Nous causons une petite demi-heure très cordialement de mes livres (qu’il a achetés) ; de Kuffer qui me consacrera non pas une notule mais un véritable grand article dans la feuille interne que L’Âge d’Homme édite et qui est censée signaler ses propres sorties, mais qui n’hésite pas à faire l’éloge d’un livre publié chez un autre ! ; de Wyndham Lewis ; de Powys (il a fait refaire la traduction des Plaisirs de la littérature qui ne le satisfaisait pas) ; de Weininger (il a remarqué comme moi qu’il est le grand absent du come-back écœurant très mode de Vienne à Beaubourg) ; du cahier Bloy pour lequel Jacqueline de Roux lui a confié mes dessins, et surtout de Witkiewicz, sur l’œuvre de qui nous nous enflammons. Dimitrijevic trouve de merveilleux mots de grand lecteur pour parler d’une de ses découvertes les plus chères, la façon dont il attendait que ça retombe et le constat que ça ne retombait jamais, la cohérence du théâtre, de ses peintures et de leurs théories, la philosophie et le roman La Seule Issue... Je lui confesse mon propre choc witkacyien et part avec lui dans une tentative d’analyse de la profondeur psychologique de l’Inassouvi : Dimitrijevic affirme que Witkiewicz avait une connaissance très précise, anatomique, organique des endroits du corps d’où jaillissaient certaines émotions. Quel souffle de vraie littérature soudain, dans cette kermesse fétide pour gros marchands ignares !... Barrault que je vais voir me dit : “Ah ! oui, avec Dimitrijevic, nous sommes dans un autre monde, il est d’une autre trempe.” » (Tohu-Bohu, 1993, pp. 1532-1533)
Autoportrait de Witkiewicz, 1938

Intégration littéraire

Notes et références