Miles Davis

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Miles Davis, 1987

Miles Dewey Davis III, dit Miles Davis, est un jazzman né le 26 mai 1926 à Alton (États-Unis) et mort le 28 septembre 1991 à Santa Monica (États-Unis).

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Le 22 octobre 1986, en plein festival de jazz à Nancy, Marc-Édouard Nabe passe la soirée, accompagné de sa femme Hélène Hottiaux, avec Miles Davis, dans sa chambre d’hôtel, où le musicien et l’écrivain ont dessiné ensemble pendant près de trois heures avec le matériel de dessin de Miles. L’épisode est raconté en détail dans Inch’Allah :

« Hélène montre un vif intérêt pour sa pratique graphique, alors Miles, qui ne doit pas tomber souvent sur des gens aussi sincèrement concernés par le dessin, nous sort, à la fois timidement et fièrement, tout un paquet de carnets de tous formats. On voit tout de suite que ce super hobby lui tient à cœur. Il doit apprécier, sans se soucier de ma culture davissienne, qu’aucun de nous deux ne le considère ce soir comme un musicien. Le dessin, c’est son truc, là où “il se surprend lui-même” dit-il. Bientôt, le lit est recouvert de cahiers. “Tu veux vraiment voir mes dessins ?” lance-t-il chaudement à Hélène, en la tirant par les bras et en la couchant sur les feuilles mélangées comme des vagues de lignes aux couleurs électriques. Sans grande personnalité de trait, ses dessins sont comme la transcription schématique et très édulcorées des envols mélodiques de sa trompette. Je connais, pour les éprouver moi-même, les limites du violon d’Ingres. Il existe une peinture de musicien (Django) comme il existe une peinture d’écrivain (Hugo). Hélène remarque, narquoise, la prédominance des partouzes de femmes dans ces dessins arachnéens. Pour prendre en défaut cette Blanche à l’adorable aplomb, Miles désigne à Hélène un phallus perdu dans la foule des femelles.
De mon côté, je dessine la tête de Billie Holiday aux multiples couleurs, ce qui n’est pas la méthode de Miles : il me dit ne jamais utiliser plus de deux couleurs à la fois. Risquant le tout pour le tout dans la provocation passéiste, je descends un brouissaleux portrait de Monk. Miles s’approche, remet ses lunettes et susurre : “Thelonious ? !... Shiiiiiit...” Et dans ce shit lancé comme le naturel à la fin de l’exposé de Round’Midnight (version 65), il y a toute la fraternité du monde qui passe et qui me donne la chair de poule...[1] »

Le 5 octobre 1991, dans L’Imbécile de Paris, dirigé par Frédéric Pajak, Marc-Édouard Nabe publie une courte nécrologie après la mort de Miles Davis, survenue une semaine plus tôt :

« Miles mort ? Tout ça parce que son corps si déglingué s’est arrêté de fonctionner à Santa Monica le samedi 28 septembre 1991 ? Ça ne suffit pas pour ressentir la moindre tristesse ou le sentiment d’une perte. La mort des génies n’est qu’un accident de parcours dans leur destin. Miles est né immortel, il meurt immortel. Sa musique, ses musiques sont au présent, pour toujours, et lui est déjà ressuscité, en moins de temps qu’il n’en faut pour mourir. Pour tous ceux qui adorent Miles Davis, sa mort n’a aucune importance, l’important est qu’il soit né.[2] »

Cette dernière phrase (« sa mort n’a aucune importance, l’important est qu’il soit né ») a été l’une des plus régulièrement plagiées par Yann Moix.

Citations

Nabe sur Miles

  • « Miles Davis a du dandy, en plus puant, davantage pute que Thelonious. Un lynx superbe vraiment, boxeur, salaud, dédaigneux, petite frappe altière, raciste, merveilleux. Moi, j’adore Miles quoi qu’il arrive. Vous pouvez me dire ce que vous voulez. Impuissant bopper, massacreur des disques de l’Oiseau, petit pédé bourgeois, flasque embouchure, “couacmaker”, sinistre olifant, star pourrie, prétentieux, déserteur du Jazz, cupide opportuniste, traître, agent double, j’ai tout entendu... C’est le plus grand trompettiste du monde et puis c’est terminé. Voilà tout. Les autres peuvent se battre derrière : ça n’a pas beaucoup d’importance. Miles Davis est bien notre dernier dandy. De la race de Joyce ou Poe, baudelairien si l’on veut, dans ses spectres divers... Mais sa désinvolture est morbide, son dandysme n’a pas l’impertinence amusée de celui de Pierre Brasseur, Jules Berry ou de Sacha Guitry. Dans les dandys d’aisance, il faut remonter à Duke Ellington pour retrouver ce racé-là. » (« Le Sucrier Velours et autres dandys », Zigzags, 1986, p. 12)
  • « Lundi 31 octobre [1983]. — Avalanche d’informations sur le passage de Miles. Je chope à la radio des bribes d’interview. Le dandy morbide devient mondain, cordial. Il “accorde”, s’amuse, déclare, se confie. La France ne mérite pas tout ça. C’est vraiment fini les années 70, la négation de l’art et les révolutions. La frivolité revient au galop. Les années 80 sont bon enfant. J’arrive à point nommé pour me faire descendre. L’exécration se porte mal. C’est l’ère dérisoire des morosités nihilistes.
Après quelques coups de pioche (douze pages de moins) nous allons, Marcel et moi, aux concerts de Miles Davis. Bien évidement, le miracle nous fait du pied : deux places gratuites au cinquième rang sans aucune difficulté... Arrivée de Miles sur scène, cuir rouge et noir, franges, béret, lunettes, les bras en l’air : il met en branle son orchestre. Pendant une heure trois quarts, enchaînant les morceaux, bravant les nappes, Miles dirige sa galère funk. Inutile de dire à quel point je suis allergique au matraquage binaire — aussi parfait soit-il — qui s’occupe de cette viande. Cependant Miles est là avec sa trompette “tout déplacement”, sa sonorité et son phrasé intact. Il joue beaucoup et de bonne humeur, très chaleureux avec le public et ses musiciens. En dehors d’une exécution irréprochable, d’une virtuosité au-dessus de tout soupçon et d’une énergie inégalée, ce qui rend cette musique supportable, ce sont les nuances, griffes du plus haut art, dont sont incapables les petits copieurs jazz-rock. Ça c’est de la musique ! Bien que je frémisse comme tout le monde dès que Miles joue le blues (magnifique plantation de fleurs dans la lune), ou lorsqu’il fait, comme ce soir, une citation très appuyée d’un thème de Parker (preuve que Miles n’a pas avalé l’oiseau et n’est pas le renégat que les cons croient), je comprends son attitude. Quel intérêt pour lui de rejouer et rejouer une musique qu’il connaît par cœur et qu’il a jouée avec les meilleurs du monde ? Comment reprocher à Miles de vouloir avancer, même si c’est dans la régression d’une musique plus pauvre et plus pute mais si riche et effrayante. Miles joue une musique de film, on dirait. Les lumières gambergées aident à la croire. C’est tout à fait la bande sonore en direct d’une film invisible, un film futuriste, fascistement futuriste même, car il y a une fascisme dans ce funk-là, j’en suis persuadé. L’ère est au clean. Il y a quelque chose d’énergique et de méchant dans notre époque. Les artistes se durcissent... peut-être suis-je moi-même en train de devenir de mon temps...
Un bassiste très sauvage joue d’une sorte de pelle, un organiste qui est là pour lancer des sceaux d’eau harmoniques sur les notes tenues de Miles. Un guitariste très prof d’anglais à l’unisson avec l’autre Blanc, un ténor shorterien discret et qui ne le quitte pas des yeux. Son batteur Al Foster, grande gueule et baston immuable, et surtout Mino Cinelu, le percussionniste fantastique que Miles semble adorer : il lui fait son numéro de tam-tam pédestre, ses bricoles savants, ses bongoisations sophistiquées, tout son jeu de ponctuateur raffiné. Le repertoire est le même qu’en mai : Blues for Manhattan à pleurer d’extase et l’inévitable Jean-Pierre qui hésite entre le ringard et le sublime... » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 153-154)

Intégration littéraire

Portraits

Portraits de Miles Davis sur le site de Marc-Édouard Nabe

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, pp. 1844-1845.
  2. Marc-Édouard Nabe, « Miles Davis est mort ? », L’Imbécile de Paris n°3, 5 octobre 1991, repris dans Oui, Éditions du Rocher, 1998, p. 171.