Professeur Choron

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Professeur Choron, 1982

Georges Bernier, dit le professeur Choron, est un patron de presse né le 21 septembre 1929 à La Neuville-aux-Bois et mort le 10 janvier 2005 à Paris. Il est le créateur, avec François Cavanna et Fred, de Hara-Kiri, puis de Charlie-Hebdo première période (1970 - 1982). On peut citer, entre mille choses qu’il a inventées pour Hara-Kiri et Charlie, la série des « Fiches Bricolages ».

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Lorsque Alain Zannini est venu présenter ses dessins d’humour à l’équipe de Hara-Kiri, en août 1974, il n’avait pas encore rencontré Choron. C’est deux mois après, en revenant rue des Trois-Portes, qu’il fait la connaissance du professeur qu’il lui remet son premier chèque de 400 francs en rétribution de sa page de dessins publiée. Choron découvre, en devant le libeller à son vrai nom, que « Nabe » est le fils de Marcel Zannini. Nabe aura l’occasion d’observer souvent Choron durant les bouclages de Charlie Hebdo auxquels il assistera dans les années 1970 avant d’abandonner sa carrière de dessinateur de presse. Après une longue absence, en 1984, en pleine écriture de son premier livre (qui deviendra Au régal des vermines en 1985), Nabe fréquente à nouveau l’équipe de Hara-Kiri, raconte tout ce qui s’y passe et retranscrit les monologues du professeur Choron dans son journal intime. Celui-ci (4 tomes = 4 000 pages) reste à ce jour un trésor pour les choroniens et le témoignage le plus authentique et sensible de l’une des personnalités qui a le plus influencée Nabe dès son enfance.

En novembre 1993, Choron apparaît dans le film de Fabienne Issartel, Tohu-Bohu, soirée de vernissage de la sortie du deuxième tome de son journal intime. En mai 1998, Choron et Nabe sont invités ensemble par Pascal Bataille et Laurent Fontaine sur Canal Jimmy, dans l’émission Le meilleur du pire, où ils parlent de la démocratie et de Mai-68[1].

En 2009, Nabe apparaît dans le film de Pierre Carles et de Martin consacré aux dernières années du professeur Choron en acceptant d’être interrogé avec Vuillemin dans les locaux historiques du journal, situés rue des Trois-Portes à Paris. Le film Choron dernière ayant eu un certain retentissement dans un certain milieu, Carles organisa des projections suivies d’un débat. Lors d’une de celles-ci, il invita Marc-Édouard Nabe à se joindre à lui, Martin et Vuillemin, pour discuter avec le public de son film et de Choron. Une captation de la séance au cinéma Saint-Michel en janvier 2009 a été mise en ligne partiellement sur Dailymotion. À l’occasion de l’anniversaire de Choron (21 septembre 2020), par le Twitter de Nabe, WikiNabia la diffuse en intégralité :

Débat organisé à l’Espace Saint-Michel après la projection du documentaire d’Éric Martin et de Pierre Carles, Choron Dernière, 16 janvier 2009

En août 2015, le second numéro du magazine de Nabe, Patience, est sous-titré « La vengeance de Choron », en référence à l’attaque de Charlie-Hebdo par les frères Kouachi en 2015, dans laquelle il voit une punition, inconsciente bien sûr, de l’équipe pour l’abandon du professeur par tous ceux qu’il avait contribué à faire connaître dans les années 1970 et qui ont rejoint Philippe Val quand ce dernier a voulu refonder Charlie-Hebdo en 1992. La quatrième de couverture de Patience 2 est un dessin réalisé par Marc-Édouard Nabe en 1984, « Choron de dos disparaissant dans sa fumée ».

Quatrième de couverture de Patience 2, 2015

En 2017, dans Patience 3 (Israël/Auschwitz), et plus particulièrement dans la partie Auschwitz, Nabe reviendra sur Choron en relatant une conversation entre lui et Catsap, visitant l’ancien camp de concentration, et mettant en corrélation l’absence d’humour des nazis et l’abondance bête et méchante de celui de Hara-Kiri :

« On ressort. Au bout de la première rangée de baraquements, j’aperçois un bâtiment avec une croix : sans doute le Carmel d’Auschwitz. On marche encore. Le seul wagon qui reste est un wagon de démonstration. Il est presque rouge acajou. Très beau. Avec le cadenas en énorme de marque Wermein. Au régal des Wermein
Il y a même une petite cabane de chiottes à l’avant du wagon... Des gens apportent des pierres, des fleurs sur le marche-pied... Catsap, lui, y dépose un badge de Choron... Pour lui, le Professeur est directement lié à Auschwitz.
— Après Auschwitz, il ne pouvait y avoir que Choron. Ce qui a déterminé la naissance d’Hara-Kiri, c’est l’absence d’humour du nazisme et de l’Allemagne plus généralement : les Allemands n’ont strictement aucun humour, Fassbinder compris. Auschwitz n’a aucun humour. À part bien sûr “Le travail rend libre” et les camions de la Croix-Rouge remplis de Zyklon B.
Pour lui, il fallait Hara-Kiri pour compenser ce manque d’humour si bien incarné par les nazis jusqu’en 45. Et quinze ans après, Hara-Kiri naît !
— Sans Auschwitz, pas d’Hara-Kiri, je te dis ! Et pas de toi non plus... Car sans Hara-Kiri, pas de Nabe. C’est une chaîne. Donc sans Auschwitz, il n’y a pas de Nabe !
— Je suis né d’un four crématoire bricolé par Choron ![2] »

Dans la vidéo Patience in progress (2018), sur cette question, on retrouvera un extrait de Catsap à Auschwitz, illustrant la conversation de Marc-Édouard Nabe avec Laurent Dimitri, et filmée par David Vesper.

Citations

Choron sur Nabe

  • « Tu sais, il y a des génies, comme ça, qui savent tout faire ! Il sait jouer de la musique, il sait dessiner, il sait écrire ! C’est rare des gens comme ça ! C’est très rare ! Et quand j’ai vu la couverture de son livre, je me dis “qui a fait cette peinture extraordinaire ?”. Nabe ! C’était lui. Et quand je lis son bouquin, c’est encore lui ! » (24 novembre 1993)

Nabe sur Choron

  • « Mardi 5 février [1985]. — [...] Choron sourit comme un ange... Un ange on le reconnaît à son sourire. Sa petite moustache, son crâne, son regard : comment résister à ce charme atroce ? Ce qui me plaît chez Choron, c’est qu’il vit avant Jésus-Christ, avant Marx et même avant Freud. Il émane de sa personne une barbarie innée à côté de laquelle les libertés des autres paraissent retenues. Il n’a pas le vice d’une seule qualité, l’obstacle d’un seul goût, la conscience d’une seule idée. Il ne sait même pas ce que signifie le mot “tabou”. Comme l’eau célinienne, il n’a pas d’opinion, ce qui lui permet de tout sentir, de tout oser. » (Nabe’s Dream, 1991, p. 808)
  • « Non, Cabu n’était pas le Grand Duduche qu’on croyait, si gentil, si doux, si angélique, “le meilleur homme de la terre” comme a dit cette tête de nœud poilue de Laurent Joffrin, rien que ça ! C’était plutôt un grand beaubeauf qui en voulait à Choron parce que celui­-ci n’avait pas payé ses cotisations à l’Urssaf ! Toujours à se plaindre de Choron qui lui devait “tant”... Mais n’est­-ce pas lui, Cabu, qui “devait” tant à Choron qui l’avait poussé au cul pendant des années pour le faire accoucher de ses meilleurs dessins ? Sans Choron, “le grand Cabu” serait resté le petit Cabut. Dans Choron dernière, on le voit alimenter avec Val, Wolinski et Cavanna le mythe d’un Choron nul en affaires et sans talent artistique particulier. Pour le gaucho buté Cabu, un patron ne pouvait pas être un artiste... Pourtant, le Professeur s’en était expliqué clairement dans une interview peu connue de 1980 : “C’est que je suis le gérant directeur des éditions du Square, et qu’en plus je suis­ un créateur... ­Et ­que ­j’aime ­bien ­créer, ­finalement. ­Et­ j’aime bien aussi gérer ! Cavanna m’a dit un jour : "T’as découvert la création !" Eh bien moi, je suis pas d’accord. Parce ­que ­la ­gérance d’une ­affaire ­difficile ­comme ­nous,­ c’est aussi de la création... Tu sais, t’as autant de plaisir quand t’es arrivé à séduire une banque que t’as à séduire un lecteur, c’est exactement pareil.” Honte à Cabu ! Du vivant de Choron, il fermait bien sa gueule, mais une fois le Prof mort, il l’a attaqué, bien sûr ! Toujours courageux, le zouave avait fait son service militaire pendant la guerre d’Algérie et n’avait même pas été capable d’être objecteur de conscience !... Il pouvait bien critiquer le para Bernier en Indochine... Il l’a faite, l’armée qu’il a conchiée toute sa vie, Cabu ! À propos, tous les procès que l’armée française lui avait intentés, et qu’il avait perdus (tous), qui les lui avait payés sinon Choron ? Quel ingrat ! Et qui lui prêtait sa cave, rue des­ Trois-Portes,­ pour­ que­ son ­fils ­Mano ­Solo ­répète ­avec­ ses potes musicos ? Pauvre Mano... » (Patience 2, 2015, p. 94)
  • « En vérité, je vous le dis, s’ils préfèrent tous Cavanna c’est que Choron les poussait à être moins médiocres et en tant qu’hommes médiocres, ils avaient horreur de ça ! Être grand est un cauchemar pour un petit ! Merde ! C’est Choron qui a tiré dix fois Hara-Kiri de la faillite ; pas Cavanna (trop faible) qui le disait lui-­même à Chancel en 1979 : “L’homme d’affaire, c’est Choron ! La tête gérante c’est lui, toute la merde, c’est pour lui.” Au lieu de considérer comme une chance pour eux les prouesses artistiquement bancaires de Choron “qui ne se sentait bien qu’au bord du gouffre”, ils en font une cause de désastre ! En racontant eux­-mêmes les anecdotes de Bernier­-le-­gestionnaire, ils sont tellement bêtes qu’ils ne s’aperçoivent pas qu’elles sont à sa gloire. Car qui sauvait le journal après l’avoir soi­-disant mis en péril ? Qui poussait­ le­ sacrifice­ professionnel­ jusqu’à­ aller­ se­ taper­ une vieille milliardaire (l’enculer au sens propre) pour rapporter de l’argent à Hara-Kiri et Charlie Hebdo ? Les petits membres de l’équipe tenaient plus qu’à tout à leur canard, mais aucun ne serait allé jusque là... Choron, si ! Et ce n’était pas par goût de la dépravation ou de l’arnaque, mais dans le seul but de continuer l’aventure éditoriale et donc de permettre aux dessinateurs “courageux” de continuer à s’exprimer. Le cliché “Cavanna et Choron obligés de fonctionner ensemble” est tout aussi inepte et toujours au désavantage de Choron. Tout est dit dans les photos de Baumann en noir et blanc au moment de la fâcherie Val : c’est Choron qu’on voit embrasser Cavanna dans un grand élan de pardon non-­chrétien, et Cavanna qui se laisse faire, écrasé et gêné par cet anti-­baiser de Judas, car le Judas c’était lui, et c’est Jésus qui l’embrassait ! “Il fallait un malin et un intelligent. Je te laisse deviner qui est qui”, dit Willem à Robert venu l’interroger sur son île. J’ai bien peur que dans son esprit embrumé par l’air suriodé de l’océan Atlantique, ce cher Willem (que Cavanna avait fait marner pendant huit ans avant de­ l’accepter­ dans­ l’équipe...­ Quel­ flair­ !)­ pense­ que­ l’intelligent c’est Cavanna et Choron le malin. Évidemment c’est exactement le contraire : c’était Choron le véritable intelligent et Cavanna le malin, celui qui s’est fait passer toute sa vie pour un intelligent jusqu’à ce qu’on le prenne pour­ un­ “grand­ écrivain­” » (Patience 2, 2015, p. 140)
  • « Choron mourut à son tour, le 10 janvier 2005. Dans le numéro de Charlie Hebdo qui aurait dû être entièrement consacré à sa vie et à son œuvre, à part la petite nécrologie d’usage de Cavanna, rien. Ils préférèrent faire une­ couverture­ sur­ Hitler­ dans­ le­ film­ La Chute. Même Raffarin reçu par Drucker les intéressait plus. Et l’arrivée dans le journal de l’urgentiste Patrick Pelloux méritait apparemment plus une accroche sur la une que la triste annonce du décès du Professeur !... Dans le numéro d’après, Wolinski fera quand même une bande, aux superbes noirs et blancs. Wolinski d’ailleurs fut “Grand Prix d’Angoulême”, cette année­-là... Et Siné lança quand même : “Choron, au secours, reviens, ils sont tous devenus socialistes !” Bob n’en avait pas fait autant pour Gébé, vilain ex-­idiot international... » (Patience 2, 2015, p. 65)
  • « C’est dans cette ambiance que sortit Choron dernière de Pierre Carles auquel j’avais participé. Dans son édito du n° 865 du 14 janvier 2009, Val en dit encore une bonne sur Gaza : “Cette semaine, Gaza est écrasée sous les bombes, le Hamas a réussi son coup au-delà de ses espérances”, et il ­laissa ­ses ­caniches, ­Cabu et Thoret,­ pisser ­contre ­le ­film­ de Carles et Martin... Cabu, d’abord : il osa faire dans ce Charlie Hebdo une bande impardonnable où on voyait Choron, pas du tout ressemblant (encore le beau visage d’un pur que Cabu ne savait pas dessiner...), dans ses différentes étapes d’« escroc ». C’était d’une bassesse de ne retenir de Bernier que l’ancien d’Indo aviné qui bernait les banquiers et faisait de fausses fiches ­de ­paye ­à ­ses ­dessinateurs ­!... ­Le­ pire dessin de Cabu, c’était un cercueil avec dedans tous les titres de presse que Choron avait fait “crever”, selon lui... Cabu se gardait bien de dire que sans le Professeur Bernier, ces journaux, qui avaient tenu vingt­ cinq ans (tu parles d’un gestionnaire “désastreux”), n’auraient pas pu naître !... Cabu avait sans doute oublié aussi que c’est Choron qui avait sorti plusieurs fois le journal de ses interdictions, que c’était lui qui avait trouvé les locaux de la rue des Trois-­Portes ; bref, que c’était Choron, et Choron seul, qui avait sauvé son Charlie Hebdo de tous les coups durs !... À côté de cette hideuse BD de Cabu, il y avait la chronique ciné de Jean-­Baptiste Thoret qui commençait par mon nom, direct ! “Marc-­Édouard Nabe, l’un de ses anciens disciples, décrit l’homme comme un missile de la subversion.” Ce Thoret traitait carrément le Professeur de “Français moyen un brin pathétique”, et se félicitait, comme son patron Val, que “Charlie seconde manière” ait “"trahi" l’héritage de Choron”, qui pour lui n’était que de la beauferie... Cavanna, dans le Charlie du 21 janvier 2009, se sentit obligé de réagir. Surtout contre Cabu, mais un peu mollement du genou comme d’habitude... On sentait qu’en défendant Choron, François craignait de perdre son gagne-­miettes-­de-­pain... » (Patience 2, 2015, pp. 74-75)
  • « Le soir même de l’enterrement de Choron, où messieurs Cabu et Val n’avaient pas daigné se déplacer, je bouillais de rage de voir la vengeance du Professeur inaccomplie. Celui qui­ avait­ tout­ inventé­ avait­ fini­ au­ fond­ d’un­ trou­ (c’est pas une image), les couilles créatrices coupées, alors que ses “créatures” se doraient chaque été au bord de leur piscine dans leurs propriétés du Luberon achetées grâce au triomphe du Charlie des années 70... Connaissant les forces de son esprit (au sens sioux du terme), je savais bien qu’un jour Choron (même mort) saurait se venger du Charlie usurpateur de Val et de ses félons, mais comment imaginer que ça prendrait encore dix ans et que ça s’effectuerait dans ces circonstances ?... Attention, je vais aller au fond des choses. Ce sont les frères Kouachi qui ont pris à la lettre le véritable esprit Hara-Kiri. Il n’y a jamais eu un acte aussi hara­-kirien que ce qui s’est passé le 7 janvier 2015. On aurait dit un photomontage,­ une­ fiche­ bricolage,­ un­ roman-photo...­ Il­ fallait­ que ­tout ­le ­monde ­soit­ flingué ­aussi absurdement ­et­ brutalement, et c’est à hurler de rire que la violence se soit retournée contre les deux vieux traîtres Cabu et Wolinski. Morts parce que c’étaient les derniers à avoir désavoué Choron, les deux impies d’Hara-Kiri ! Oui, ils étaient mécréants, mais sans le savoir les frères Kouachi ont puni aussi une autre mécréance que celle qu’ils voulaient punir : la mécréance au dogme “bête et méchant” révélé par Choron. Les Kouachi ont puni des mécréants au carré ! N’ayons pas peur des mots, et encore moins des images ! Évidemment, en Syrie et en Irak, les moudjahiddines, après une bonne journée de têtes coupées, ne se feuillettent pas les collections complètes d’Hara-Kiri et de Charlie Hebdo, le soir au clair de lune, en râlant sur l’injustice qui a été faite au Professeur Choron !... Bien sûr, ils ne prient pas cinq fois par jour pour qu’en Europe il y ait des djihadistes vengeurs de la branche choronienne d’Al­ Qaïda au Yémen qui se décident à aller buter les apostats de Charlie Hebdo, mais qui sait ce qui se passe sur les ondes connectées des esprits frères ? » (Patience 2, 2015, p. 92)

Intégration littéraire

Voir aussi Tohu-Bohu, le film de Fabienne Issartel (1994)

Nabe et Choron, novembre 1993

Portraits

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, « La révolutionnette de 68 », Coups d’épée dans l’eau, Éditions du Rocher, 1999, pp. 466-473.
  2. Marc-Édouard Nabe, Patience 3, anti-édité, décembre 2017, p. 73.