Rainer Werner Fassbinder

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Rainer Werner Fassbinder

Rainer Werner Fassbinder est un réalisateur allemand né le 31 mai 1945 à Bad Wörishofen et mort le 10 juin 1982.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

En 1987, Marc-Édouard Nabe publie un article dans L’Éventail sur Fassbinder, ainsi que dans L’Autre journal, en 1993. Dans son journal intime, Nabe raconte les films de Fassbinder :

« Samedi 2 août 1986. — Je vois Despair, un film (anglais) de Fassbinder de 1977. C’est un peu pour ça que j’ai interrompu mes « vacances » dans les Ardennes : pour ne pas laisser le festival Fassbinder aux mains des aoûtiens de la capitale...
Despair ? Un chef-d’œuvre. C’est d’après un roman de Nabokov (La Méprise) que je n’ai plus envie de lire. D’habitude les adaptations déçoivent. Ça m’étonnerait que ce vieux Russo-Yankee cabot ait fait mieux dans son roman que ce qu’en a tiré cette énorme tantouze boche barbue roucoulante de génie...
Film de Gémeaux typique : Hermann Hermann (Dirk Bogarde) est un Rothschild industriel dans le chocolat. Il est schizophrène et paranoïaque comme deux bêtes. Tranquillement installé dans son fauteuil, il se voit en train de faire l’amour dans son lit à sa femme (Andrea Ferreol). Hermann est persuadé de tout comprendre de ce qui l’entoure, de ce qui le cerne, sauf qu’il ignore ce qui crève les yeux : sa femme le trompe avec son cousin, un peintre nul (Volker Spengler). Hermann trouve qu’un clochard lui ressemble comme deux poupées de chocolat et, pour échapper à sa vie à la con, le paye pour qu’ils échangent leurs conditions inhumaines. Évidemment, le clochard ne lui ressemble pas du tout (il n’y a que dans la tête d’Hermann qu’il est son sosie), et après l’avoir tué pour une dérisoire histoire d’assurance (ce dont le clodo le remercie), l’industriel se fait facilement piquer sous l’identité de son faux double, dans une pension pourrie où le chocolatier marron finit sa trajectoire d’illuminé destroy. La fin est peut-être encore plus belle que celle de Sunset Boulevard, lorsque Gloria Swanson descend l’escalier. Bogarde, habillé en clodo beckettien, suit les flics qui l’ont retrouvé en disant : “Je suis un acteur... Nous tournons un film... Je vais sortir...”
Sublime ! Bogarde est fabuleux, bien meilleur que chez Visconti ou Losey : l’histoire est cadrée et décadrée par la caméra perverse de Fassbinder qui sinue dans un décor tout en reflets. Les mouvements sont rendus plus lancinants encore par une musique triste des années 30 pré-nazies. La caméra fassbindérienne aiguise les acteurs, les biseaute comme ces miroirs qui se renvoient soudain la balle d’un regard sans en être brisés. On a dit Rainer Werner Fassbinder brouillon, bâcleur, balzaqueux... Despair est soigné comme l’ongle verni d’une grande dame chic. Tout est parfait et beau. Le film est une série de magnifiques portraits cubistes dans les mauves et les marrons. Tout est somptueusement suicidaire (le film est dédié à Artaud et Van Gogh). Le spectateur entre si bien dans la tête fêlée — c’est d’ailleurs par là seulement qu’il peut entrer — de Hermann Hermann, qu’il finit par voir lui aussi une ressemblance entre lui et son “double”. Quelle belle pirouette pirandellienne ! Au cinéma, Hermann voit un film de gangster où le flic et le voyou sont jumeaux ! On n’échappe pas à son identité, personne ne nous ressemble assez pour devenir nous-mêmes à notre place...
Il paraît que pendant le tournage, Fassbinder pleurait d’émotion de voir ses acteurs jouer si bien ces scènes scabreuses où la douleur s’érotise sous les sophistications psychologiques. La psychologie, voilà une issue à notre temps. Trop longtemps méprisée, la psychologie doit être abordée de front aujourd’hui, sans ironie, avec ce soin dont je parlais : minutieusement, les artistes désormais devront soigner la psychologie parce qu’elle est malade depuis cinquante ans, comme le reste. Voilà pourquoi Fassbinder était en avance sur son temps de têtes d’épingle et de cœurs de pierre.
Je suis définitivement amoureux de Rainer Werner Fassbinder. Ses films, fumants comme des blocs de glace éclairés par une lumière polaire, me bouleversent.[1] »

Autre lien : l’écrivain Jean-Jacques Schuhl, « ami d’enfance » de Nabe, vivant avec l’actrice-chanteuse Ingrid Caven qui avait été l’épouse de Fassbinder, et que Nabe a pu côtoyer dans les années 1990-2000. En 2013, puis en 2017, Nabe rencontrera également l’autre égérie fassbinderienne Hanna Schygulla.

Ingrid Caven, Jean-Jacques Schuhl, Marc-Édouard Nabe, 2006
Marc-Édouard Nabe et Hanna Schygulla, 2013

En 2019, Marc-Édouard Nabe expose de grands portraits du réalisateur, dans sa galerie virtuelle. Les œuvres ont toutes été réalisées au pastel sec dans la galerie de l’écrivain, rue Frédéric Sauton, en 2016.

Citations

Nabe sur Fassbinder

  • « Jeudi 14 novembre 1985. - [...] Aujourd’hui, seul Daniel Cohn-Bendit défend la pièce dans Le Monde. Comme on se retrouve ! Celui qui a osé serrer la main de Nabe vient au secours du cadavre de Fassbinder accusé des mêmes maux ! Attention à ton hermine, Dany ! Le soixante-huitard de Francfort raconte très bien l’histoire, et parle parfaitement de Fassbinder “l’apôtre culturel du marginalisme obscène et militant”, et de son monde “pervers, brutal, choquant, irresponsable...” Cohn-Bendit me donne presque envie de réviser mon jugement sur ce Boche dont les deux seuls films de lui que j’aie vus, Les Larmes amères de Petra von Kant et Lili Marleen (à Marseille, je m’en souviens), m’avaient déçu. Tortures en toc ! Hélène aussi me parlait toujours de Fassbinder qu’elle avait croisé à Cannes, en 1980, quelques semaines avant qu’on se rencontre. Elle avait beaucoup aimé ce film Le Rôti de Satan où il y a un écrivain qui n’arrive pas à écrire et aussi un simplet exhibitionniste glandeur qui sort ses couilles et les met sur la table paraît-il à un moment. J’aimerais bien le voir, et bien d’autres aussi, mais où ? C’est pas demain qu’il y aura un festival Fassbinder surtout après l’histoire de la pièce interdite... » (Tohu-Bohu, 1993, p. 1340)
  • « Parler des vivants, je trouve cela mordide. Les vivants sont souvent d’un ennui mortel. Je préfère les morts. Un mort se bonifie. J’aime les reprises, comme sur un vieux vêtement usé, le Cinéma. Il me faut du temps pour digérer. En général quelques années suffisent. Je n’attendrai pas cent ans pour reconnaître en Fassbinder le grand artiste que j’ai raté, qu’on a tous un peu raté, avançons-le... Le come-back de Rainer Werner Fassbinder n’aura pas lieu. Qui caressera ce hérisson dans le sens des épines ? Fassbinder est trop à contre-courant de notre néoréalisme d’aujourd’hui, du moralisme gentillet et de l’optimisme mou. Ses films de hauteur ne passeraient pas la rampe de l’aide au tiers-monde, du paternalisme occidental, du confort des normes, de la bonne conscience à l’ombre des bornes qu’il ne faut pas dépasser, du minoritarisme militarisé, et même de l’institution homosexuelle... Ça oui : autant je déteste les petits pédés bidons qui roucoulent écœurament, autant je possède une capacité infinie d’admiration pour les très grands homosexuels. Comme des fois je suis dans une mood d’ours doux, je ne lis que des catholiques (Bernanos, Barbey, Simone Weil), j’ai des pulsions d’homosexualité artistique : ne m’intéressent alors que les œuvres d’art écloses des choux-fleurs les plus épanouis. Une phrase-page de Proust, un sonnet de l’hombre Lélian, un marin peint par Jean Genet, un long livre gai de Gertrude Stein s’impressionnent peut-être plus subversivement sur la chair épaisse d’un hétéro. Ces homos sont des héros ! L’homosexualité en art est un luxe solaire. Pasolini et Fassbinder sont les deux pôles du cinéma disparu. Rien ne tourne par hasard, pas plus leur homosexualité que leur irrécupérabilité communes. Il est assez incroyable qu’aucun besogneux encore ne se soit collé à ce parallèle : Pasolini/Fassbinder. » (« La grande ourse », L’Éventail n°10, février-mars 1987)
  • « Aucune revendication d’aucune sorte chez Fassbinder. Ni politique ni homosexuelle. C’est pourtant le cinéma le plus politique et le plus homosexuel que je connaisse. Ses histoires scabreuses sont inventées pour saper tous les pouvoirs : celui des hommes de loi comme celui des hors-la-loi. Sur le terrorisme, il a dit ce qu’il avait compris, et comme il avait tout compris, il a tout dit. Aujourd’hui, les ex-gauchistes ne s’intéressent plus à Fassbinder, il leur rappelle trop les années “idéologiques” pendant lesquelles il était dans l’air du temps d’interpréter idéologiquement les films de Fassbinder. “Quand je m’aperçus que j’étais pédé, je l’ai dit à tout le monde !” racontait Fassbinder. Il n’était pas un de ces professionnels de l’homosexualité qui, du fond de leur ghetto organisé, hurlent pour qu’on les en sorte. “Les droits de l’homo”, très peu pour lui. Fassbinder vivrait aujourd’hui, je suis certain que les films qu’il ne manquerait pas de faire sur le sida feraient scandale. » (« Fassbinder, l’homme-usine », L’Autre journal n°5, été 1993)

Portraits

Portraits de Fassbinder sur le site de Marc-Édouard Nabe

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, pp. 1717-1719.