Jean-Jacques Lefrère

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Jean-Jacques Lefrère

Jean-Jacques Lefrère est un hématologue et biographe né le 10 août 1954 à Tarbes et mort le 16 avril 2015 à Paris. Il est le découvreur en 1977 de la seule photo existante de Lautréamont et l’auteur de la biographie de ce dernier ainsi que celles de Jules Laforgue et surtout d’Arthur Rimbaud, sur lequel il laissera dix-sept livres dont une monumentale correspondance complète du vivant et de la postérité du poète en trois volumes. Lefrère est également co-fondateur et directeur de la revue Histoire littéraire depuis 2000. En 2006, il a publié avec Jean-Paul Goujon « Ôte-moi d’un doute... » sur la thèse des pièces de Molière écrites par Corneille.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

En 2004, Jean-Jacques Lefrère prend contact avec Marc-Édouard Nabe pour que celui-ci intervienne le 19 novembre au colloque aux Invalides « Paris, sa vie, son œuvre », présidé par Lefrère lui-même et demandant aux intervenants de donner une mini-conférence sur le sujet. Nabe lira un texte écrit par lui sur le 8e arrondissement où il habite, « Le Huitième ciel ». Une amitié littéraire se nouera entre les deux hommes qui partageront à maintes reprises des moments exaltés sur les recherches et les trouvailles de l’un et de l’autre concernant les personnages qui les passionnent tous les deux...

Outre Rimbaud, Laforgue et Lautréamont, Nabe découvrira en Jean-Jacques Lefrère un grand admirateur de Che Guevara sur les traces duquel il s’était rendu en vue d’un grand album de photos, et également de Céline sur lequel il projetait une biographie « définitive » de 3 000 pages dont les travaux seront hélas interrompus par sa mort. Plus surprenant : le grand intérêt de Lefrère pour le Professeur Choron, qui était pour lui une figure philosophique maîtresse de la seconde moitié du XXe siècle et sur lequel il compilait tous les documents qu’il pouvait trouver. Nabe l’encouragera à ranger Choron dans sa série de biographies « sérieuses », ce qui enchantait Lefrère, grand lecteur des 4 tomes du journal intime nabien où le biographe piocha joyeusement en posant de nombreuses questions à l’auteur.

La complicité entre Lefrère et Nabe atteignit peut-être son sommet en mai 2008, lorsqu’un documentariste, Patrick Taliercio, découvrit Le Rêve de Bismarck, premier texte publié par Rimbaud à l’âge de 16 ans et demi dans Le Progrès des Ardennes, et que Lefrère viendra présenter avec Nabe chez Frédéric Taddeï à Ce soir (ou jamais !), le 20 mai 2008. Nabe terminera l’émission en lisant à haute voix et en direct, pour la première fois, Le Rêve de Bismarck. Les deux rimbaldiens devront ensuite faire face à toute une campagne de complotistes qui doutèrent et firent douter de l’authenticité de la publication de Rimbaud, à la tête desquels Raphaël Zacharie de Izarra, un sombre bloggeur mégalomane qui s’attribua l’écriture et la confection du journal de 1870 où se trouvait le texte pourtant incontestable d’Arthur Rimbaud.

Le 28 janvier 2010, Jean-Jacques Lefrère sera invité à la soirée de lancement de L’Homme qui arrêta d’écrire, premier livre anti-édité de Nabe. Lefrère continuera d’être un lecteur assidu des nouveaux livres de l’écrivain, jusqu’à L’Enculé, qu’il considérait comme « un petit chef-d’œuvre ». Il s’investira dans le projet nabien qui ne s’appelait pas encore Les Porcs sur le conspirationnisme. Le 15 avril 2010, comme Nabe le raconte dans le premier tome des Porcs, il retrouve Jean-Jacques Lefrère devant la neuvième photo originale découverte, par deux libraires, d’Arthur Rimbaud (adulte)[1].

En 2012, Lefrère publie aux éditions Léo Scheer un dossier complet autour de la célèbre mystification d’un faux Rimbaud de 1949 intitulé « La Chasse spirituelle ». Nabe et Lefrère se reverront une dernière fois dans les Jardins du musée du quai Branly en juin 2014. Jean-Jacques prendra des nouvelles de l’avancée du manuscrit de Nabe sur le complotisme. N’ayant plus de nouvelles pendant plus d’un an, c’est brutalement, le jour même où Nabe se trouvait dans son lit d’hôpital au 15-20 après son opération de la rétine, qu’il apprendra par la fille de Lefrère, Caroline, que son père venait de mourir après s’être mis à l’écart plusieurs mois pour lutter contre son cancer foudroyant.

Caroline Lefrère sera présente au lancement de Patience 2, devant les locaux de Hara-Kiri, dans le film tourné par Charles Branco.

Caroline Lefrère discutant avec Delfeil de Ton, lancement de Patience 2, 20 août 2015

Marc-Édouard Nabe sera présent, à son tour, ainsi que Delfeil de Ton et Jérôme Dupuis, à l’hommage rendu à Lefrère, un an après sa mort, à la Sorbonne, première occasion pour l’auteur d’Au régal des vermines d’entrer dans ce bâtiment.

Toujours en 2016, alors que Nabe habitait dans sa galerie rue Sauton, il vit un jour entrer la mère de Jean-Jacques Lefrère et son autre fils, François, le frère de Jean-Jacques, médecin également et qui se trouvait avoir été celui du Professeur Choron jusqu’à sa mort à l’hôpital Necker en 2005. La visite fera l’objet d’un Éclat.

À noter : à l’occasion de la sortie du numéro 2 d’Adieu, la revue des frères Vesper, ceux-ci reçurent une menace d’assignation en justice de la part de Caroline Lefrère, de son frère Nicolas et de leur mère Kathryn, pour, entre autres demandes, qu’ils retirent les exemplaires d’Adieu des librairies où ils étaient en dépôt (par exemple, Le Dilettante). Motif : avoir publié sans leur autorisation un extrait du journal de voyage de Jean-Jacques Lefrère à Aden en 2000 sur les traces d’Arthur Rimbaud, texte que Lefrère avait remis à Nabe, ainsi qu’à tous ses autres amis, avec le loisir pour chacun d’en faire ce qu’il voulait[2]. La lettre de David Vesper à la famille Lefrère restera sans réponse[3].

Citations

Lefrère sur Nabe

  • « Cher Marc-Édouard,
Je viens de terminer la lecture de votre satiricon joycien, livre à cent années-lumières de tous les romans à la moix d’aujourd'hui. On sort de cette lecture avec une sorte d’exaltation, bizarre et magnifique. J'ai, vraiment, beaucoup goûté ce parcours crépusculaire d’un Paris en décadence, pré-apocalyptique. Que de pantins glauques et grotesques au fil des pages. » (mail de J.-J. Lefrère à Marc-Édouard Nabe, à propos de L’Homme qui arrêta d’écrire, 7 février 2010)

Nabe sur Lefrère

  •  « Avec Lefrère, en toute fraternité, on rivalisa de science rimbaldienne, et moi je m’attardai un peu plus sur la fabrication, le style, le genre... Je rapprochais Le Rêve de Vallès, de Céline... Nous le replaçâmes au milieu des autres œuvres d’Arthur. Lefrère était plus historique, on était parfaitement harmonisés pour donner, sans en avoir l’air, une leçon énorme de littérature et d’historicisme à tous les intellos de Paris ! J’encourageai Jean-Jacques à raconter le texte... [...]
On arrivait presque à la fin de ce quart d’heure magique que j’avais entièrement supervisé. Taddeï m’invita à lire Le Rêve de Bismarck. Je sortis alors de ma poche un papier où je l’avais reproduit en gros caractères. Je fis allusion à notre mini-litige, à Jean-Jacques et moi, sur un des derniers mots. Puis je lus, ou plutôt jouai la prose d’Arthur, sans trop d’emphase j’espère, et sans accrocs, même sur le nom d’un village (Woerth), dont j’avais vérifié, le matin même, la prononciation par téléphone :
— Allô, la mairie de Veurt’ ?
— On dit « Vourt’ », monsieur.
— Merci... Clak !
De gros plans montraient la tête de Lefrère, avec une drôle d’expression que Salim interpréterait négativement, comme une sorte de jalousie du pédant qui se fait écraser par l’artiste en pleine action. Non ! Encore un fantasme... Jean-Jacques avait plutôt dans les yeux une sorte d’hébétude, de communion avec Rimbaud, me regardant fixement comme le corps par lequel la voix de son Arthur s’exprimait, exactement comme si on avait mis un 78 tours poussiéreux sur un gramophone, et que tout à coup, miracle, le son sortait du microsillon, postillonnant mille particules de vieil azur ! Ô joie, extase extrême ! Ils allaient faire une sacrée gueule, les gens de Lettres ! Passer à côté de ce chef-d’œuvre désenglouti ! On finit la séquence en toute exaltation. Encore une opération commando réussie !
De retour dans la loge de Taddeï, on resta avec Lefrère et Frédéric jusqu’à 2 heures 30 à papoter... Mon portable n’arrêtait pas de sonner. Jérôme Dupuis m’envoya un texto pour me remercier de l’avoir cité. Lefrère était tout content et disert, réalisant que c’était la première fois qu’on lisait un Rimbaud inédit à la télé. Je pris la fiche que Taddeï avait rédigée sur nous, de sa belle écriture blanche sur fond noir et, avec sa permission bien sûr, l’offrit à Jean-Jacques, en souvenir. On parla de manuscrits... Frédéric aurait bien voulu se lancer dans une collection des miens. Quand je ramenai Lefrère en taxi, chez lui, il me dit encore être très ému de la soirée. » (Les Porcs tome 1, 2017, pp. 621-622)
  • « Lefrère me rappela. Il m’annonça qu’il avait fait l’émission de Pierre-Louis Basse à Europe 1 (un gros balourd coco qui publiait au Rocher et qui réapparaîtra – vous verrez – dans un millier de pages environ, dans des circonstances tout à fait déshonorantes...), et là Jean-Jacques m’avait cité. Il était tout fier de lui. On parla longuement... Lefrère me dit encore que j’avais réussi un “exploit” :
— Je n’en reviens toujours pas que Rimbaud ait eu pour la première fois la une du Figaro... Ce que vous avez fait chez Taddeï ne passe pas... Votre lecture a été une insulte à toute la littérature contemporaine. Lire un Rimbaud inédit à la télé est un acte contre la littérature mort-vivante d’aujourd’hui. Et face à des apologistes de jeux vidéo en plus ! Quelle subversion !
Jean-Jacques me dit aussi qu’il imprimait toutes les réactions qu’il trouvait sur Internet. Il avait deux cents pages, déjà ! Il voulait publier un essai, d’abord, sur toute l’affaire qui était allée si vite... Et même faire apparaître un faux Rimbaud que tous les cons prendraient pour un vrai, pour mystifier ceux qui avaient cru que le vrai était faux ! Bof... Je n’étais pas trop pour ce genre de canular... C’était un peu comme l’ironie, les canulars, ça se retournait toujours contre celui qui les avait produits, même pour de bonnes raisons. Moi, je préconisais des attaques frontales et violentes contre Izarra et ses suiveurs, et contre tous les autres qui, maintenant, clamaient sur Internet que Le Rêve de Bismarck était une élucubration du trio Nabe-Taliercio-Lefrère ! » (Les Porcs tome 1, 2017, p. 626)
  • « Je téléphonai aussitôt à Jean-Jacques Lefrère qui me dit :
— L’original de la photo va être présenté cet après-midi au Salon du livre ancien à dix-sept heures. Venez !
Toute la matinée et le début de l’après-midi, j’eus du mal à m’en remettre. Après Le Rêve de Bismarck, la neuvième photo de Rimbaud ! Je n’arrivais pas à détacher mon regard et mon esprit de cette image.
J’arrivai au Grand Palais. Il fallait une invitation pour entrer. Je n’en avais pas mais je fus hélé par la fille de Lefrère, la petite Caroline, avec son appareil dentaire, toute souriante, qui me fit entrer. La verrière explosait sous les rayons de soleil. Jean-Jacques nous vit tous les deux, il croyait peut-être que j’étais en train de draguer sa petite fille, une adolescente magnétique du Scorpion il faut dire !...
Sur le stand des deux libraires qui avaient fait la découverte de la photo dans un lot de cartes postales, Lefrère était donc là. Avec son livre de correspondance posthume dont il avait fait refaire la couverture pour pouvoir publier le premier la nouvelle photo de Rimbaud. Intégration in extremis. » (Les Porcs tome 1, 2017, p. 929)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Chapitre CCXCIV « Rimbaud l’adulte », Les Porcs tome 1, anti-édité, 2017, pp. 928-930.
  2. En effet, Richard Esquier, avocat à la cour, envoie à Messieurs David et Julien Vesper Vaché une lettre de trois pages où la famille Lefrère, arguant que ses droits d’auteur et son droit moral sont atteints par la publication du texte de Lefrère dans Adieu, et demandant de cesser la commercialisation de la revue et de « procéder au rappel des exemplaires en dépôt » ainsi que de lui communiquer « le chiffre d’affaires réalisé grâce à la vente ». Les raisons invoquées sont diverses : de l’accusation d’avoir utilisé le texte (pourtant autorisé par l’auteur lui-même) jusqu’à l’intégration de la figure de leur père et mari dans une vidéo publicitaire sur la revue, en passant par celle d’en avoir transformé des passages. Mais comme il est dit à la page 2 de la lettre, la vraie cause du litige semble être tout autre :
    « (ii) D’autre part et surtout, la revue Adieu présente, aux côtés de l’Œuvre, des images à caractère pornographique (au premier rang desquelles la première de couverture), des textes sur les uniformes de soldats nazis, des images et un texte sur Gaza, ou encore un entretien avec Monsieur Jawad Bendaoud, personnage défavorablement connu du public notamment pour avoir hébergé des terroristes auteurs des attentats du 13 novembre 2015, et récemment encore poursuivi pour menaces de mort.
    Un tel contexte de diffusion véhicule nécessairement une image déformée de l’Œuvre et de son auteur, dès lors que la transposition de l’Œuvre dans un cadre sans rapport avec son objet, et au surplus à des fins commerciales, la détourne de la destination recherchée par l’auteur et ainsi la dénature.
    L’existence d’une vidéo dans laquelle Monsieur Jean-Jacques Lefrère apparaît parmi des scènes de guerre, des images de soldats nazis et des scènes à caractère pornographique, participe également à l’atteinte portée à l’esprit de l’Œuvre et à son auteur.
    Les faits qui vous sont reprochés causent donc un préjudice très important à Madame Caroline Lefrère et Monsieur Nicolas Lefrère, auquel il convient de mettre un terme immédiatement. » (Extrait de la lettre de Richard Esquier, 20 décembre 2018)
  3. Lettre des frères Vesper à l’avocat de la famille Lefrère, 27 décembre 2018 :
    « À Maître Richard Esquier, avocat à la Cour,
    Nous venons de prendre connaissance de votre courrier et de la décision de mademoiselle Caroline Lefrère et de sa famille de mettre en branle cette action, malgré le mail que nous lui avions envoyé le 15 novembre, dans lequel nous lui expliquions personnellement, clairement et honnêtement toute la situation, et resté depuis sans réponse. Pour plus plus de clarté, nous allons vous répondre point par point en suivant la mise en page que vous avez donnée à votre lettre.
    1/ Ce que vous appelez « L’Œuvre » dans votre document est en réalité une œuvre incomplète puisque la totalité du document contenait aussi la seconde partie titrée « Journal d’Abyssinie » (que nous possédons également) et surtout, que ce soit l’une ou l’autre des parties, il est incorrect de dire que ces textes ont été « publiés » du vivant de monsieur Jean-Jacques Lefrère : ils ont été imprimés, pour ne pas dire photocopiés, en un nombre amical d’exemplaires, destinés à être offerts aux proches et aux meilleurs amis (comme l’indiquent et le document et la terminologie utilisée dans votre lettre), littéraires compris, de Jean-Jacques Lefrère. Nous notons cependant votre nuance paradoxale puisque si le document avait déjà été publié et si la seule gêne possible était la diffusion à grande échelle, alors vous devriez être rassurés d’apprendre qu’Adieu n’imprime qu’à 500 exemplaires et n’est diffusé par personne.
    En offrant son texte à Marc-Édouard Nabe, véritable complice et ami de monsieur Lefrère pendant des années autour de l’amour de Rimbaud (c’est à deux qu’ils sont allés en présenter un inédit sur le plateau de Frédéric Taddeï) et de Lautréamont mais pas seulement, Jean-Jacques Lefrère indiquait non seulement, s’il le fallait encore, quelle littérature il aimait mais surtout à qui il faisait confiance vis à vis de la compréhension de son travail. C’est la raison pour laquelle, dans une filiation assez logique, Marc-Édouard Nabe, qui a partagé, nous semble-t-il, beaucoup de moments avec madame Caroline Lefrère avec laquelle nous pensions qu’il avait un vrai lien, nous a transmis ce document.
    Publier le meilleur biographe de Rimbaud et Lautréamont dans une revue tenue par les descendants du poète Jacques Vaché, le précurseur du surréalisme, et donc de Dada, c’est-à-dire d’autres grands mouvements inspirés par Lautréamont et Rimbaud, et entouré de textes de son ami Nabe, de l’éditeur de chez Gallimard Philippe Sollers qui accepte très bien la publication inédite de son entretien, ou surtout d’un poème inédit d’Apollinaire dont Jean-Jacques Lefrère aurait applaudi la rare découverte, fait honneur à Jean-Jacques Lefrère et rendait grâce à son travail car qui, depuis sa disparation surtout, s’est intéressé à son travail, et qui a fait ne serait-ce qu’un moindre effort pour le mettre en avant ou entreprendre un chemin de publication ?
    2/ La vidéo de promotion qui visait, pour un cercle réduit d’amateurs, à faire connaître le contenu du numéro 2 de notre revue, a été pensée comme un clip, comme un teaser cinématographique, avec rythme, musique, choix d’images symboliques. Jean-Jacques Lefrère n’était pas vraiment l’élément coup de poing ou promotionnel de la création. Nous venons cependant de retirer la vidéo. Au moment où nous avons retiré la vidéo, elle comptabilisait 39 vues. Le nom de Jean-Jacques Lefrère existe et les images utilisées provenaient de deux interventions disponibles sur Youtube, notamment celle sur Rimbaud chez Taddeï. Nous rappelons qu’Adieu n’est pas une entreprise lucrative, puisque nous créons à perte, en connaissance de cause. C’est d’une promotion artistique dont il s’agit et non d’une promotion à but lucratif, ce à quoi Jean-Jacques Lefrère, habitué de ces considérations dans l’histoire de la littérature, aurait été sensible.
    3/ (i) Nous avons en effet apporté des modifications légères au document en utilisant les services d’un correcteur pour gommer les erreurs qui ne peuvent rester dans une publication sans être gênantes pour l’auteur lui-même (guillemets erronés, fautes d’orthographe, oublis, virgules perdant le sens, etc.) et quelques conjugaisons pour parfaire le style, renforcer le sens ou le rendre plus correct vis à vis de la concordance des temps ou de la chronologie. C’est le passage des épreuves au papier final... Rien d’anormal, de dénaturant pour le texte.
    À l’inverse, votre lettre comporte un mensonge, ou en tout cas une erreur : aucune modification de l’agencement des paragraphes, c’est-à-dire de leur ordre, n’a eu lieu. Nous avons vérifié. Le texte est le texte. Comme toutes les publications, il existe un goût graphique et esthétique, et en de très rares cas, un alinéa a pu être retiré ou à l’inverse, quand la masse d’un texte perdait l’œil et rendait difficile la lecture, ajouté. Nous pensons avoir l’œil pour ces questions.
    Enfin, une photographie finale a en effet été ajoutée, volontairement sans légende, puisque nous respectons suffisamment le lecteur pour imaginer qu’il saura ou bien reconnaître ou bien deviner qu’il s’agit de la figure de Rimbaud. Libre à vous d’écrire que cela ne présente aucun intérêt...
    (ii) Ce point semble être le plus intéressant dans le dialogue qui s’établit entre nos deux parties. Il apparaît ici que ce ne sont pas les intérêts de monsieur Jean-Jacques Lefrère qui priment, et que ce ne sont pas non plus ceux de la littérature... Des considérations politiques, quelque chose de l’ordre de la peur bourgeoise, viennent s’instaurer dans un dialogue pré-judiciaire, et il vous faudra bien l’expliquer. La couverture est, en effet, un autoportrait d’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma, Michel Simon, et alors ? Il y a, en effet, un texte historique rare et précis sur les uniformes portés par l’armée allemande (Hugo Boss notamment) pendant la seconde guerre mondiale, et alors ? Il y a bien un texte d’une jeune femme Palestinienne, habitante de Gaza, une jeune femme que nous connaissons, un témoignage humain, en forme de journal intime elle aussi, qui raconte sa vie là-bas, et alors ? Il y a bien un entretien journalistique exclusif de Jawad Bendaoud (dont tous les médias parlent à longueur de journées), et alors ? Il n’y a d’une part aucun flou salissant autour de ces publications, et d’autre part une revue littéraire, et la famille Lefrère est bien placée pour le savoir, n’embarque pas tous ses auteurs sur un même bateau (même ivre).
    4/ Nous sommes d’accord avec vous : il serait bon de mettre un terme immédiatement à ces préjudices. Nous avons mis plus de 48 h à vous répondre, ce que vous pardonnerez bien pour un courrier reçu un samedi matin, 22 décembre. Nous aurions pu être absents longtemps.
    - Nous ne ne savons pas ce que la famille Lefrère imagine quant aux droits d’auteur et de propriété intellectuelle sur ce texte de dix pages que Jean-Jacques Lefrère avait décidé d’offrir mais nous nous engageons à ne plus jamais y porter atteinte.
    - Nous sommes d’accord. Il n’est pas prévu que la revue bénéficie d’un second tirage. Le document n’est pas reproduit sur le site internet. Au passage, merci de dénoncer l’absence provisoire de mention légales du site aux autorités compétentes : belle mentalité !
    - Nous avons prévenu nos 3 rares et courageux amis libraires de l’affaire et la revue n’y sera plus vendue. Nous ne pouvons par contre pas vous laisser aller trop loin en interdisant totalement l’existence de la revue, le texte qui pose problème n’étant pas le seul à y être contenu et d’autres l’accompagnant ayant des importances littéraires et historiques bien supérieures, nous pensons aux inédits d’Apollinaire, Sollers, Nabe et Powys en premier lieu, sans parler des textes de jeunes écrivains.
    - Cette demande de pilonnage, en quelque sorte, est scandaleuse, et il va de soi qu’il est hors de question que nous y concédions. Que vous osiez l’inclure dans ce qui est appelé une demande d’accord à l’amiable est grotesque. Nous n’avons pas prévu de vous donner, et encore moins en vous les remettant, l’intégralité des exemplaires (environ 350) pour que vous les détruisiez en autodafé, plutôt que de les laisser en tant qu’invendus dans notre cave comme Une Saison en Enfer est restée dans celle d’un imprimeur belge pendant des décennies...
    - La vidéo a été retirée de Youtube, comme réclamé, après avoir été vue 39 fois.
    - Nous avons payé l’impression nous-mêmes (plus de 7000€) pour à peine 500 exemplaires dont seulement une petite partie a été vendue. Le chiffre d’affaires s’élève à aujourd’hui à environ - 4000€ (« moins » comme « en-dessous de zéro »). Si ça peut aider madame et monsieur Lefrère pour juger de l’évaluation de ce qu’ils souhaitent prendre dessus, voici. Ni commissaire ni expert-comptable, pas d’avocats non plus : nous n’en avons absolument pas les moyens.
    Nous sommes ravis d’apprendre que madame et monsieur Lefrère cherchent à résoudre ce différend à l’amiable et nous espérons qu’ils sauront voir les efforts que nous avons été capables de faire malgré ce que nous pensons de leur action et malgré notre premier mail resté sans réponse. Nous aurions aimé pouvoir les rencontrer.
    Cependant, nous vous serions reconnaissants de leur laisser savoir que certaines de leurs demandes sont particulièrement indignes. S’attaquer de la sorte à une petite revue de jeune gens, à des Vaché, à des amis de votre père, à une petite revue sans aucun moyen de gagner de l’argent, c’est petit, et imaginer ne serait-ce qu’un seul instant pilonner l’ouvrage qui contient pourtant un inédit d’Apollinaire, le censurer totalement jusqu’à la destruction, c’est ça qui est salir la mémoire de Jean-Jacques Lefrère qui a donné beaucoup de sa vie et de sa santé pour la recherche littéraire et pour la poésie en particulier. S’il savait que ses enfants étaient prêts à tuer une telle revue, à effacer du temps un Apollinaire, sans parler du reste... L’Histoire est cruelle parce qu’elle retient tout, surtout quand tout est écrit, ce que la Justice n’oublie jamais de faire : il serait évidemment bien plus préjudiciable pour tout le monde, pour le nom Lefrère en premier lieu, d’imaginer que cette affaire aille plus loin plutôt que de laisser vivre cette publication confidentielle qui date de toute façon d’il y a déjà trois mois.
    Si, malgré tout cela, il vous apparaît nécessaire d’aller plus loin, eh bien, allons-y !
    David et Julien Vaché »