Elia Kazan

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Elia Karan à Andros (années 1990)

Elias Kazantzoglou, dit Elia Kazan, est un réalisateur et écrivain né le 7 septembre 1909 à Constantinople (Empire ottoman) et mort le 28 septembre 2003 à New York (États-Unis).

Auteur des films américains parmi les plus marquants des années 1950, ayant fait se surpasser à la fois James Dean et Marlon Brando, Kazan verra sa carrière s’entacher par sa prise de position pour le sénateur McCarthy pendant la campagne de dénonciations des personnalités communistes dans le milieu du cinéma. Ayant ainsi « trahi » quelques-uns de ses confrères et de ses amis (par conviction politique et pas par mesquinerie), Kazan sera considéré jusqu’à la fin de sa vie comme un délateur, accusation légitime mais enrichie par son propre sentiment de culpabilité dont le grand cinéaste fera, si on peut dire, son miel pour la suite de sa carrière cinématographique. En effet, des films comme Sur les quais (1954), puis plus tard L’Arrangement (1969), mais aussi le très singulier Man on a Tightrope (1953), porteront la marque de sa « faute » (Joseph Losey a dû s’exiler après avoir été dénoncé par Kazan et Orson Welles a toujours refusé de serrer la main de l’auteur de Un tramway nommé désir).

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Évidemment touché par leurs origines communes (Kazan est en effet, comme Karajan, un Grec de Turquie), et par la concordance astrologique qui fait que Kazan (comme Sonny Rollins) était né le même jour que son père (7 septembre), Nabe a très tôt été attiré par le cinéma de Kazan. Bien sûr, America, America, 1963 (une description détaillée se trouve dans Kamikaze[1]), sa fresque qui raconte l’émigration de son oncle d’Anatolie à New York à la fin du XIXème siècle, et dont l’affiche (encore une concordance nabienne) avait été dessinée par l’idole de jeunesse de Nabe, Siné, pour une composition tout à fait exceptionnelle dans son œuvre graphique, rappelant la dernière scène du film et dont Nabe parlera dans ses livres.

Affiche de Siné pour America, America, 1963

Les films de Kazan préférés de Nabe sont Viva Zapata ! (1952), qui fut une révélation sur le personnage même du révolutionnaire mexicain (« Le Zapatiste imaginaire », Zigzags, pp. 71-74), mais aussi une inspiration pour ses tableaux de Mexicains, Un homme dans la foule (1957) qui sera également pris comme référence par Nabe dans les passages contre les médias qui se trouvent dans ses livres, et L’Arrangement bien sûr, encore un des rôles phares de Kirk Douglas, et doublement intéressant car Kazan a écrit le roman de son film et tourné le film de son roman presque simultanément, sans oublier que ceux-là traitent de l’adultère où un homme est pris entre deux femmes. Mais le film le plus troublant de Kazan pour Nabe l’a été pas seulement pour lui mais aussi pour Hélène Hottiaux et surtout Audrey Vernon, à qui l’écrivain l’avait fait découvrir, sera Splendor in the Grass (La Fièvre dans le sang, 1961, avec Warren Beatty et Nathalie Wood), l’histoire d’un couple d’amoureux fous qui finissent par se séparer par la force des choses (la scène finale, bouleversante, sera une sorte d’acmé de l’idéal sentimental pour Vernon).

Nabe n’a pas rencontré, mais a vu une fois Elia Kazan en vrai : en 1988, dans un cinéma parisien où il est apparu à la fin de la projection de ses films. Nabe raconte la scène dans son journal Kamikaze.

À la mort de Kazan en 2003, Nabe lui rend hommage, ainsi qu’à trois autres cinéastes décédés quasi en même temps : Jean Yanne, Leni Riefensthal et Maurice Pialat, dans un texte non repris en volume publié dans La Vérité :

« Quant à Elia Kazan, au lieu d’être jugé pour ses chefs d’œuvres permanents, il le sera, avant tout et pour toujours, en tant que traître et mouchard portant l’infamie du Mac-Carthysme...[2] »

À noter : autre raison pour Nabe de s’intéresser à Elia Kazan : la visite du cinéaste à un de ses confrères qui passionne également Nabe : le cinéaste turc Yilmaz Güney, en 1978, alors que celui-ci était en prison en Turquie.

Une du supplément du journal turc rendant compte de la rencontre Kazan-Güney

Citations

Nabe sur Kazan

  • « Jeudi 27 octobre 1988. — J’ai remarqué dans un programme que ce soir, la Gaumont donnait une soirée Elia Kazan. Avec deux films : La Fièvre dans le sang (pas vu) et America America (à voir absolument), “en présence du réalisateur” !!! Kazan à Paris ? C’est inespéré : ça peut pas mieux tomber. Jusqu’au bout de la Turquie. Si je pouvais le rencontrer !... Enfin, le voir seulement ce soir me suffira à en parler dans mon livre. C’est drôle comme les choses s'enchaînent. Ça fait des années que je rêve de voir Kazan à mon retour d’Istanbul, le voilà, place de la Convention...
D’abord La Fièvre dans le sang (Splendor in the Grass, 1960), film poignant sur le gâchis des amours fous par les parents et la morale puritaine yankee du Kansas des chutes d’eau et des derricks. Nathalie Wood est extraordinaire en amoureuse qui paye cher ses minauderies (une femme qui se refuse offense le Temps). Warren Beatty est très bon aussi en étudiant voulant absolument baiser. Les trois scènes fortes du film sont : celle de la baignoire où Nathalie Wood pique une crise de nerfs devant sa mère, celle de la boîte où le père boiteux de Warren Beatty délire et veut offrir à son fils une des entraîneuses qui ressemble à Nathalie, et la dernière où chacun a refait sa vie : lui s’est casé en plouc de ranch avec nouvelle femme et enfant et elle sort de dépression, toute en blanc mignonne, sur le point de se marier avec n’importe qui. Leurs destins n'ont pas su s’accorder : les bonheurs sonnent faux..
C'est un bon film de Kazan mais je préfère Sirk dans le genre mélo. Il n’y a pas dans ce Splendor in the Grass (tiré d’un poème sur l’immortalité de Wordsworth), la violence des ambiguïtés en fusion chez Sirk. La fatalité n’est pas violentée, voilà. Ça dit seulement qu’il faut accepter le bonheur limité car le désir de perfection entraîne la névrose... Le message de Kazan est trop clair : “Il faut renier ses idéaux de jeunesse si on veut avancer.” Les carnages d'êtres ne sont pas oppressants : c’est dû certainement au contexte estudiantin de l’amourette qui tourne mal (suicide, séparation). Kazan a fait mieux. Connaissant mieux que personne l’antisentimentalité d’Hélène, je suis d’autant plus étonné qu’elle soit bouleversée par ce film...
Toute la salle applaudit quand ça s'éclaire et Elia Kazan apparaît : costume croisé gris, vivacité incroyable pour un octogénaire. Les photographes pétaradent et, sans laisser la salle se remettre, l’Anatolien attend les questions, nerveux et cassant. Comme je veux laisser passer un tour, un connard l’interroge d’emblée sur son affaire de maccarthysme. En plein dans la tarte à la crème ! Très justement énervé, Kazan répond en français et sèchement, avec des vannes et en faisant agressivement sa pub pour son autobiographie qui sort en janvier chez Grasset. (“Très bon livre, oubliez tous les autres, lisez celui-là !”) Au moment où j’empoigne le micro, et avant même que je lui pose ma question (« Que reste-t-il de votre âme en Turquie ? »), il s’en va vexé par l’emmerdeur précédent. Décidément, les Français sont trop bêtes ! Kazan marche vite dans l’allée, il fuit, très agacé... Le “débat” n’a pas duré dix minutes... Les organisateurs font un peu la gueule, et moi donc ! Je reste tanqué sans avoir pu parler, le micro à la main ! Juste moi... C’est trop drôle... Par politesse de politis, je n'ai pas voulu l’interroger en premier : puni ! Si c’est moi qui avais commencé, Kazan devenait charmant pour toute la soirée... Il aurait bien sûr parlé volontiers de ses racines.. Tant pis... » (Kamikaze, 2000, pp. 2908-2909)
  • « Un grand type s’approche de moi. Il porte une chemise orange à poignets mousquetaires (sans boutons de manchettes).
— Vous reconnaissez cette photo...
— Oui, c’est pris du film America, America... On n’oublie pas ce visage... Stravos !
— J’ai joué dans ce film, monsieur ! Figurant chez Kazan... Ici, puis Bey Elia a eu des problèmes avec la censure turque... Büyük problem... On a poursuivi des scènes à Athènes.
America, America ! Je revois l’affiche de Siné, son formidable dessin de chaussures à la Van Gogh ! Bob est grand. Il a tout résumé. Dans cette paire de souliers avec le rouleau de papier qui rappelle le plan inoubliable du film. Toute l’émigration est contenu là comme un sanglot. Pour tous les Gréc-Turcs du monde, America, America reste le film des films. Les séquences sont éblouies par la violence de la mémoire. “Grec de sang, Turc de naissance, Américain parce que mon oncle a fait un voyage.” Dans ce film comme dans les autres, Kazan a disloqué l’Amérique : Ameriki !... Tout le monde insiste sur l’hommage vibrant du racailleux à la civilisation, mais le film raconte d’abord ce qui précède l’Eldorado, au-delà de la mer Égée... L’Amérique est toujours un but, et comme tel ne vaut pas les moyens d’y parvenir. L’Amérique est sur le chemin de l’Amérique.
Le titre le dit bien. Fantasme, fantasme ! Le film met surtout en valeur à la ténacité héroïque de Stravos. Le triomphe, à la fin du film, du petit émigré converti au Dieu Dollar pour vendre toute sa vie des carpettes aux Yankees n’est pas très reluisant.
Existe-t-il un continent plus anti-oriental que l’Amérique ? Kazan a ravagé la psychologie américaine, il lui a foutu un air de musique turque dans la tête. America, America c’est l’hymne de tous ceux qui n’ont pas peur de tout vivre pour atteindre la terre promise. Le Paradis ça se gagne et Stravos, là, devant moi sur cette photo, la gueule en pleurs, nous l’a prouvé pendant les trois plus belles heures du cinématographe.
America, America était d’abord un roman et moi, qui lis un roman comme si je regardais un film, je peux dire que j’ai toujours adoré les romans des cinéastes. Impossible d’admirer Erich von Stroheim sans apprécier son énorme roman-fleuve de boue Les Feux de la Saint-Jean. Quand je lis von Stroheim, j’entends des images.
Il y a dans les romans des colosses du cinéma toute la force de leur art, mais sans la maîtrise. Ils sont comme des virtuoses ankylosés : soudain leur habileté disparaît lorsqu’ils changent d’instruments. Kazan avec ses deux arrangements (le livre et le film) est parvenu aux limites de l’exploit. Après avoir écrit, et mal écrit, ce monument qu’est L’Arrangement (roman), il tourne L’Arrangement (le film) comme un musicien improvise sur le thème d’un autre. Et les deux sont des chefs-d’œuvre ! En relisant le livre, on s’aperçoit que le roman est devenu le film du film. La complexité littéraire du film répond à la difficulté de “l’écrivain” Kazan aux prises avec la matière des mots. » (Visage de Turc en pleurs, 1992, pp. 151-152)
  • « [Au sujet des nus peints par François Boisrond : ] C’est souvent la même femme dont l’image se multiplie. Rarement deux femmes différentes, comme dans L’Arrangement d’Elia Kazan où le mari, en faisant l’amour à se maîtresse, voit sur son visage se surimpressionner celui de sa femme à qui il ne le fait plus, à moins que cela ne soit l’inverse ! » (« Le courage de la fraîcheur », 1996)

Intégration littéraire

Notes et références