Morgan Sportès

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Morgan Sportès, 2019

Morgan Sportès est un écrivain et co-scénariste né le 12 octobre 1947 à Alger (Algérie française).

Liens avec Marc-Édouard Nabe

C’est le 15 février 1985, sur le plateau de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes, que Marc-Édouard Nabe rencontre pour la première fois Morgan Sportès : « Sportès, petit marquis puant, très antipathique, visiblement gêné par sa propre envie de vomir. Tout de suite je sens que c’est lui le toréador : rarement j’ai vu un minable aussi déterminté. Il évite mes regards et m’exhibe sa mâchoire.[1] » C’est Sportès qui se montrera le plus virulent sur la plateau envers le jeune écrivain, en lisant notamment à l’antenne des extraits du premier livre de Nabe, Au régal des vermines, et lui reprochant d’admirer Léon Bloy, Lucien Rebatet et Louis-Ferdinand Céline. Par cet affrontement resté fameux, les deux écrivains gagneront leur célébrité après cette émission : Nabe avec la réputation que l’on connaît, mais Sportès en essuyant finalement le rôle du méchant contre le méchant, ce qui ne lui rapportera aucun bénéfice auprès des ennemis de Nabe les plus acharnés. Par exemple, en mai 1989, dans la même interview par Thierry ArdissonBernard-Henri Lévy dit au sujet de Nabe qu’« il n’est pas exclu que ce soit un écrivain », quand le nom de Sportès est évoqué, BHL répond : « Qui c’est ? »[2]

En mars 1986, au Salon du livre, Jean-Edern Hallier impose une réconciliation forcée, mais ratée, entre Nabe et Sportès :

« Éric Neuhoff est le seul que je repère dans la foule compacte qui tente d’entrer. Charmant, aimable, rieur. Mais Hallier, lui, a vu quelqu’un d’autre : Morgan Sportès qu’il tire par le bras jusqu’à moi.
— Allez ! Serrez-vous la main ! Je veux vous réconcilier.
Sportès, aussi abject que l’an dernier, me soulève le cœur. Il rit et aimerait bien que je sois “fair-play”. Il dit : “Je lui ai fait de la publicité. Il gueule bien mais il dit des conneries.” Je refuse de sans-rancuner avec cette crapule ! Hallier se fatigue pour rien, je montre les dents et Albert n’est pas loin de s’énerver.[3] »

Un an plus tard, Hallier ruse une nouvelle fois pour se faire réconcilier Nabe et Sportès :

« Mercredi 4 février 1987. — Autre réunion pour L’Idiot international. Dans un café de la rue de Rivoli avec Jean-Edern, le patron de L’Éventail, Olivier Poivre d’Arvor, Fabienne Issartel, Cyril Platov, une inconnu et... Morgan Sportès ! Grandes retrouvailles !
— Je vous en supplie, ne vous battez pas ! dit Hallier tout content de sa manigance.
Sportès, vieilli, triste, au rictus constipard, m’ignore : c’est ce qu’il a de mieux à faire. On se fait la gueule ouverte, au milieu des autres qui nous servent d’intermédiaires. Il fait bien d’hésiter à prendre la direction de la rédaction de L’Idiot : ça m’évitera de refuser d’y collaborer. Vive la rancune ! Il m’a peut-être servi l’auréole sur un plateau mais j’ai perdu deux ans à cause de lui ![4] »

Le serrage de main aura finalement lieu en mars 1987 :

« Il me faut encore supporter l’arrivée de Morgan Sportès invité à la table de Philippe Sollers alors que j’y bois un verre en compagnie de ma secrétaire. Apéritif particulièrement désagréable où ma fatigue bleue et les rires jaunes de Sollers, sans compter les vertes tentatives de copinage de mon adversaire apostrophal, m’engrisaillent dans une tristesse remarquée. Je n’ai pas envie de rigoler ni sur Marie N’Diaye, ni sur Polac, ni sur Vergès, et encore moins sur les terroristes d’Action directe dont Sollers a l’air de trouver le destin enviable l’instant d’un dimanche soir. À la fin, Sportès me tend la main : je ne lui ferai même pas l’honneur de refuser de la lui serrer ![5] »

Les deux maudits, chacun l’un par l’autre, se côtoieront, toujours avec distance, en 1989-1990 à la rédaction de L’Idiot international où ils écriront des textes divers.

Enfin, plus de vingt ans après Apostrophes, en 2006, Nabe et Sportès se retrouvent invités dans une émission de Franz-Olivier Giesbert, à peine séparés par le journaliste Nicolas Baverez, face à Bernard Kouchner, qui sans ambiguïté sympathisera avec Nabe le « facho-antisémite-pro-terroriste » plutôt qu’avec Morgan Sportès le « situ-anti-Mao-complotiste » (épisode raconté dans le premier tome des Porcs[6]).

Citations

Sportès sur Nabe

  • « Votre livre est absolument insensé de conneries... Je peux continuer les citations : “Les juifs, c’est la race que Dieu a choisie pour souffrir, celle qui a la chair de Christ dans son coffre-fort ou dans son petit porte-monnaie pourri.” Moi quand je lis une phrase comme ça, je suis assez inquiet. Il parle de la subjectivité, mais je crois qu’il est complètement paumé dans sa subjectivité... Il a un rapport à l’autre qui est dangereux. Employer ce genre de phrase, c’est pas drôle... C’est pas de l’ironie ça. C’est de l’ironie qui fait semblant de nier ce qu’elle affirme. » (Apostrophes, Antenne 2, 15 février 1985, repris dans « Le scandale absolu », Coups d’épée dans l’eau, 1999, p. 17)

Nabe sur Sportès

  • « À ce moment, tout bascule : cette crapule de Sportès sort ses petits papiers de sa sale poche et lit tout haut deux phrases sur les Noirs m’accusant de bananianisme et en ironisant sur mon allure vestimentaire... Je vois bien que Pivot n’a pas l’intention de reprendre les rênes du débat. C’est Sportès qui hausse le ton, me lance les Décombres et Bagatelles à la gueule, les enfants envoyés aux fours par Brasillach, etc. [...]
Je sens le traquenard et je m’y jette. Quel choix autre m’est offert ? Baisser la voix devant les rires forcés de l’ignoble Sportès, bredouiller des repentirs ? Je me saborde en beauté, je lui donne même les armes pour me fusiller. C’est un combat sans merci. Rarement j’ai ressenti une telle lutte mentalement physique entre deux individus. Pivot est dépassé : Sportès et moi ressemblons à des lions sauvages qui se déchirent en direct. Je me sens perdant bien sûr, splendidement perdant et j’en rajoute jusqu’à accabler mon sale vainqueur de sa si dégueulasse victoire dont il se gorge la tête au ciel avec des airs d’artiste inspiré... [...]
Pivot veut présenter le dernier roman de Sportès. C’était un coup monté pour rattraper un Apostrophes vieux d’un an et que Pivot devait au salaud gluant... Je comprends tout ! Je dévoile au public cette magouille et je ne peux pas me contenir.
— Vous êtes content, Pivot ? On n’a pas parlé de mes parents, du jazz, de tout mon livre. Vous gardez les dernières minutes pour sa Dérive des continents de merde !!! » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 820-821)
  • « Samedi 1er juillet 1989. — [...] À la Bastille, alors que je me dirige vers la rue du Faubourg-Saint-Antoine, je tombe sur... Sportès. Il me dit : “Comment va le génie ?” Il attend le bus comme un malheureux. Lui est fâché avec Hallier. “Ce sont des staliniens, avec Sollers, ils se font une seconde jeunesse sur notre dos.” En attendant, il crève d’envie d’écrire dans L’Idiot. “Il faudrait une vraie équipe de journalistes.” Il me tient des propos désabusés sur Grasset, “cette crapule d’Enthoven” et sur les salauds de Globe qui ne l’aident pas. Pourtant, avec tout ce qu’ils lui doivent, à lui, l’anti-Nabe historique ! Ils ne sont pas très reconnaissants... Sportès dit que Grasset lui a massacré la sortie de son dernier roman... On est tous aussi mal traités. Il faudrait créer une maison d’éditions d’écrivains, comme une revue qui serait indépendante et qui les emmerderait tous... Le bus arrive, il manque écraser Sportès, c’est moi qui lui prends le bras pour l’écarter du “danger”. Pauvre Sportès, je n’arrive même plus à lui en vouloir. Lui aussi s’est fait baiser dans l’affaire, et plus que moi peut-être encore... » (Kamikaze, 2000, p. 3330)
  • « Kouchner en chemise blanche était donc prêt à nous affronter. Nous, c’était moi ; l’abruti économiste Nicolas Baverez ; et ce vieil ectoplasme de Morgan Sportès – mon adversaire historique à Apostrophes en 85 – que je retrouvais là, grossi, gonflé, les cheveux teints, avec toujours la même voix insupportable, et les propos péremptoires d’un ténor raté de l’anti-gauchisme vieillissant !
Sportès venait pour un livre qui s’appelait Maos, soi-disant révolutionnaire contre les soixante-huitards reconvertis, mais publié chez Grasset... C’était facile de dire du mal de la génération Glucksmann, Bruckner, et Kouchner ici présent. Oserait-il cracher sur Bernard-Henri Lévy, son éditeur ? Évidemment pas. C’est d’ailleurs avec Sportès que Kouchner s’accrocha avec le plus de virulence. Quel mépris ! Sportès n’avait jamais eu la grâce, il n’y avait pas de raison qu’il l’acquît entre 1985 et 2006.
Plusieurs fois Kouchner l’envoya chier, le traita de « ridicule », il lui renvoyait ses insultes, « caniche de l’Amérique », « larbin » du maoïsme de Castro, etc. Je serais volontiers moi-même entré dans la gueule de Kouchner pour bien d’autres raisons, y compris la guerre en Irak, mais, comme dans un déplacement de haine, c’est Sportès, pris dans une sorte de sacrifice intime (auquel indirectement et symboliquement j’étais lié, ne serait-ce que par notre histoire commune), qui se reçut la volée de bois vert du bon Docteur Kouchner.
L’anti-américanisme de Sportès était juste mais mal orienté, c’était le cas de le dire : aucune connaissance de l’Orient, ce n’est pas ça qui l’intéressait. Il affirma, à un moment donné, particulièrement grotesque, que les maoïstes français avaient été, pendant les années 70, entièrement pilotés par la CIA ! Ce n’était pas un hasard si la mort de Pierre Overney correspondait à la visite de Nixon chez Mao Tsé-Toung... [...]
On se retrouvait avec Sportès encore antagonistes, mais différemment. Chez Pivot, il avait attaqué les fascistes et défendu les Juifs (moi, c’était le contraire) ; chez FOG, il attaquait les maoïstes et défendait les situationnistes (alors que moi, j’attaquais les Américains et défendais les musulmans). Rien à voir ! Et notre anti-yankisme aurait pu, ce jour-là, être compatible, sauf qu’une ligne de fracture, à nouveau, s’était dessinée, et personne ne s’en aperçut : Sportès était conspirationniste, et moi je ne l’étais pas ! Un conspirationniste a posteriori sur les années 70, tandis que moi j’étais un anti-conspirationniste, en direct du XXIe siècle...» (Les Porcs tome 1, 2017, pp. 349-350)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Nabe’s Dream, Éditions du Rocher, 1991, pp. 819-820.
  2. Lunettes noires pour nuits blanches, Antenne 2, 26 mai 1989.
  3. Marc-Édouard Nabe, Tohu-Bohu, Éditions du Rocher, 1993, p. 1522.
  4. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, pp. 2010-2011.
  5. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, p. 2054.
  6. Marc-Édouard Nabe, Chapitre CIX « Chez FOG pour les Morceaux », Les Porcs tome 1, anti-édité, 2017, pp. 348-351.