Martin Scorsese

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Martin Scorsese

Martin Scorsese est un réalisateur né le 17 novembre 1942 à New York.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Pas très convaincu par Taxi Driver (1976) qu’il a découvert à sa sortie, pas plus que par New York New York (1977), qu’il jugea « bluette sentimentale » bien que le héros saxophoniste ténor joué par Robert de Niro soit doublé par un des compagnons de Benny Goodman et Charlie Christian, le blanc Georgie Auld, ni par Raging Bull (1980) sur lequel le jugement de Nabe colle parfaitement à celui de Claude Lelouch sur ce même film de Scorsese (« Il connaît rien à la boxe, mais c’est beau. Les combats de boxe sont nuls, mais le reste est réussi. Tout ce qui touche à La Motta est formidable. La boxe, c’est autre chose. Quand j’ai fait Édith et Marcel, j’ai regardé les combats de Marcel Cerdan, on les a disséqués et on a essayé de les reproduire, mais c’est pas spectaculaire. Un vrai coup en boxe, il est pas spectaculaire. C’est à peine si on le voit.[1] »), Marc-Édouard Nabe s’intéresse vraiment à Martin Scorsese à partir de La Valse des Pantins. Selon son habitude, il racontera, mêlé à son analyse, le film en entier, avec enthousiasme, dans son journal intime :

« Dimanche 18 décembre 1988. — [...] Le soir, à la télévision, je vois — hélas en français — le film génial de Martin Scorsese sur le “vedettariat” The King of Comedy (La Valse des pantins) avec De Niro et Jerry Lewis (fabuleux fabuleux). Très grand film qui me fait jouir, tant la vision de la télé y est juste. Encore une pièce à verser au dossier “Spectacle”. Jusqu’où l’image peut-elle aller ! Quelle richesse ! Il faut parler de ça, c’est le seul sujet de notre époque. Je pense à mon Rideau.[2] »

À noter : ayant eu la chance en 2005 de passer toute une soirée avec Jerry Lewis, venu en client avec Pierre Étaix au club de jazz Le Petit Journal où Nabe joue avec son père, l’écrivain parlera avec l’acteur de sa composition magistrale en Jerry Langford dans The King of Comedy.

Toujours en 1988, Nabe enchaînera avec La dernière tentation du Christ, film de Martin Scorsese sur la vie de Jésus, adapté du livre de Nikos Kazantzakis, critiqué par l’Église catholique et dont la projection dans un cinéma parisien du quartier Saint-Michel a donné lieu à un incendie criminel. Nabe racontera La Dernière Tentation, presque plan par plan commentés, d’une façon aussi cinématographique que religieuse, dans son journal intime. Passionné évidemment par le sujet (une sorte d’uchronie christique) et en pleines réflexions pour ce qui deviendra le livre L’Âge du Christ, Nabe inclura la version scorsesienne du destin de Jésus dans le cadre plus théologique de son ouvrage racontant ce qui l’a amené à faire sa première communion à Jérusalem le jour de ses trente-trois ans (L’Âge du Christ, 1992).

À noter : L’auteur de Printemps de feu (2003) reparlera de Scorsese et de La Dernière Tentation, dans un Éclat intitulé « La vérité sur la charité », filmé en avril 2016 et mis en ligne un an plus tard[3].

Quant à ce que les Scorsesiens officiels qualifieraient de diptyque « mafieux » (Les Affranchis/Casino, 1990/1995), Nabe s’y intéressera mais d’un œil plus critique.

En 1991, à sa sortie au cinéma, Nabe (avec Diane Tell) découvre et s’enthousiasme pour le nouveau film de Scorsese qu’il considère comme son meilleur[4]. En effet, Cape Fear (Les Nerfs à Vif), plutôt jugé comme un « Scorsese » mineur, est un remake du film de 1962, avec Gregory Peck et Robert Mitchum, et que Scorsese a redimensionné d’une façon quasi-biblique avec un Robert de Niro et un Nick Nolte exceptionnels. La dimension justicière de ce repris de justice et épris de justice qu’incarne De Niro, cherchant à sauver, par la punition, l’âme corrompue de son avocat, jusqu’à se sacrifier avec lui, ne pouvait qu’enchanter le futur auteur de « Vive le Coronavirus ! » (2020)...

En 2002, Nabe fait encore allusion dans Alain Zannini au film Les Nerfs à vif, dans un passage mettant en scène la famille ardennaise d’Hélène prise dans une inondation, et en particulier la figure du père, grand catholique, cherchant à imposer avec violence le salut de l’âme de son épouse :

« Roland donne de grands coups de trompe dans la figure de Lucienne qui saigne, pleure, pisse, on ne sait plus ce que sont ses liquides, c’est atroce comme il s’acharne, le Noé : “Tu m’as fait quatre beaux enfants, hein ? Saloperie ! Tu n’as pas honte ? Tu dois payer ! Je te sauve, imbécile !” C’est Cape Fear puissance mille ! “Pardon ! marmonne la mère. Pard...
— Trop tard, pouacre pource !” Roland veut le salut de l’âme de Lucienne, il cogne si fort pour ça qu’il casse sa trompe en deux, là, sur le crâne de sa femme. C’est biblique, ou quoi ?[5] » 

Dans le premier tome des Porcs (2017), il reviendra également sur le film :

« Sur le cinéma, je m’aperçus que Moody était bien faible. Il trouvait nul le Cape Fear de Scorsese, pur chef-d’œuvre remake mise-en-abymien extraordinaire ! Il fallut que je le reraconte et que je lui explique...[6] »

À noter : en 2007, Nabe profitera de rencontrer, après la représentation d’une pièce où jouait son amie Claire Nebout, l’acteur Jacques Frantz qui n’est autre que celui qui double quasiment tous les films où Robert de Niro apparaît, et donc y compris Cape Fear. L’écrivain demanda au doubleur s’il avait eu des indications précises pour restituer en version française les glossolalies que De Niro-Max Cady prononce au moment où il est englouti dans l’eau boueuse lors de la scène finale.

Mais Nabe délaissera peu à peu les dernières productions du cinéaste américain d’origine italienne pour deux raisons principales (sans compter les « navets » Le Temps de l’innocence et Kundun) : d’abord, le ratage complet d’un biopic de Howard Hugues, Aviator (2004), avec Leonardo DiCaprio ; ensuite, la réalisation, inacceptable pour un soi-disant amateur de jazz comme se prétend Scorsese, d’un documentaire sur les Rolling Stones en 2008, suivi d’un autre sur George Harrison en 2011 et un dernier sur Bob Dylan en 2019.

Dans ses livres, Nabe fera régulièrement allusion à Scorsese et à ses films. En 1992, La Valse des Pantins dans Rideau :

« Heureusement, le Fellini de Ginger et Fred, et surtout Scorsese avec King of Comedy ont sauvé l’honneur du cinéma de ces dernières années. Les deux pantins dont la valse nous est présentée atteignent la dimension donquichottesque qu’on trouvait déjà dans le tout premier film antispectaculaire : Le Schpountz de Marcel Pagnol. Robert De Niro est un arriviste hystérique qui veut régner sur le public télévisé comme son idole Jerry Lewis, star pro du show gerbant à l’américaine. Le comique en herbe mais déterminé finit par kidnapper son dieu, et ainsi obtenir la célébrité dont il rêvait. Les deux personnages, aussi passionnément nuls, et pirandellienement paumés, sont portés au sublime de la misère humaine par la caméra de Martin Scorsese, moraliste hors pair qui raconte là, avec toutes les qualités qu’on peut imaginer, la vengeance suprême des êtres vidés de leur âme par la télé. Si le cinéma a encore une mission, c’est bien de nous montrer ça.[7]

La Couleur de l’argent dans Nuage (1993) :

« Il faut s’arrêter un instant sur le billard. Toujours un hobby que Django Reinhardt pratiquait comme un métier. Dans sa petite ville de Samois, certains ne le connaissaient d’ailleurs pas autrement que comme un champion des “trois-bandes”. Comme Paul Newman — de L’Arnaqueur à La Couleur de l’argent — retrouve peu à peu sa flamme de grand champion au cours d’une chute rédemptrice, Django, grâce au billard, sortit meilleur de son exil spleenétique. Il pouvait, tel le héros de Martin Scorsese, s’écrier en se regardant dans une boule d’ivoire : “I’m back !”.[8] ».

Puis dans Lucette (1995), par la voix de Jean-François Stévenin qui compare les nazis aux Affranchis scorsesiens :

« Toute cette bande, c’était quand même des nases fondamentaux. C’est Les Affranchis de Scorsese ! “Wiseguys” ! La tâche de Himmler qui passait ses journées dans son poulailler à étudier la merde de ses volailles, le gros Goering qui se faisait une ligne de cocaïne toutes les dix minutes, ce porc de Bormann, queutard fini qui picolait tellement qu’il n’arrivait plus à trouver sa bite même avec un plan.[9] »

En 2011, Nabe laisse le narrateur de son roman, L’Enculé, Dominique Strauss-Kahn, comparer son avocat, Benjamin Brafman, à l’acteur Joe Pesci dans trois films tournés avec Martin Scorsese :

« Tout petit et tiré à quatre épingles, ou plutôt à une seule : je remarque qu’il a une épingle à nourrice qui traverse son nœud de cravate. Little Big Dandy... C’est le sosie de Joe Pesci dans Raging Bull... Benjamin Brafman ! Ma chère, quel luxe ! Non, dans Les Affranchis plutôt... Lui c’est un crack, il ne va faire qu’une bouchée de cette mésaventure. Il a tiré Michael Jackson de l’accusation de pédophilie pourtant bien enfoncée dans le cul de l’opinion mondiale. C’est les doigts dans le nez qu’il a sorti Puff Daddy du caca. Et il a accepté de prendre mon affaire en main... Il s’assoit avec son petit corps de tueur près de moi, sur le banc. Taylor reste debout, il est trop grand de toute façon... Ben cause. Finalement c’est dans Casino que Pesci lui ressemble le plus.[10] »

Citations

Nabe sur Scorsese

  • « Dimanche 18 décembre 1988. — [...] Pauvres situationnistes ! En un film, Scorsese en a dit mille fois plus qu’eux dans leurs misérables théories “internationales”... Cette Valse des pantins (en français, le titre mouille mieux les deux principaux protagonistes), je n’ai pas fini de m’en servir ! Sans aucune dérision, avec cette absence d’humour qui rend pathétique la drôlerie, ce Scorpion de Scorsese a tout compris. Il suffit de raconter ce qu’on voit.
Déjà le générique est faux : il ne s’agit pas de celui du film que nous regardons mais de celui du show de Jerry Langford (Jerry Lewis magnifiquement à contre-emploi), débile fiesta à la Jean-Pierre Foucault/Jacques Martin. À la fin, le dieu vivant de la connerie a du mal à prendre sa voiture tant la foule de groupies le bouscule. Un type inconnu aide Jerry : arrêt sur l’image, vue de l’intérieur de la bagnole, sur les mains d’une dingue qui a réussi à entrer. C’est là que le vrai générique défile : The King of Comedy, par Martin Scorsese. La scène redémarre ensuite avec l’inconnu dans la voiture qui a pris la place de la fan auprès de Jerry. C’est De Niro (Rupert Pupkin), ringardisé sublimement (coiffure, moustaches, costume bleu ciel, chaussures blanches), un comique en herbe qui ose demander au grand Jerry de l’aider à devenir à son tour le Roi du Spectacle... Jerry se débarrasse de Rupert Pupkin en fixant un vague rendez-vous au petit malin. Pour obtenir son entrevue avec l’idole, Rupert lui montre sa main blessée dans la bagarre ; Jerry lui offre un de ses mouchoirs initialés et il s’en panse avec (erreur de raccord : sur plusieurs plans le mouchoir-pansement disparaît...).
Rupert est aussi un rêveur. Chez lui, il a découpé des silhouettes en carton grandeur nature : Jerry et Liza Minnelli. Il se fout au milieu et mime un show où il serait invité, très à l’aise, riant des blagues que le Jerry en carton prononce dans sa tête à lui. À un moment, Rupert teste son “numéro” irrésistible devant une foule en délire mais en photo surtout... Il n’est interrompu dans sa “psycho” que par la voix de sa mère (c’est celle de Scorsese lui-même) qui le tance. Rien ne le décourage : il va plusieurs fois au bureau de Jerry pour son rendez-vous. Au début, les standardistes, les secrétaires, le videur même sont gentils avec lui. Rupert insiste, menace de rester tout le week-end dans le hall si on ne le laisse pas voir Jerry. Finalement, il apporte une cassette de son “tour”. En attendant la réponse, il retrouve la fan de la voiture qui elle aussi veut sa part de Langford : Rupert se comporte crânement avec elle comme Jerry s’est comporté avec lui. Jerry, parlons-en, c’est, en dehors de son show mythique (que Scorsese intelligemment élude), un pauvre type seul et névrosé divorcé triste. C’est ça que veut devenir Rupert. Jerry n’est vivant que dans les fantasmes de son fan qui rêve toujours à des scènes symptomatiques qu’on voit : lui et Jerry copains au restau, parlant boulot, rivaux en vedettariat. Ou bien lui, Rupert, reçu au Langford Show pour se marier en direct — après une page de pub — et pour de vrai avec la serveuse d’un bar minable dont il est amoureux. Ces passages où il “s’y croit”, Scorsese ne les a pas mis dans une bulle de fumée, ils s’enchaînent dans la vie quotidienne du pantin : on sait très bien quand Rupert déconne... Jusqu’au moment où, bien habitués à ses dérapages, on se fait baiser par le metteur en scène : après s’être vraiment fait virer méchamment du bureau de Jerry où on l’a assez humilié, Pupkin bascule. À la scène suivante, on le voit arriver très à l’aise dans la maison de campagne de son idole avec sa serveuse pour le week-end comme il le lui avait promis. Un instant d’hésitation : il rêve bien ? Non, le majordome chinois nous fait comprendre que ça y est, Rupert a disjoncté : il réalise ses rêves. Jerry, appelé d’urgence, débarque chez lui en short avec son club de golf comme s’il arrivait chez Rupert, qui plaisante avec son “ami”. La serveuse, à la gueule et aux menaces de Jerry, comprend que Rupert le mégalo-mytho s’est invité. Jerry domine mal son antipathie et les vire tous les deux mais Rupert est grandiose dans la culotterie blessée, le panache hirsute... Il est vraiment passé de l’autre côté, pas celui des médias, mais celui de la réalité des médias... Il n’y aura plus besoin de rêve puisque Rupert a décidé de faire de son rêve la réalité. Il ne s’arrêtera plus. Transposeur sublime par ringardise absolue, il nous épate. On croit en lui, on ne lui en veut même pas. Il est à la hauteur des catastrophes qu’il suscite. Qu’il ait du talent ou non, il a raison.
Rupert Pupkin est prêt pour le terrorisme. Avec la fan dingue, il décide d’enlever Jerry ! En pleine rue, avec une facilité terrible, ils le jettent dans leur voiture et le cachent quelque part. Jerry, qui n’a jamais beaucoup ri, garde le silence sauf pour jérémiader, sous la menace d’une arme, sur sa condition de pauvre star déboussolée qui a perdu le sens de la vie et des humains. Il s’excuse même, cette espèce de Patrick Sabatier kidnappé ! Rupert ne se laisse pas attendrir, il le fait téléphoner à son bureau (croyant entendre un imitateur, on raccrochera plusieurs fois au nez de Langford soudain réduit à subir les traitements qu’a subis son ravisseur) pour signaler son rapt et communiquer les conditions de sa liberté. Extraordinaire Rupert présentant, parfois à l’envers, avec des fautes, en désordre, des panneaux où sont écrits les mots que doit prononcer sa proie coincée. Le “bras cassé” fait tout tomber mais le message est passé : il exige d’être l’invité exceptionnel du show du soir pendant dix minutes avec son numéro (clean assure-t-il. La télé, la police, tout le monde est obligé d’accepter sinon la fan déjantée tirera une balle dans la tête de Langford quand elle aura fini de tricoter le beau pull rouge qu’elle essaie sur lui, objet star de ses désirs !... Après l’avoir bien ligoté et bâillonné avec du chatterton, Rupert abandonne Jerry aux mains de la folle qui vampe sa star momifiée — jusqu’à se déshabiller et le délivrer pour qu’il la baise. Jerry en profite pour la désarmer (le revolver était en plastique !) et s’enfuir. Trop tard ! Rupert est passé à la télé, en plein Langford Show. On n’a pas vu son numéro pendant qu’il l’enregistrait, mais Scorsese nous le montre diffusé par le petit poste du bar de la serveuse où Rupert s’est fait amener par les flics avant de se laisser arrêter. La serveuse n’en revient pas : il a réussi, il est vedette ! Rupert à la place de Jerry ! La mégalomanie a triomphé de la mégalomanie... Le King est né. Schpountz Ier ! Son “tour” n’est pas plus mauvais que ceux des “pros” de la débilité habituelle. Sorte de Lenny Bruce au rabais, Rupert crève l’écran. Il fait six ans de taule pendant lesquels il écrit ses mémoires, King of a Night, et en sortant il devient célébrissime pour avoir enlevé l’ex-star Jerry, oubliée, ringardisée par le ringard ! Il vend ses petits pains et est sacré héros à son propre successful show !... La morale est sauve qui peut. Comme le dit ce grand philosophe andy-warholien de Rupert Pupkin : “Il faut mieux être le roi d’un soir qu’un con toute sa vie !” » (Kamikaze, 2000, pp. 2993-2996)

  • « Scorsese, en revanche, avec sa Dernière Tentation du Christ, ne s’est pas attiré les grâces de l’Église officielle. Quelles foudres ! Et pourtant, les traditionalistes auraient dû apprécier que, dans son film, Jésus résiste à Sa dernière tentation et que Sa reconversion en homme normal, marié et père de famille ne soit qu’un affreux cauchemar dont Il se réveille pour reprendre la grandeur de Sa mission. C’est le résultat qui compte : Jésus sur la croix. Arriviste perturbé ou pas, Il réussit à souffrir pour nous ! Nos cardinaux ont préféré condamner le film sans le voir : c’était plus sûr, d’autant qu’ils n’avaient pas lu le livre de Kazantzákis dont le scénario est directement tiré. Dans sa naïveté italo-américaine, Scorsese voulait donner par cette métaphore para-évangélique, une image plus humaine de Jésus, mais les catholiques orthodoxes n’en veulent pas de l’humanité de Jésus et sur ce point précis on ne peut pas leur donner tort. Faire d’un dieu qui s’est fait homme un homme qui s’est fait Dieu, ça a un très beau nom : le nestorianisme. » (L’Âge du Christ, 1992, p. 49)

  • « Pas de quoi fouetter un Christ. Le film est moins décevant que le scandale qu’il a suscité, mais j’ai préféré La Valse des pantins ou Raging Bull... Scorsese, ici, en fait trop dans le pas assez. Son complexe vis-à-vis de Dreyer, Pasolini, Nicholas Ray ou même King Vidor s’est transformé en mépris pour lui-même, pour ses possibilités de cinéaste. Ce n’est pas l’hollywoodisme de la mise en scène et des acteurs très yankee qui me gêne, c’est le refus systématique d’approfondir esthétiquement les points théologiques de la fable blasphématoire de Kazantzakis. Il faut que je lise le livre pour comparer. D’ailleurs, je pense que Kazantzakis a piqué l’idée dans une parabole d’Oscar Wilde : le Christ s’évade du tombeau et retourne à Bethléem pour faire le menuisier ; un jour Paul arrive au village pour prêcher et Jésus est le seul qui ne l’écoute pas, on le reconnaît à ce qu’il cache ses mains percées... L’histoire du rêve est une trouvaille, c’est indiscutable et c’est bien que ce soit un rêve, même si ça n’a pas suffi à calmer les intégros. Que Jésus pût être tenté in extremis par une vie banale n’a rien de si révoltant : les iconoclastes et les iconodules à Byzance s’étripaient pour pire. Scorsese l’a joué petit bras : il filme timide. C’est son film le moins violent. Comme paralysé devant le sujet, il perd son scorsesisme : la voilà l’hérésie ! S’il avait tourné La Dernière Tentation du Christ comme Taxi Driver, c’était un chef-d’œuvre et donc ça n’aurait pas fait scandale. Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale aujourd’hui, c’est qu’il s’attaque toujours aux faiblesses d’un grand artiste, jamais à sa force. » (Kamikaze, 2000, pp. 3011-3012)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. « Le vidéo club de Claude Lelouch », Konbini, YouTube, 22 mai 2019, voir : https://youtu.be/qDG_xC8qxxw?t=34
  2. Marc-Édouard Nabe, Kamikaze, Éditions du Rocher, 2000, p. 2993.
  3. Extrait de l’Éclat, « La vérité sur la charité », 2016
  4. « Comme dans Cape Fear, mon film préféré de Scorsese : je l’ai vu avec Diane, avec Hélène, avec d’autres... Toutes mes femmes et tous mes amis y sont passés. Extraordinaire apologie de la rédemption : Robert De Niro (le deuxième meilleur acteur du monde) joue le rôle d’un taulard dont le corps est entièrement tatoué, entre autres de versets de saint Jean. Une fois libéré, il cherche à tout prix à faire avouer à son avocat marron que c’est à cause de lui qu’il a fait quatorze ans de prison pour un viol non commis. L’autre se défend, se cache, engage des tabasseurs, porte plainte, mais De Niro est toujours là, invincible et juste, il poursuit le pécheur... Il persécute la maîtresse, la femme, l’enfant du bon bourgeois perdu dans le seul but de sauver son âme, comme si c’était son double dans la fausse loi des hommes (lui qui agit pour la vraie loi de Dieu). Quitte à faire exploser sa cellule familiale et sociale, le coupable doit se laver de sa faute. C’est après une bagarre “apocalyptique” que l’avocat viendra à bout de l’ange démoniaque de sa rédemption. Brûlé par de l’huile bouillante (ça ne vous dit rien ?), sanguinolent, en lambeaux, attaché par des menottes sans pouvoir se libérer à un bateau qui coule fracassé par la tempête, le Titan du Bien n’a reculé devant aucun mal, et finit par se noyer dans la boue du déluge qu’il a provoqué, en citant la Bible dans des glouglous grandioses !... », Alain Zannini, 2002, pp. 218-219.
  5. Marc-Édouard Nabe, Alain Zannini, Éditions du Rocher, 2002, p. 367.
  6. Marc-Édouard Nabe, Les Porcs tome 1, anti-édité, 2017, p. 952.
  7. Marc-Édouard Nabe, Rideau, Éditions du Rocher, 1992, p. 68.
  8. Marc-Édouard Nabe, Nuage, Le Dilettante, 1993, p. 56.
  9. Marc-Édouard Nabe, Lucette, Gallimard, 1995, p. 267.
  10. Marc-Édouard Nabe, L’Enculé, anti-édition, 2011, p. 29.