Chaïm Soutine

Sauter à la navigation Sauter à la recherche
Chaïm Soutine

Chaïm Soutine est un peintre né en 1893 ou 1894 à Smilovitchi (Empire russe) et mort le 9 août 1943 à Paris (France)

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Influence picturale majeure de Marc-Édouard Nabe depuis sa découverte du peintre russe lors de la rétrospective Soutine à l’Orangerie en 1973, Soutine trouve également une place dans sa littérature. En 1986, dans Zigzags, Nabe fait un grand portrait de Soutine, dans un texte intitulé « Exaltation d’un soutinien »[1]. En 1989, pour L’Idiot international, Nabe se rend à Chartres pour rendre compte d’une exposition Soutine.

En 1998, dans l’émission Le Gai Savoir, présentée par Franz-Olivier Giesbert sur Paris Première, à l’occasion de la sortie de Je suis mort, Nabe évoque les descriptions de la putréfaction du cadavre, inspirées par le travail de Soutine :

Franz-Olivier Giesbert : Vous parliez tout à l’heure de nuages, de belles choses comme ça, mais en fait, c’est aussi un livre sur la putréfaction.
Marc-Édouard Nabe : La putréfaction, c’est une belle chose aussi.
F.-O. G. : Oui ? Alors racontez-moi...
M.-É. N. : C’est de la peinture. Vous savez, moi j’écris un peu comme on peint. Je suis beaucoup plus influencé par les peintres comme Soutine, Kokoschka, que par des écrivains. Donc quand je décris le corps dans sa putréfaction, dans son opéra putréfactif, j’essaie d’en faire de la peinture.
F.-O. G. : Vous êtes vraiment convaincu que vous allez nous faire croire que c’est beau la putréfaction ? Soutine... Je suis désolé, il n’a jamais peint des corps pourris. Il a peint des cadavres écorchés, il n’a jamais décrit la pourriture.
M.-É. N. : Non ? Je suis prêt à parler de Soutine. Pourquoi pas, c’est un beau sujet. Quand il se faisait livrer des quartiers de viande des abattoirs de Vaugirard...
F.-O. G. : Ça avait tendance à pourrir parfois, c’est vrai...
M.-É. N. : Et Soutine était obligé d’arroser ses carcasses modèles de sang frais pour que la chair reprenne la rutilance dont il avait besoin pour faire son tableau. C’est un des artistes qui en effet m’a le plus impressionné.[2]

Citations

Nabe sur Soutine

  • « Personne comme Soutine lucide sur l’incommunicabilité, l’inutilité de la peinture, la haine de l’exposition, tout ce qui me préoccupe… Il en arrive à cette sagesse : peindre et détruire ce qu’on a peint. Il n’y a rien à faire avec la peinture. Soutine a lacéré plus qu’il n’a peint. Ce n’est pas une raison pour nous laisser des chefs-d’œuvre. Tout est là. Soutine ne sait pas dessiner. Il n’a aucune imagination : quand il fait un « remake » de grand classique (Rembrandt, Courbet, Chardin), il reconstitue le tableau de maître sur son propre motif. Les petites cartes postales à l’Utrillo ou les dérogations pour amener son chevalet au Louvre, c’est pas son genre. Toutes ses toiles sont la mise en tragédie du modèle. Pour peindre quelque chose, Soutine est prêt à tout. Une très vieille femme m’a raconté un jour que Soutine avait fait le portrait d’un officier S.S. pendant l’Occupation ! Le nazi passionné par son œuvre avait rasé les murs de la villa Seurat où se cachait le peintre tragique et l’avait supplié de le peindre. On imagine Soutine sous les sirènes, brossant dans les tremblements en quelques heures, l’uniforme vert, la croix, la casquette et la tête angoissée et exaltée de son amateur le plus irréductible ! La peinture n’a pas d’odeur ! » (« Exaltation d’un soutinien », Zigzags, 1986, p. 254)
  • « Dès que je vois un Soutine par exemple je ressens tellement ce qu’il a fait qu’il me vient une irrépressible envie de peindre, un tord-boyaux de désir sexuel terrible qui me terrasse sur place : il me FAUT peindre. Je me rappelle qu’après avoir visité l’exposition de Lucerne, j’ai erré dans toute la ville à la recherche d’un magasin de peinture pour m’acheter de quoi brosser immédiatement. (Nabe’s Dream, 1991, p. 535)
  •  « Pour me calmer, je regarde longuement un extraordinaire Soutine inconnu dans la vitrine de chez Melki, le marchand de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. 1923 : cinquante-cinq millions. Splendide paysage ! Soutine n’a jamais bougé d’une once dans mon idolâtrie depuis la rétrospective de l’Orangerie en 1973. Chaque fois, c’est toujours génial en moi. Pourquoi suis-je si sensible à ces volailles pendues ? Je pense que s’il avait continué Soutine en serait arrivé à peindre des enfants morts, accroché à une poutre, comme ses dindons. Et non par cruauté comme on pourrait le croire de tout ce que peint Soutine. C’est son destin de peindre la mort sans aucune complaisance, comme seule la vie peut l’imaginer. (Nabe’s Dream, 1991, pp. 696-697)
  • « Les personnages de Soutine sont des êtres pris en flagrant délit de cadavérisation. Chacun d’eux pourrit dès qu’il ne se croit plus observé. Soutine les surprend en état de décomposition, c’est-à-dire en état de vérité. Dites-vous bien qu’ils posent pour la mort ces enfants de chœur, ces femmes torturées, ces communiantes tous présents à Chartres. Allez-y en pèlerinage comme des Péguy de la peinture ! Voir ces célèbres poulets pendus, ces dindes écartelées, ces viandes sacrées qui dégoulinent d’un sang pur, pur comme le sperme d’un crucifié ! » (« Soutine à Chartres », L’Idiot international n°24, 25 octobre 1989)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, « Exaltation d’un soutinien », Zigzags, Éditions Barrault, 1986, pp. 253-259.
  2. Le Gai Savoir, Paris Première, janvier 1998, retranscrit dans Marc-Édouard Nabe, « La pourriture divine », Coups d’épée dans l’eau, 1999, p. 388.