Lucien Combelle

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Lucien Combelle, 1978

Lucien Combelle est un journaliste et écrivain né le 4 avril 1913 et mort le 17 janvier 1995, à Rouen. Secrétaire d’André Gide dans les années 1930, Combelle co-fonde en 1941 la revue Révolution nationale. Jugé pour collaboration, il est incarcéré pendant sept ans à la prison de Fresnes où il est un temps le voisin de cellule de Robert Brasillach. Combelle est également cité dans la dernière lettre de Pierre Drieu la Rochelle avant son suicide, le 15 mars 1945.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Marc-Édouard Nabe connaissait Lucien Combelle de nom par ses lectures sur les personnages de la collaboration (Rebatet, Drieu la Rochelle). Il le découvre lors d’une prestation à la télévision, en dialogue avec Anne Sinclair, dans une émission diffusée en mai 1984, intitulée Résistance et collaboration, racontée dans Nabe’s Dream :

« Le clou, c’est surtout Lucien Combelle fimé chez lui ! Interviewé en différé de peur qu’un “héros” vienne le viser sur place ! Ses interventions sont immédiatement déformées par l’Aubrac et hautainement méprisées par Chaban. Combelle et sa révolution nationale, Combelle et Drieu la Rochelle (pour qui le maire de Bordeaux garde son estime) ! Combelle le rescapé, avec ses grandes oreilles et son air de jaguar battu. Il a parlé très clairement. Avec ce ton, cette voix d’outre-tombe du bagnard authentique. Combelle après ses sept ans de réclusion continue à réfléchir en lisant Libération. Il tente d’expliquer à l’ânesse Sinclair la différence entre le collabo et le fasciste. Il revendique l’idéal fasciste des années 30 qui était, dit-il, essentiellement ROMANTIQUE, et souligne la responsabilité de l’intellectuel... Combelle est un témoin précieux qu’on ne veut pas trop écouter : ça les fait tous vomir, les vainqueurs gavés d’honneurs ! À un moment, pour soi-disant le piéger, la Sinclair lui fait entendre un discours d’Henriot fulminant. On entend la voix coupante de l’éditorialiste radiophonique sinistrement ironique, anti-bolchévikement hystérique. C’était le dobermann de Vichy. Il montrait les crocs lorsqu’on s’approchait trop du Maréchal... Combelle essaie d’expliquer que l’orateur en transe avait du venin dans la gorge, qu’il hypnotisait, fakir en chemise noire, des milliers d’auditeurs, la donneuse (de leçons) lui fait les gros yeux. La gueule de Combelle approchait alors des plus belles réussites du sculpteur Bourdelle... Épaule basse, regard abyssal, cigarette qui tremble, tout simplement il murmure scandant :
Anne Sinclair, qu’attendez-vous de moi ?[1] »

Nabe communique son intérêt pour Combelle jusqu’à Jackie Berroyer à Hara-Kiri qui aussitôt lit Combelle :

« Lundi 20 mai 1985. — [...] Berroyer au téléphone. Sur le tapis encore, Lucien Combelle dont il lit Péché d’orgueil avec grand intérêt (belles pages sur Drieu et nombreuses lettres de Céline). Berroyer lisant Combelle !... Si François Cavanna savait ça ![2] »

Enfin, après son passage à Apostrophes en 1985, c’est Combelle qui remarque Nabe et, protégé à cette époque-là par l’avocat François Gibault, le vieux collaborationniste émet le souhait de rencontrer le jeune écrivain. Une première rencontre a lieu en décembre 1987 chez Gibault, rue Monsieur, et est racontée dans Inch’Allah[3].

Une deuxième rencontre entre Nabe et Combelle aura lieu plus tard, en mars 1989, après la parution du Bonheur, livre qui a impressionné cet essentiel correspondant de Céline pendant l’Occupation. Enfin, à la fin de sa vie, Combelle trouve refuge dans un hospice à Rouen au début des années 1990. Nabe s’y rend avec Serge Perrault, un danseur de l’entourage intime de Lucette Almansor. Il racontera cette ultime rencontre avec Combelle dans Alain Zannini, paru en 2002.

À noter : dans les années 1990, du temps où Pierre Assouline, journaliste et aujourd’hui membre du jury du prix Goncourt, soutenait Marc-Édouard Nabe, celui-ci s’entretenait volontiers avec lui de Combelle pour lequel Assouline s’était pris d’une véritable passion, jusqu’à l’interviewer à la radio pendant de longues heures et lui consacrer un livre : Le Fleuve Combelle (Calmann-Lévy, 1997).

Citations

Combelle sur Nabe

  • « Ce livre est une lampe plongée dans les tripes. Il a dépassé toutes les limites littéraires habituelles. C’est le livre de la fin du siècle. Il y a des choses heureuses, méchantes. Je relis chaque phrase et je me dis que ça doit aller plus loin que ça en a l’air. C’est un livre codé. Moi qui suis en train d’écrire mon enfance, ça me bloque, en particulier “Le Pont transbordeur” est un chapitre qui va m’empêcher de continuer mon livre Le Fleuve, je suis né à Rouen où il y avait aussi un pont transbordeur... Je me dis : Nabe est devant moi et il est plus vieux que moi. » (à propos du Bonheur, repris dans Inch’Allah, 1996, p. 2382)

Nabe sur Combelle

  • « On sonne, Gibault va ouvrir... Entre le sosie de Jean Valjean, massif en velours, foulard, larges oreilles, bouche années 40... Il semble impressionné de me rencontrer. Moi je le regarde et prononce lentement les syllabes de son nom...
– Lucien Combelle...
Gibault n’en revient pas de ma façon complice d’accueillir l’ex-collabo... Champagne. C’est Bob qui prépare le dîner. Nous passons à table, repoussant les énormes dossiers de Gibault qui l’encombrent. Je vois des lettres de Bokassa près de mes couverts. Entre Combelle et Bokassa ! En face, Gibault et Bob. Hélène à côté. On commence à se congratuler pour nos prestations télévisées respectives (moi où l’on sait ; lui chez Anne Sinclair, il y a quatre ans), puis la conversation s’élargit : d’Yvan Levaï (qui travaillait avec lui à Europe n°1), nous passons à Rebatet à qui Combelle ne peut pas pardonner sa rupture avec Brasillach (il prononce “Brasilac”) “mélange de douceur humaine et d’inflexibilité militante”, dont le “cas” est difficile à évoquer. Combelle demandera d’ailleurs à Hélène de cesser ses questions (“Brasillach a-t-il vraiment dénoncé les Juifs ?”)... Il évoquera également Alphonse de Chateaubriant l’aristo qui, lorsque Céline venait en voyou dans un cocktail chic avec Bébert dans une poche, s’inclinait... “Oui monsieur de Lourdines petit garçon face à Bardamu”... Enfin, Vichy, que Combelle nous décrit comme une république d’opérette essentiellement anti-américaine.
Je me lance dans des visions baroques, j’expose ma conviction que nous sommes en post-apocalypse ! Combelle a des frissons. Gibault aussi, très fier de nous avoir réunis. Combelle me couvre de compliments presque gênants sur le Régal. Pourtant cet homme en a vu ! Gide (qui lui a écrit jusqu’en prison), Léautaud (encore un personnage du Journal littéraire que je rencontre), Mac Orlan, Céline, Drieu la Rochelle, Jouhandeau : cet ex-taulard fait très gardien de zoo !
L’ancien directeur de Révolution nationale n’a pas le côté déconnecté qu’ont les autres vieux fachos que j’ai rencontrés. Combelle vit dans son temps. Il est dans le vent sans être décoiffé. Nous parlons d’Hitler, de Suarès, de Bloy et de Huysmans, de Modiano, de Céline (Combelle mouche Bob sur ses réserves), de Véronique Rebatet, de Martin Heidegger (“Ils ont découvert qu’Heidegger était nazi, qu’ils se démerdent maintenant !”), d’Elkabbach, des Deux Étendards (il n’a jamais voulu les lire), de Drieu surtout qu’il aime tant qu’il me le ferait presque aimer...
Lucien Combelle aurait pu être mort et moi pas encore né. Il se trouve qu’on est contemporain. Il représente tout un monde qui a vu la fin du monde et moi je représente le début du suivant, à peine né, dont je ne verrai pas la fin. Sa voix posée sur un édredon de silence, grave et chaude de vieux bagnard encore capable d’enthousiasme, me restera longtemps dans l’oreille. “Je suis un homme d’hier et aujourd’hui je rencontre un homme de demain” conclut Combelle avant de remonter se coucher dans sa chambre, comme si, après le temps qu’on lui avait permis de passer au parloir, il devait regagner sa cellule. » (Inch’Allah, 1996, pp. 2358-2359)
  • « J’ai toujours beaucoup aimé les vieux. Impotents de préférence. La dernière fois que j’ai vu Lucien, ce fut un plaisir, autant pour moi que pour lui. C’était Serge qui m’avait emmené. Serge, un danseur susceptible... Avec sa voiture, on est allés voir le vieux Lucien, à Rouen, dans un asile. Il était plus brillant que ma grand-mère, mais quand même. Hémiplégie salée, fauteuil roulant, gueule de traviole, et tout le tremblement... Lui jadis si droit costaud ! Un grand bagnard... A douze balles d’être fusillé, Lucien avait finalement fait quinze ans de taule pour raisons politiques. Il était célèbre « de sinistre mémoire » : cette expression, je n’arrêtais pas de la lui ressortir à tout propos pour le faire rigoler. Ce que j’ai pu faire rire les vieillards, moi ! Lucien était au réfectoire, en survêtement rouge, il mangeait des mirabelles (de sinistre mémoire), tout près d’un centenaire qui hurlait à la vie : on ne s’entendait plus. Dommage, Lucien avait encore toute sa tête, je me rappelle qu’il m’avait dit comment écrivait un ami à lui : “Tu vois, Nabe, le style de Louis, c’étaient des cumulus et des tumulus en voie de désagrégation dans le ciel...” » (Alain Zannini, 2002, pp. 163-164)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Nabe’s Dream, Éditions du Rocher, 1991, pp. 414-415.
  2. Marc-Édouard Nabe, Tohu-Bohu, Éditions du Rocher, 1993, p. 1042.
  3. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, pp. 2357-2359.