Eddy Louiss

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Eddy Louiss

Eddy Louiss est un organiste, pianiste, chanteur, arrangeur et trompettiste de jazz né le 2 mai 1941 à Paris et mort le 30 juin 2015 à Poitiers.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Nabe a croisé Eddy Louiss et a assisté à plusieurs concerts de lui au début des années 1980, mais c’est en 1983 qu’une véritable rencontre eut lieu chez l’organiste, à Saint-Cyprien (Vienne), par l’initiative de Francis Paudras. Déjà admirateur du swing et de la musicalité exceptionnelle pour un « Européen », même martiniquais comme Eddy Louiss, qui réussit le prodige d’être le deuxième plus grand organiste de jazz au monde (après Jimmy Smith), le futur auteur d’Au régal des vermines ne pouvait qu’être happé par la personnalité romanesque et théâtrale d’Eddy, chapeauté par sa femme Martine avec qui l’écrivain sympathisa aussitôt. Une fois sa réputation d’écrivain de jazz installée dans le milieu parisien, Nabe a pu enrichir à diverses occasions sa complicité, sur la musique bien sûr, mais aussi sur la philosophie de la vie, avec Eddy Louiss, dont le caractère pourtant, et peut-être à cause de cela, avait valu à celui-ci bien des désagréments dans les différents orchestres qu’il a menés ou dont il faisait partie. Par exemple, Claude Nougaro, que Nabe a bien connu aussi, s’en plaignait, mais aussi le guitariste Jimmy Gourley (voir Citations) qui devait remplacer l’immense et si personnel René Thomas dans le trio mythique qu’Eddy forma dans les années 1970 avec à la batterie Kenny Clarke.

Eddy Louiss, René Thomas et Kenny Clarke, 15 janvier 1970

Un autre musicien également, avec qui Nabe d’ailleurs avait joué, confia à l’écrivain avoir de plus en plus de mal à cohabiter avec un Eddy Louiss aussi imprévisible que roublard, despotique que déconcertant : le batteur Paco Sery (voir Citations).

La dernière fois que Nabe rencontra et discuta avec Eddy Louiss, chacun faisant l’éloge à l’autre de son hobby respectif (la guitare pour Nabe et la trompette pour Eddy), ce fut au Petit Journal Montparnasse, en 2000, où ils se retrouvèrent à un concert de Lee Konitz. C’est ce soir-là, qu’Eddy, apprenant de la bouche du futur auteur d’Alain Zannini, qu’il allait s’exiler à Patmos, lui offrit un couteau démontable « au cas-où », que Nabe emporta en Grèce et qu’il n'a pas quitté jusqu’à aujourd’hui, tel un talisman. D’ailleurs, ce couteau, le romancier s’en servira dans Alain Zannini, c’est-à-dire ce qu’il écrira à Patmos même, comme élément dans une scène du roman apocalyptique (voir Citations).

Nabe montant le « couteau d’Eddy » (Image : Alexandra de Nabe ; Musique : Multicolor feeling Fanfare), 2021, Lausanne

Hélas, Nabe n’eut pas l’occasion de revoir Eddy avant l’accident chirurgical de l’organiste suite à ses opérations de la cataracte qui l’emporta alors qu’il était déjà diminué par une mutilation rimbaldienne à la jambe. L’écrivain n’aurait pas manqué de témoigner à Louiss à nouveau son admiration, mais renouvelée, grâce à la dernière période du musicien, véritable renaissance après des années plutôt sombres musicalement, où Eddy à la tête d’un big band qui pouvait aller jusqu’à 60 musiciens a terminé sa carrière dans une innovation technique, une joie de vivre et de jouer, où, tout en retrouvant ses racines, il les arrachait pour les transformer en bouquets. Cet orchestre final, le Multicolor feeling Fanfare, qui pouvait faire penser à la fois au Brass Fantasy de Lester Bowie et au Jazz Workshop de Charlie Mingus, restera certainement, dans le parcours d’Eddy Louiss, qui avait déjà commencé de façon très originale en tant que chanteur au sein du groupe des années 1960, Les Double Six, comme l’apothéose d’un « jazzman français », ce qui n’est pas peu dérisoire de le dire ainsi.

Citations

Nabe sur Louiss

  • « Vendredi 10 août [1984]. — […] Alors que les “gerces” rentrent la maison, Francis et moi tentons une percée chez Eddy Louiss. Il me prévient que l’organiste peut être adorable comme agressif : c’est la loterie. Il hésite un peu même à s’approcher de cette grange négligée dans laquelle le monstre et sa famille vivent. C’est Martine Louiss, sa femme, qui nous reçoit très amicalement. Une Guadeloupéenne encore sexy, très bavarde, encombrée de sous-entendus mais sympathique. Elle se plaint du sale milieu des musiciens français et de leurs cancans. Elle en veut surtout à Maurice Vander. Pendant une bonne heure, je l’écoute évoquer ses souvenirs. Je commente ses charmantes lapalissades. Elle s’enthousiasme quand elle comprend que c’est moi dont Francis leur avait parlé et s’étonne de me savoir “marié”.
— Je le voyais plutôt comme un savant fou.
Francis m’avait décrit le Louiss’Hole comme une ignoble grotte de rois nègres, avec canards qui chient dans la maison et tout le bordel. J’ai été très agréablement surpris de découvrir enfin, après tant de châteaux ravalés bourgeoisement à la rustique, médiévalo-chic selon les poncifs du bon goût petit français, un vrai décor. Tous ces défauts sont des qualités bien sûr. La confiture n’a vraiment de goût que si elle est donnée aux cochons. Vive le massacre des vandales ! Eddy Louiss a fait de Saint-Cyprien un vrai lieu-dit moyenâgeux, au pied de la lettre, bien capharnaüm brutal, avec tentures et cannes africains aux murs, amoncellements d’objets et de linges, chambres sans portes en enfilade, pierres à l’état sauvage, meubles hétéroclites : tout ce que j’aime. Un jour, ça s’appellera ici Saint-Louiss. Je n’ai vu qu’une poule dans le “salon” et elle m’a bien plu.
On allait partir quand Eddy et son fils sont arrivés. C’est le bon numéro : gai et accueillant. Nous remettons ça. Eddy nous parle de son studio remarquablement équipé, de son projet de piscine, de Paco Sery (son fantastique batteur que j’adore), de vidéo… Il a quelque chose de shakespearien : masse hirsute et noire, mi-roi mi-bouffon génial et tragique. J’espère que Duval l’a bien encadré. Eddy Louiss est un croisement entre Falstaff et Caliban… Musicalement, il a l’option et la mentalité de Miles : ne pas stagner dans un post-bop vaseux. Ce grand musicien — le seul jazzman vraiment authentique de France — avait la carrure pour passer de l’autre côté de l’Océan. Il a préféré rester au royaume des aveugles, et grossir sur son trône peu à peu, transformer le beau jeune homme chanteur des Double-Six en vieil ogre de l’orgue swinguant comme douze. Toute la journée, il mélange les musiques, trouve des thèmes et s’enregistre lui-même : il n’a besoin de personne. Mais nous avons tous besoin de lui : et pas à la tête d’un orguestre rockisant de jeunes new-wave, plutôt en grande bête de jazz, pianiste, chanteur, trompettiste, batteur, bassiste !… Il peut jouer de tout et tout jouer… Hélas, ça ne l’intéresse pas de revenir en arrière ou d’élargir son passé. Je le comprends. » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 558-559)
  • « Lundi 15 juin 1987. – […] Et puis Jimmy Gourley et ses pétillantes anecdotes sur Lester Young et sur Eddie Louiss : blessant, odieux, insulteur, l’ograniste humiliait Jimmy, se disputait avec Klook et se battait avec Sunny Murray ! Sunny, déjà armoire, lui a un jour foutu un énorme coup de poing dans le buffet : Eddie n’a pas bougé… Quand il était rond et en colère, me raconte encore Jimmy, Eddie Louiss remuait son orgue comme un bateau dans la tempête flashant et grinçant de tous côtés jusqu’au naufrage de tous… (Inch’Allah, 1996, p. 2151)
  • « Jeudi 16 mai 1988. — […] “Mon frère” il m’appelle en me frottant le dos. Il me raconte qu’avec Eddy et surtout Martine, là-bas dans le Poitou, ça devenait insupportable. Il ne voulait pas devenir l’éléphant-boy du pachydermique organiste. Paco veut avancer seul, chercher des sons, sortir son orchestre, faire ployer les critiques… » (Kamikaze, 2000, p. 2719)
  • « Un couteau offert par Eddy (de son vrai prénom Alain-Edouard), le plus grand organiste du monde, un soir où on s’était retrouvés “par hasard” à un concert de Lee Konitz. » (Alain Zannini, 2002)
  • « Trois Chinois enserraient le policier pour l’empêcher de défendre son chien. Deux autres étaient sur le point d’empoigner Œdipe, lorsque, n’écoutant que mon courage physique dont le volume sonore était pourtant habituellement faible, je plongeai ma main dans la mienne, de poche (ça change). Qu’y rencontrèrent mes doigts ? Un couteau ! Le couteau d’Eddy ! Un objet revenant ! Après quatre cent cinquante pages ! C’était écrit. En plus de l’orgue dont il était le maître incontesté sur la planète, Eddy jouait de la trompette à ses heures et c’était aussi pour lui rendre hommage que je décidai de tenter le tout pour le coup. Je sortis vivement le couteau et sautai sur Rayure qui était à ma portée. Je lui passai mon bras gauche autour du cou, et brandis dans mon autre main l’étincelante lame. Je me plaçai au milieu de la piste et, sans avoir l’air du tout de plaisanter, je dis :
— Ordonnez à tous vos Purs d’arrêter cette mascarade, Rayure... Sinon, je vous immole. Ce sera un grand honneur pour le Seigneur de vous avoir comme agneau ! » (Alain Zannini, 2002)

Intégration littéraire

Notes et références