Georges Rouault

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Georges Rouault

Georges Rouault est un peintre né le 27 mai 1871 et mort le 13 février 1958 à Paris.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

À Marseille, enfant, le futur Marc-Édouard Nabe a baigné dans la peinture de Picasso, Matisse et Modigliani principalement… C’est en arrivant à Paris en 1969 qu’il se familiarisera avec d’autres peintres, comme Paul Klee, Van Gogh et Fernand Léger… Tous influencèrent le jeune adolescent qui avait déjà à son actif peint et dessiné de nombreux tableaux, mais son passage à l’huile, il le dut au choc énorme qu’il ressentit en ayant la « révélation Rouault ». Cette rencontre, Nabe la racontera souvent, et en particulier dans son Journal. En effet, cent ans après la naissance du peintre chrétien, le jeune garçon de 12 ans fut littéralement foudroyé par les tableaux de Rouault.

« En 1971, un dimanche, à l’occasion du centenaire de Georges Rouault, je visite la rétrospective du musée d’Art moderne et tombe foudroyé d’amour pour la peinture. Comme j’ai du mal à patienter jusqu’au lundi pour me faire acheter ma première toile et mes premiers tubes de couleurs, je cloue dès le soir un tricot de peau de mon père sur une planche en bois, et peins, à la gouache, mon premier tableau. Le lendemain, je découvre la peinture à l’huile et me retiens pour ne pas en manger. Je multiplie les copies de Rouault, ses clowns, ses juges mais surtout ses christs, sujet dont je commence à ressentir le poids. Je serai peintre.[1] »

C’est donc avant de découvrir Soutine, en 1973, puis Gen Paul, en 1974 (Nabe aurait très bien pu monter à Montmartre rencontrer « Gégène » encore vivant) que Nabe se fit disciple de Rouault, qu’il considère encore aujourd’hui comme le plus grand expressionniste, et le premier, de l’histoire de la peinture française. Non seulement le geste de Rouault, sa touche, et sa matière bien sûr, mais également son univers, influenceront Nabe jusque dans les choix littéraires qu’il fera ensuite dans sa jeunesse, puisque c’est Rouault qui l’amènera vers les œuvres des deux amis écrivains qu’il avait connus dans l’intimité : Léon Bloy et André Suarès. Certains tableaux de Rouault, comme Le Vieux Roi et Véronique (voir Biographie) seront comme des talismans pour Nabe. Son père Zanini racontera d’ailleurs à Claude Nougaro, qui le répètera souvent, qu’Alain pouvait rester des heures devant la Véronique de Rouault.

Le Vieux Roi, 1936

Le plus beau cadeau que son père aura fait à Nabe est la monographie de Rouault par le critique suisse Pierre Courthion, livre magistral qui sera la bible du jeune peintre en herbe pendant toutes les années 70.

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Le christianisme douloureux, épais et profond de Rouault influencera aussi la spiritualité nabienne d’une façon évidente. Malgré son jeune âge, Nabe comprit à quel point la thématique rouaultienne, mêlant les figures du Christ à celles des prostituées, des clowns et des juges, forment une cohérence picturale et morale qui ne pouvait que marquer à jamais le futur écrivain…

On retrouvera d’ailleurs l’utilisation des fantastiques tableaux de juges pour illustrer les analyses du directeur de Nabe’s News dans ses rapports judiciaires. Sans oublier la sainteté prostitutionnelle qui entraînera Nabe au-delà de la peinture, dans sa vie même, et qui ressurgira bien sûr dans sa littérature (voir Alain Zannini). On a rarement vu un peintre diriger ainsi autant la pensée en action d’un écrivain.

Dans les livres de Nabe, Rouault sera très présent, notamment dans Le Bonheur, lors d’un chapitre situé à Golfe-Juan, ville zaninnienne s’il en est, où Rouault avait séjourné pendant la guerre, mais aussi bien sûr dans son Journal, où Nabe relate, entre autres exemples, sa brève rencontre émouvante avec un grand spécialiste de Rouault, l’historien de l’art Jean Leymarie à qui il a eu le temps de transmettre sa passion — au sens suarèsien du terme — pour le créateur de Miserere.

À noter : les deux artistes qui auront influencé le plus Marc-Édouard Nabe en peinture et en littérature sont nés le même jour, un 27 mai : Georges Rouault et Louis-Ferdinand Céline.

Citations

Nabe sur Rouault

  • « Mercredi 14 décembre [1983]. — [...] Le soir, nous allons donc au musée d’Art moderne. Chaque fois que je vais au musée d’Art moderne, avenue du Président-Wilson, je pense à ce vieux monsieur que je voyais là. Il apportait son pick-up et se passait ds valses pour patiner sur l’esplanade. J’avais douze ans, je venais tous les dimanches revoir la Véronique de Rouault et tous les dimanches, le petit vieux était là, tout frêle en rides et sourires, béret penché, patins alertes, grâcieux d’allure… Un dimanche, l’esplanade était vide. » (Nabe’s Dream, 1991, p. 187)
  • « Lundi 23 avril [1984]. — [...] Les putains sont nos otages. Il est bon régulièrement de les passer en revue. L’argent qu’elles exigent pour une sordide vidange INUTILE ET INDISPENSABLE est celui d’une rançon. Rouault — je l’ai dit souvent — a su cela de la plus magistrale façon. » (Nabe’s Dream, 1991, p. 382)
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  • « C’est à Rouault seul que je pensais : avec son mélange de bigot, de bourgeois et de Bonnot. Je n’ai pas eu à chercher longtemps d’où était parti le Mandarin ! Bien sûr, je connaissais Bloy ! Mais je ne pensais pas que je serais à ce point redevable à Rouault ! Suarès et Bloy ! Ça fait énorme ! Et la peinture ! Le Mandarin appréciait bien Huysmans aussi : je n’ai jamais pu l’encadrer !… » (Au régal des vermines, 2012 (1985) p. 111)
  • « Les clowns de Rouault sont les seuls qui me tuent vraiment. Le registre clownesque de Rouault est tout simplement infini : toute sa vie le Mandarin a erré sur ces sinistres tréteaux, crachant sa lave sur les paillasses, les polichinelles et les arlequins... Picasso même n'a pas réussi avec les clowns : le vrai poignant, l'authentique cosmique du clown, c'est Rouault qui l'a dégagé, des gouaches fouettées pleines de clowns christiques, aux outrages du rire sordides, sales, beaux comme les bœufs écartelés de Soutine, jusqu'aux pitres bibliques, les gnomes sereins, augustes réfléchis et ultimes petits pierrots aristocratiques embourbés de Véronèse et de jaunes crépusculaires. Rouault est passé en gros de Daumier à Watteau, mais en les dépassant tous les deux ; du social au métaphysique, c'est le chemin de croix du clown martyr ! Car pour Rouault le clown se devait de s'inscrire en tant que Messie. Rigoletto ne rigole plus : mais il ne pleure pas non plus : il en bave, soutenant à bras-le-corps cette humanité qui le dégoûte, comme ce Jerry Cobbold, le plus beau clown de la littérature, celui de Powys dans Les Sables de la mer, l'un des plus grands romans. » (« Dénigration du clown », Zigzags, 1986, p. 177)
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  • « Ce n’est quelquefois plus très tenable. Sur le chemin de la plage, Andréa avait repéré la maison de Rouault. Elle est derrière chez CHRISTIANE… Une des plus belles villas de Golfe-Juan, blanche à balcons noirs. Intacte. C’est là que le Mandarin exodé en 41 a peint les gouaches circusiennes de Divertissements, dans sa cuisine, face à la mer. Bocumar le voyait déguisé en grand chirurgien, la gueule mélancolique sous le bonnet, ses mains brûlées pataugeant dans l’épaisse boue. 
Ça faisait office de vrai fief pendant la guerre Golfe… Pas loin de chez Rouault, Picabia aussi avait un atelier, plein de vélos, où il peignit son invraisemblable série de nus pétainistes, à dada dada et demi, chromos à gerber de réalisme populaire feint, affiches de pub à l’huile de mauvais goût : très intéressant… Et puis en face, sur le port, le colosse aux cheveux blancs garait son yacht Yveline et coulait des heures douces avec Olga, sur le chemin du calvaire… 
Andréa l’avait questionnée un jour Olga. S’ils se croisaient chez Pétou, Rouault et Picabia ne se parlaient pas : “Ils n’avaient pas tout à fait les mêmes idées.” On a du mal en effet à imaginer que les planètes sont contemporaines. 
Quant à Rouault il aura décidément toujours été pour Bocumar le massif d’où il s’était envolé. Sur beaucoup de points ça restait son artiste préféré. Souvent les ressentiments mystiques d’Andréa contre le Christ rejoignaient sa dévotion, et lui était difficile de concevoir d’autres clowns ou d’autres juges que les siens. On se penche moins souvent sur ses “arabes” regrettait-il, formidablement bibliques. Ou ses automnes, ses soldats… Tout pour ses pierrots toujours entre le masculin et le féminin (c’est ce qui leur donne cette légèreté que le tissu grumeleux de la pâte dément), et surtout ses putes saintes qui passent d’un autel à l’autre. C’est magnifique comme ça vous fouette les paupières !... Bien nourries juteuses de sang salaud, outres à merdes rutilantes, les putains du Mandarin sont encore trop “défroquées” de l’Orgasme. S’il en fait des martyrs, des clownes pour jouir aux éclats, des paillassons d’hommes, des freaks sociaux, des Victimes pour ainsi dire, Andréa, lui, au contraire, insistait sur le Tortionnariat de leur sacerdoce. Bourrelles de suppliciés aux testicules trop lourds, il ne les plaignait pas. Il les admirait au contraire pour leur façon saine d’asservir les hommes ; et pour la honte dans laquelle elles enlisaient les petites dames de grande vertu ; et afin de suivre davantage Rouault, pour le réceptacle eucharistique que symbolisaient leurs corps de salubrité publique. Christes, non pas des péchés du monde, mais de la misère physiologique dont l’homme est accablé. 
Andréa se prenait à songer, devant cette bicoque, que Rouault avait peint aussi là son Pierrot Aristocrate, monument de malice cosmique, la fière assurance d’un rebelle un instant pensif… Petite mèche, grain de beauté, soleil, rideau, boutons : tout semblant sourdre d’un crépuscule mozartien, douloureux et serein à la fois, bleuâtre, orangeâtre, verdâtre… » (Le Bonheur, Chapitre III « Le château », 1988, pp. 37-38)
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  • « Samedi 30 mars 1985. — Odette nous retient, mais c’est décidé, nous partons demain. Je vais me promener sur la plage de Golfe-Juan, près de la maison de Rouault… Je pense aussi à Picabia qui garait son yacht là. À quelques mètres d’écart, deux peintres si différents œuvraient en pleine Occupation. Les clowns christeux de l’un allaient peut-être inviter à danser, le soir, sur le port, les transparentes nymphes de l’autre. » (Tohu-Bohu, 1993, p. 959)
  • « Lundi 6 avril 1987. — […] J’aborde Madame Picabia, la dernière Olga, pour lui demande si à Golfe-Juan où ils vivaient, pendant l’Occupation, Picabia avait rencontré Rouault. “Non, et de toute façon, ils n’avaient pas tout à fait les mêmes idées !” me dit la chtrouillasse, comme si je ne le savais pas ! Et alors ? Ça m’aurait intéressé de savoir ce qu’auraient pu se dire le christique et le dada… Pendant que l’un (Rouault) faisait des Pierrots épais comme s’il les avait extraits directement d’un cratère de lune, l’autre (Picabia) imitait la photographie même de l’époque (Harcourt) et peignait des nus ou des portraits (je suis devant celui de Madeleine Sologne) à hurler de réalisme national-socialiste. » (Inch’Allah, 1996, p. 2085)
  • « Lundi 2 juin 1990. — […] Jean Leymarie ! Le conservateur du musée d’Art moderne ! Celui qui a organisé la rétrospective Rouault en 71 ! Je connais toutes ses préfaces ! On papote aussitôt de Rouault… Je dis à Leymarie à quel point Rouault a compté pour moi, combien son mélange — dans la lave même de son volcan pictural en éruption permanente — de clown et de Christ a été déterminant dans mon destin… » (Kamikaze, 2000, p. 3732)
Jean Leymarie (ici, avec Picasso)

Intégration littéraire

Notes et références