Au régal des vermines

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Couverture de l’édition de 2012

Au régal des vermines est le premier livre écrit par Marc-Édouard Nabe et publié pour la première fois en 1985 aux éditions Barrault. Encore à ce jour, il est considéré comme le titre le plus célèbre de l’auteur, vendu régulièrement depuis 35 ans et lu toujours par de nouvelles générations de lecteurs.

Résumé

Davantage une autobiographie pamphlétaire qu’un simple pamphlet, Au régal des vermines aborde de nombreux thèmes (jazz, littérature, femmes, religion etc.). Nabe fait également de nombreux portraits, notamment ceux de Thelonious Monk, Louis-Ferdinand Céline, de ses parents Marcel et Suzanne, de sa femme Hélène, etc. Écrit dans une première version pendant son service militaire (1979-1980), Nabe retravaillera pendant près de cinq ans son manuscrit, passé des mains de Philippe Sollers et Gérard Bourgadier à celles de Bernard Barrault qui sera finalement son éditeur. Dès sa sortie, suivie son passage historique à Apostrophes, celui qu’on appellera désormais le Régal créa beaucoup de houle autour du jeune écrivain qui entendait commencer sa « carrière » littéraire par un coup d’éclat pour ne pas dire la détonation d’une bombe la plus meurtrière possible. Les passages jugés « épineux » sur la politique, Israël, Lucien Rebatet, le Christ et les années 1980, et en général contre toute la génération 68 et leurs suiveurs collaborant, selon l’auteur, au mitterrandisme le plus critiquable, font de ce livre produit par un jeune homme de vingt-cinq ans un événement littéraire qui perdure encore aujourd’hui. Mais c’est surtout son langage qui ne peut que sauter au visage du lecteur, comme l’avait remarqué Dominique Durand du Canard enchaîné avant même le passage de Nabe à Apostrophes : « une écriture sur papier de verre qui bousillerait un écorché ».

L’éditeur Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit, pourtant aux antipodes de l’univers et de la thématique nabienne, sera l’un des premiers à regretter publiquement de ne pas avoir publié lui-même Au régal des vermines.

Incipit

J’ai vécu toute mon enfance devant des fouilles : de ma fenêtre je plongeais sur un chantier : toute la journée des types en tricot de peau harcelaient la caillasse. Je pensais à un bagne. En quelques années, ils ont dégagé tout un forum, des colonnes, quelques statues au marteau-piqueur... Il faut écrire son premier livre au marteau-piqueur... C’est ainsi que Sa Grâce la Littérature peut s’avancer dans les rubans, les étendards, s’enfoncer dans le terrain vague, parmi les Arabes, caresser les nuques comme un murmure ému...
Je ne décorerai pas mes livres. Pas question de leur trouver une forme. Une belle robe attrayante croulant sous les pompons. Hors de question de m’enfiorituriner élégamment. La prétention et la seule, c’est bien cette mise en forme, les détours de la composition, les travaux... Exactement comme si c’était de la cuisine. Toutes ces épices dedans pour que ce soit digeste (ou non). Travail mâché. Sinistre et cynique puérilité ! Il faut aller tout droit, de moi à vous, sans déformation. On doit retrouver l’univers de l’écrivain du début à la fin, dans une seule phrase, la première venue. Ceux qui cherchent la forme, c’est que leur écriture n’est pas vitale pour eux : ils ne dépendent pas d’elle. Elle ne les fait pas marcher : ils veulent maîtriser au contraire, la dompter et non la laisser intacte, sauvage, salope de griffes, surprenante pour tout dire ! Se laisser entraîner par elle dans sa brutalité, dans la jungle, bambouler ensemble parmi les bambous bouffis de lianes !
Je trouve que c’est plus honnête d’écrire comme ça que d’écrire autrement. Je sais aujourd’hui que c’est bien sa vie qu’il faut vivre par écrit, là, que tout se passe là, sans invention, dans le nerf réel, la réalité la plus vraie (et donc la plus magique). Il n’y a qu’une écriture, c’est l’écriture sur le motif. Avant longtemps, les hommes auront renoncé à commencer par les commencements... Et puis, la Littérature, je ne me leurre pas. Il s’agit d’un art perdu. Elle est au garage avec la peinture déjà prête à la casse. Plus personne ne s’attaque à ça. Ça n’intéresse personne. L’expression littéraire est anachronique : j’en essuierai toutes les conséquences. Je suis le Médiéval d’une forme totalement révolue. Et je vous emmerde.
Je n’ai rien à foutre des romans, des contes et des histoires. Je n’ai pas à me soucier de raconter quelque chose. Tout le monde me pousse derrière parce que j’ai, paraît-il, un don descriptif ! Plus tard, plus tard ! Ce que je veux faire d’abord, c’est un vrai livre. On essaie de m’en détourner, mais j’aurai raison des ignares et des salauds. Les hommes ont une idée des livres qui n’est pas la mienne. Tout récit me fait l’effet d’une histoire « drôle », marseillaise ou juive, c’est tout dire. Le XXe siècle a passé l’âge de raconter des histoires. Vient le temps des œuvres qu’on n’a jamais supportées : les catalogues d’armes et cycles de la Subjectivité ! Des bréviaires aux stances méprisantes que les dernières brutes de mon genre laissent tomber de haut en ricanant.
Une seule chose compte : faire de son Nombril le maelström du monde. J’ai déjà moi la corde au cou depuis longtemps : je vais tout faire pour qu’on me pende : c’est une bandaison que j’ignore encore. Les hommes de loi sauront bien trouver un prétexte : je sais pourquoi je suis un criminel : parce que je n’écris pas de livres normaux, bien objectifs, sériés, intelligents, cohérents et structurés. Parce que je n’ai pas de ligne directrice. Que je « pars » dans tous les sens. Que je ne suis pas militant. Je suis impubliable avec mes liasses de viande raturée. Mes décorticages de crabes en quatre, mes observations éparses, mes confessions de creveur solitaire, mes détestations et mes dithyrambes puérils. Et je vous emmerde.
Voici un livre sur la Terreur. Voilà un livre sur un « Je » truffé d’échardes. Voici un livre dangereux, pour moi, pour vous. Et ce n’est pas le premier ! Tous les matins en me réveillant je sors d’un tel bouquin. Je veux inonder le monde de mon sperme. Quand je pense qu’il y a des petits ânes pour accuser encore un écrivain de « prétention » ! C’est un procès qui est trop vieux pour ne plus l’ouvrir qu’entre parenthèses : reprocher sa vanité à tout type qui ose prendre la plume, c’est reprocher à un acteur son cabotinage : je plains les pauvres tarés qui n’ont pas saisi qu’avant d’écrire, la littérature nous somme de déposer notre humilité encombrante au vestiaire : nous entrons légers comme des Ariels dans la neige angoissante de la première page. Si on n’était pas dans l’intention de refaire le monde en une seule phrase, alors c’est pas la peine : autant rester « à sa place », dans le strapontin, bien au chaud dans le noir, anonyme...

[...]

Table des matières

L’impubliable, p. 9
I. L’allègre assassin de six milliards d’individus, p. 19
II. Le swing des choses, p. 51
III. Notre-Dame de la Pourritude, p. 95
IV. Tout doit disparaître, p. 117
V. Les onlysonmakes, p. 173
VI. Vivre et cie, p. 211
VII. Béatrice enculée, p. 231
VIII. Affaire classée, p. 279

Le passage dans l'émission Apostrophes

Le 15 février 1985, Marc-Édouard Nabe est invité dans l'émission littéraire de Bernard Pivot. Habillé d’un costume en flanelle et d’un noeud papillon (pour lui, clin d’oeil aux burlesques américains des années 1920 dans lequels il a été baigné toute sa jeunesse), il défend sur le plateau les figures littéraires de Louis-Ferdinand Céline, de Léon Bloy et de Lucien Rebatet, ce qui le fait juger comme un thuriféraire des écrivains fascistes des années 1930. Ses propos lui valent l'hostilité des autres invités présents sur le plateau, en particulier de Morgan Sportès. Au cours de l'émission, Pivot lit un faux télégramme de Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du Front national, félicitant Nabe. À la fin de l'émission, hors caméra, le jeune écrivain scandaleux est violemment frappé au visage par Georges-Marc Benamou. Son passage médiatique lui vaut d'être accusé d'antisémitisme et d'être attaqué en justice par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). La procédure s'éteint en février 1989, Nabe n'a jamais été condamné pour antisémitisme. Les conséquences de son passage médiatique vu par cinq millions de téléspectateurs sont longuement analysées dans le second tome de son journal, Tohu-Bohu.

Dès le lendemain de l'émission (où les cinq mille exemplaires tirés par Barrault ont été vendus), Marc-Édouard Nabe est interrogé par Charles Gautier pour le Quotidien de Paris[1]. L'entretien, sous-titré « Je suis le Buster Keaton de l'Apocalypse », permet à Nabe s'expliquer sur son passage médiatique : « j'estime qu'il vaut mieux commencer comme cela et se patiner, plutôt que d'être un personnage mièvre, et d'être un vieux con ensuite ». Sur la Licra, il affirme l'avoir attaquée « sur sa volonté de ne pas vouloir oublier qui peut aller jusqu'à l'absurde ». Sur son livre, l'écrivain a conscience que c'est « une arme qui peut se retourner contre [lui] », « truffé de phrases qui, sorties de leur contexte peuvent [l]'assassiner ». À côté du long interview, le Quotidien de Paris donne la parole à Georges-Marc Benamou, qui justifie son coup de poing : « J'aurais volontiers, il y a 40 ou 50 ans de cela, cassé la figure au Céline de Bagatelles pour un massacre, au Rebatet des Décombres, à Brasillach... ».

Accueil critique

À l'édition originale

Dominique Durand, journaliste au Canard Enchaîné, signe le premier article sur le livre[2]. Il parle de « Pas un épigone, Nabe : un mutant, un « Alien », un qui nous voudrait du bien après que nous eûmes crevé lui le premier. » Les pages sur Monk sont « éblouissantes comme les plus beaux chorus » et Nabe fait un « portrait magistral, inoubliable » de Léon Bloy.

Dans le Quotidien de Paris, Jean-Claude Perrier parle de Nabe comme d'un « petit-fils de Céline, mais d'un Céline sans l'œuvre » et résume son livre à un « torrent de boue »[3].

Raphaël Sorin, dans Le Monde, écrit que « Nabe a mal digéré ses lectures. Il recrache en vrac des morceaux de Bloy, Suarès, Powys, Céline, Rebatet »[4].

Dans Sud Ouest dimanche, Gérard Guégan est partagé : s’il affirme qu’il était le seul écrivain sur le plateau d’Apostrophes le soir du 15 février, il dit du Régal qu’il « contient déjà en creux le pire du livre, c’est-à-dire son côté classe de rhétorique, appliqué et nullement preste »[5].

À la réédition de 2005

Le 19 janvier 2006, Sébastien Lapaque évoque la réédition du Régal et écrit à propos de la préface : « Vingt ans après, Au régal des vermines reparaît avec une préface dans laquelle Marc-Edouard Nabe se retourne sur son passé avec une grande drôlerie, comparant le destin littéraire de Michel Houellebecq et le sien. »[6].

Pierre-Luc Moudenc, dans Rivarol, qualifie le Régal de « modèle d’insolence » : « C’est un exemple salubre pour les jeunes générations qui ne connaissent que l’insupportable férule de la pensée unique », avant d’évoquer la préface, « concentré de vitriol et de venin »[7].

Dans Le Nouvel Observateur, Aude Lancelin écrit « Intéressant cependant de se pencher sur le Régal, que sa légende noire dispense souvent de lire. De fanfaronnades antihumanistes en proclamations vert-de-gris aberrantes, une rare énergie. Un éloge déchirant de Thelonious Monk, de superbes portraits de son père, le jazzman Marcel Zanini, ou de sa femme Hélène, la “Panthère aux yeux pers”. Certes pas l’étron antisémite que l’on dit, même si la force y est polluée par un histrionisme pénible, et plus encore par un hérétisme un peu toc.[8].

Le 17 octobre 2006, Marc-Édouard Nabe est invité dans l'émission de Laurent Ruquier, On a tout essayé, diffusée sur France 2. Après un court échange entre l'écrivain et l'animateur, le chroniqueur Gérard Miller prend la parole pour critiquer sévèrement le livre[9]. Il lit notamment des extraits pour dénoncer le « salaud lumineux » que serait Marc-Édouard Nabe. En réponse au monologue du chroniqueur, l'écrivain choisit de quitter le plateau. Il analyse l'émission dans le premier tome des Porcs dans lequel il explique la raison de son départ, invoquant un « montage malhonnête » de citations réalisé par le chroniqueur[10]. L'intégralité du passage a été piratée et diffusée sur Internet dans la semaine qui a suivi sa diffusion tronquée.

À la réédition de 2012

Anthony Palou consacre un article au Régal dans Le Figaro, durant l'été 2012, dans lequel il revient sur la réception critique du livre au moment de sa parution, en février 1985[11].

Échos

  • Le 6 avril 1985, le prêtre catholique Jean-François Six (spécialiste de l’œuvre de Thérèse de Lisieux) fait allusion au Régal dans une tribune signée dans Le Monde : « Après avoir débusqué au plus profond de soi-même cet inconscient-là qui signifie une volonté d'être unique au monde et d'expédier autrui dans les ténèbres extérieures - un jeune écrivain gesticulateur vient d'écrire, ne sachant comment provoquer : " Tout individu qui n'est pas moi est un adversaire” [Note de bas de page : Marc-Édouard Nabe : Au régal des vermines, Paris, Bernard Barrault] - le second travail est d'apprendre à discerner où et quand s'exprime, dans la vie quotidienne, cet inconscient. »[12]
  • En février 2011, le magazine So Jazz consacre un dossier au musicien de jazz Thelonious Monk, reproduisant un long passage du livre[13].
  • En avril 2017, en évoquant une émission de France Musique consacrée à Thelonious Monk dans Le Figaro, Anthony Palou cite un extrait du Regal (p. 64, édition de 2012) sans le nommer : « Quand Monk pose ou prélève un accord, on ne comprend que lui : il revient sur terre, c’est-à-dire d’une autre planète : la sienne »[14].
  • En janvier 2018, deux extraits du livre sont lus dans un épisode de l'émission Une vie, une œuvre consacrée à Thelonious Monk sur France Culture[15].

Éditions

Bernard Barrault (1985)

Le livre est publié pour la première fois par Bernard Barrault en janvier 1985. Selon Le Monde, l’ouvrage s’est vendu à 10 000 exemplaires[16]

  • éditions Barrault, 1985, 283 p. ISBN : 2736000188

Le Dilettante (2005)

Pour les vingt ans de la publication originale du livre, il est réédité par les éditions du Dilettante. L'ouvrage est tiré à 1999 exemplaires et est accompagné d'une préface écrite pour l'occasion par Marc-Édouard Nabe, qui a été publiée quatre ans plus tard en plaquette séparée : Le Vingt-septième Livre.

  • rééd., Le Dilettante, 2005, 384 p. ISBN : 9782842631192

L'« anti-édition » (2012)

Jouissant des droits de ses livres, Marc-Édouard Nabe tire lui-même 5 000 exemplaires qu'il publie en mai 2012 grâce à son système d'anti-édition.

  • rééd., auto-édition, 2012, 304 p. ISBN : 9782953487923
Couverture des 3 éditions du Régal

Liens externes

Notes et références

  1. Charles Gautier, « Celui par qui le scandale est arrivé chez Pivot », Le Quotidien de Paris, 18 février 1985, p. 18.
  2. Dominique Durand, « Nabe récure plus noir », Le Canard Enchaîné, 13 février 1985.
  3. Jean-Claude Perrier, « Le livre : un Céline sourd et aveugle qui persiste et signe », Le Quotidien de Paris, 18 février 1985, p. 19.
  4. Raphaël Sorin, « Un imprécateur à la mie de pain », Le Monde, 22 février 1985.
  5. Gérard Guégan, « Sous l’excès, l’espoir », Sud Ouest dimanche, 24 février 1985.
  6. Sébastien Lapaque, « Les enfants de la bile », Le Figaro littéraire, 19 janvier 2006, p. 3.
  7. Pierre-Luc Moudenc, « Nabe, le retour », Rivarol, 3 février 2006.
  8. Aude Lancelin, « Saint Nabe, tragédien et martyr », Le Nouvel Observateur, 9 février 2006.
  9. Rémy Dufour, « 17.10.2006 : Quand Marc-Edouard Nabe quitte le plateau... », LaBandeARuquier.com, lire : http://www.labandearuquier.com/17-10-2006-Quand-Marc-Edouard-Nabe.html
  10. Marc-Édouard Nabe, Les Porcs tome 1, Paris : anti-édité, 2017, pp. 362-363
  11. Anthony Palou, « Ces livres qui ont fait scandale - “Au régal des vermines” », Le Figaro, 2 août 2912, p. 20 : http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2012/08/01/10001-20120801ARTFIG00435-au-regal-des-vermines.php
  12. Jean-François Six, « La simplification contre l’esprit jaillit à nouveau la lettre », Le Monde, 6 avril 1985.
  13. Marc-Édouard Nabe, « Thelonious Monk par Marc-Édouard Nabe », So Jazz, février 2011, pp. 19-21. ; Marc-Édouard Nabe, Au régal des Vermines, anti-édité, 2012 (1985), pp. 64-67
  14. Anthony Palou, « Que du beau Monk », Le Figaro, 26 avril 2017, p. 32.
  15. France Culture, « Thelonious Monk (1917–1982), la nique au silence, Une vie une oeuvre, 6 janvier 2018
  16. Josyane Savigneau, « Une saison Duras », Le Monde, 28 juin 1985.