Jean-Pierre Lindenmeyer

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Jean-Pierre Lindenmeyer, 1982

Jean-Pierre Lindenmeyer est un industriel, guitariste et vibraphoniste de jazz, né en 1928 en Suisse et mort le 2 avril 2010 à Marseille.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Lindenmeyer avec Marcel Zannini et Marc-Édouard Nabe, 1976

Tonitruant, volubile, excentrique et avant tout musicien d’instinct surdoué, Lindenmeyer a sacrifié une carrière de jazzman (vibraphone, guitare, piano, harmonica) pour reprendre les affaires de son père, ponte du ciment à Marseille, André Lindenmeyer, un patron protestant d’origine suisse. Très proche, depuis ses premiers jours, d’Alain Zannini, Jean-Pierre Lindenmeyer était le meilleur ami de Marcel Zannini. Il a suivi l’évolution de la famille et a influencé Marc-Édouard Nabe, comme il avait influencé un autre futur écrivain dans sa jeunesse : Jean-Jacques Schuhl.

Lindenmeyer est également présent dans le disque Blues and Bounce (1976), qui réunit avec le trio Zanini-Lindenmeyer-Nabe, deux grands musiciens noirs américains : Milt Buckner et Sam Woodyard.

Nabe transpose Lindenmeyer en « Mickey Linden » dans Le Bonheur[1], mais l’intéressé, bien qu’ayant apprécié son portrait dans le manuscrit, se fâche avec l’écrivain après la publication du roman, en 1988, et définitivement après la lecture du premier tome de son journal, Nabe’s Dream (1991) où cette fois-ci, et non transposé, Lindenmeyer et son caractère sont analysés. Nabe y reviendra dans un tome postérieur de son journal, Inch’Allah :

« Enragé par son portrait dans Le Bonheur que, pourtant, je lui avais lu ici avant de le publier (ça l’avait fait hurler de rire !) : se voir noir sur blanc l’a bouleversé de haine : il ne veut plus jamais me voir et me considère comme un salaud ! La musique est connue. Mes pères sont accordés. Ô diapason d’Œdipe ! Le propre d’un papa, c’est d’être ingrat. Je suis écœuré, las de me battre, confus de douleurs...[2] »

Lindenmeyer sera mort sans s’être réconcilié avec celui qui le considérait comme un second père.

Citations

Lindenmeyer sur Nabe

  • « Tu es exactement comme un type qui fait un pique-nique, tout seul, au bord d’un précipice par une nuit d’encre ! » (7 mars 1985, retranscrit dans Tohu-Bohu, 1993, p. 885)
  • « Je n’ai lu que deux livres dans ma vie : Mein Kampf et le tien ! » (14 mars 1985, retranscrit dans Tohu-Bohu, 1993, p. 912)

Nabe sur Lindenmeyer

  • « Athénée découvrait le personnage. Un quinquagénaire chevalin vêtu d’un costume éblouissant de netteté, portant des manchettes lumineuses comme le poisson d’un Anglais à Moscou, ornées de boutons en forme de spirale, une chemise frappée au sceau de ses initiales M. L., un mouchoir mousseux de soie débordant de sa pochette comme si on venait d’y servir du champagne, et surtout un nœud papillon bleu à pois blancs d’une classe intersidérale. On remarquait d’abord l’énormité de sa tête. Le dessin de ses cheveux gris assortis à sa Mercedes faisait songer à une perruque avec des sortes de macarons sur les côtés, la matière de sa peau rappelait un masque reptilien retroussé en plastique. Athénée avait l’impression qu’il s’était déguisé en être humain. En fait, c’est un iguane. Son incroyable port de tête faisait mal au cou rien qu’à le regarder. S’il était si bizarrement orange, c’est que Mickey, détestant le soleil, mais très envieux du bronzage de ses amis, suivait un traitement de base de carotène sur lequel il avait un peu trop forcé. Ça lui donnait cette coloration de mandarine enflammée à laquelle il lui fallait harmoniser ses cravates. » (Le Bonheur, 1988, p. 140)
  • « Arrivée en retard à La Mussolonienne de la fille de Jean-Pierre, Sophie, que je n’avais pas revue depuis son enfance et qui s’est transformée en grand mannequin saint-tropézien, est reçue très violemment par son père. Elle s’en va avec les autres se baigner, me laissant seul avec Linden très abattu. Je ne l’avais jamais vu si effondré, il a failli pleurer. Il voit tout sous forme d’échecs retentissants : les amis, le chien, sa fille, la démocratie, son caractère. Monologue douloureux d’un homme blessé par les autres et par lui-même. Très impressionnant. Puis il s’endort sur son fauteuil. Quelques minutes après, on sonne. Je le secoue un peu sans parvenir à le réveiller et je vais ouvrir. Je me trouve devant un ouvrier qui me dépose dans les bras une pierre... C’est le maçon qui vient porter un échantillon et repart, très pressé, sans désirer voir Jean-Pierre. En remontant, je retrouve Jean-Pierre à peine désomnolé, qui se réveille tout à fait pour m’engueuler d’avoir laissé partir un type qu’il veut voir depuis des semaines.
— Espèce de con ! Tu ne sais pas que ce que ça représente une pierre comme ça, passée au têtu ! Conneaud ! Hallucinant idiot !
Sa colère se termine par le balancement méchant de la pierre dans le jardin. Blafard de fureur, il prend sa Mercedes et me dit : “J’en ai marre, je rentre à Marseille.” Tous mes efforts pour le retenir sont vains et je reste seul à la villa, attendant le retour des autres pour leur annoncer l’incroyable nouvelle. Quand ils reviennent je suis sidéré de voir avec quelle légèreté ils encaissent le désastre. Ils rigolent presque et sont persuadés qu’il reviendra dans une heure, malgré ma conviction qu’il s’agit d’une crise grave.
Le soir, la maison est attaquée par un orage unique, grêlé, tragique, qui tombe à pic dans le psychodrame qui se joue ici. La nymphomane tombe en syncope, Beau tremble, la femme et la fille de Jean-Pierre commencent à très légèrement baliser. À 8 heures, le glandeur et moi décidons d’aller téléphoner à Marseille. À la stupéfaction générale, sauf moi, nous trouvons Jean-Pierre au bout du fil totalement triste et fébrile, ne rigolant pas du tout, refusant de me parler, invoquant pour expliquer son départ le tourbillon d’un drame collectif, d’une chute d’euphorie... “Fuite pour cause d’agression générale”. Les invités commencent à comprendre qu’ils ne comprennent plus. L’inquiétude gagne et la soirée se passe dans un lourd silence pour théâtre policier où chacun cherche le coupable. Nous avons tous une part de responsabilité dans la construction du revolver que Jean-Pierre menace d’emboucher... Moi, je suis le détonateur, Sophie la crosse, la belle-mère le barillet, le chien la gâchette. Et la pierre ? La balle bien sûr ! » (Nabe’s Dream, 1991, p. 57)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Chapitre VIII « Le bémol grave », Le Bonheur, Paris : Denoël, 1988, pp. 137-158.
  2. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, p. 2435.