Le Bonheur

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Couverture du Bonheur, 1988

Le Bonheur est le premier roman écrit par Marc-Édouard Nabe et publié aux Éditions Denoël en janvier 1988.

Résumé

Andréa de Bocumar est un des assistants du peintre officiel Z..., qui a été chargé de réaliser une fresque allégorique du bonheur. Andréa y est chargé de peindre des pieds en lévitation et se rend en Italie avec sa femme, Athénée, pour étudier les maîtres de la Renaissance. Mais après s’être retrouvé dans la famille d’Andréa à Golfe-Juan, ils ne parviennent pas traverser la frontière et passeront à Marseille, ville natale d’Andréa, et à Arles, où souvenirs d’enfance et rencontres incongrues parsèmeront le récit. Les héros remontreront à Paris et vivront encore tout un tas de péripéties qui les amèneront au dévoilement de la fresque finale consacrée par une émission de télévision.

À noter : l’écriture du Bonheur est encore différente des autres livres, surtout par l’intégration de l’art moderne dans ses différentes facettes transposées littérairement dans la prose nabienne. Beaucoup de trouvailles lexicales et graphiques déconcerteront autant les critiques habitués à des romans de facture plus classique que les admirateurs « classiques » de Nabe ne retrouvant plus dans cette expérimentation langagière de quoi alimenter leur névrose droitière bien française.

Incipit

CHAPITRE PREMIER
Un voyage sans histoire

« Non, ça ne me gêne pas de conduire la nuit. Au contraire, seule une femme peut ainsi se fondre dans la fraîcheur des ténèbres. Toutes les femmes devraient conduire la nuit. Des corbillards d’une noblesse folle déchirant les nappes bleues. Je sens la lune. Le noir est élastique. Tous les excès sont permis car la nuit vaut elle-même tous les excès. Je suis en péché de vitesse dans l’encre lente dont tout s’inonde... Et lui, il dort ! Tant pis pour lui. Ça le fait bâiller lui la nuit. Tout à l’heure avant de sombrer sur mon épaule, il admirait pour la 525ème fois La Nuit étoilée de Van Gogh, pour lui c’est ça la nuit. C’est le genre de type qui, arrivé à Tokyo, s’enfermerait dans sa chambre d’hôtel avec un livre sur Tokyo... Un grand malade. Tout ce qui n’est pas transposé l’ennuie. Je suis bien tombée. Moi, le contraire, la vie avant tout. Ce que j’aime dans certains tableaux c’est la vie qui, à travers et malgré l’art, transpire... Zut ! Me voilà intoxiquée à mon tour : je pense à l’art même quand il n’est pas là, mort de fatigue à côté : lorsque je me papote à moi-même, l’art encore est là ! L’art ! Son art ! Avec une minuscule parce qu’il n’y a pas de majuscule assez grande, dit-il toujours. C’est pas triste tous les jours de vivre avec un artiste ! Un artiste dans les années 80 ! Quoi imaginer de plus grotesque ? Et pas un faux ! Si encore il était sur les bords filou, bidon, creux, simulé — pas beaucoup, non, juste un peu, le strict nécessaire vivable —, mais non : c’est bien sa chance : c’est un vrai, pas en carton : artiste jusqu’au bout des chaussettes trouées : exigeant, coléreux, riche, pataud, égoïste, absolu... À la place du mort, Andréa de Bocumar, artiste peintre, dort pendant que défilent les platanes noirs. Je le conduis. Sans moi, plus de monde, plus de nuit. On m’a raconté quand je m’absente : il se referme : celui qui lui arrache un mot a l’impression d’ouvrir une huître au couteau. Je suis la chienne d’aveugle d’un sourd-muet. Je le conduis. Je le conduis bien. Je le fais bien se conduire. Et sans le materner : il a horreur de ça, même si je sens parfois, maquereau comme il est, qu’il se laisserait aller, il prendrait peut-être le sein facilement. Je coupe. Je conduis mais je ne materne pas. Ma maternité je la garde pour l’enfant que son art daignera lui laisser me faire. Je n’ai pas mon artiste dans le vendre, mais dans la peau. Il a sa tête bien sur mes épaules. Je lui mâche la réalité. C’est pas que ça m’enchante, oh non, mais il faut savoir se battre. Entre sa peinture et moi, c’est la lutte de l’Ange et Jacob. Infernale ! Deux chattes en furie qui s’entre-tueraient s’il ne venait nous séparer à temps. Comment ? En me faisant l’amour et en allant peindre une toile. Au moins je suis tranquille : à nous deux, on bétonne l’entrée : il n’y a pas de place pour une troisième maîtresse, musique ou belle blonde. D’ailleurs il n’aime pas les blondes, ni la musique. Pour lui la musique est blonde. Tiens, je n’y avais jamais pensé. Ce qu’il n’aime pas dans les blondes, c’est qu’elle peuvent tout à coup se révéler comme fausses blondes : c’est la fausse note de la blonde : son canard, vilain petit canard tout sombre au milieu des poussins jaunes ! Il n’y a pas de fausse brune. C’est ma force. Brune comme moi ! Vraie et brune : ce qu’il aime c’est mon noir. Mes noirs il dit, parce que chez moi souvent coiffure varie, selon les rayons, je passe bleu marine, violet foncé, comme de l’encre, “la Muse aux cheveux d’encre de Chine”, il m’appelle... Comme si Athénée, ça faisait déjà pas assez grec. C’est ça qui l’a surpris quand on s’est rencontré : il croyait que j’étais hellène.

[...]

Table

1. Un voyage sans histoire
2. Les boulettes
3. Le château
4. Le divan de Louise
5. Le pas de l’amour
6. Le Carré Noir
7. Émoi Gratis
8. Le ré bémol grave
9. Tartarin déchaîné
10. Le pont transbordeur
11. Les crachats de la petite enfance
12. La Sangsue
13. Les fondus de la « Pistoflorum »
14. L’Arlesbienne
15. Climax
16. La Sainte-Oreille
17. Les tongs
18. Tonneaux
19. Palais du Cynisme et du Piston
20. Le costaud des Épinettes
21. L’Ouyapagou
22. Crépuscule avec Nellie
23. « Papa, ta mère est morte ! »
24. Pin-Up
25. Nuage d’émotion
26. Orage
27. Apothéose

Accueil critique

Invité par Bernard Pivot dans son émission Apostrophes, diffusée sur Antenne 2, Marc-Édouard Nabe reçoit des avis critiques plutôt mitigés de la part d’Antoine de Gaudemar, de Patrick Rotman et de Hervé Hamon, sans compter le silence de Régis Debray également présent sur le plateau[1].

Avis positifs

Dans Le Figaro littéraire, Patrick Grainville salue le roman, écrivant que Le Bonheur « c'est Guignol's Band, une féerie célino-cubiste, une défonce de Cendrars, un transsibérien soufflé dans les airs comme une volée de deltaplanes Nabe a fignolé, enfiévré sa fantasque odyssée, et c'est le pied »[2].

Éric Neuhoff, dans 20 ans, parle d'un « gros roman d'amour, bavard, plein de digressions, de fulgurances, d'érudition, de drôlerie »[3].

Jean-Paul Filly juge dans Playboy que « L’ensemble est parfois bavard, mais au moins, ça nous change des petits fascicules-prospectus que sont bon nombre de premiers romans »[4] ».

Avis négatifs

Dans Le Point, Jacques-Pierre Amette évoque un « monstre littéraire qui ressemble davantage à un exercice de virtuosité qu'à une œuvre »[5].

Patrice Delbourg, dans L’Événement du jeudi, déconseille l'ouvrage afin d'économiser « deux bonnes journées d'ennui, que vous pourrez consacrer avec profit à un tournoi de squash ou à un pique-nique emmitouflé dans la forêt de Sénart »[6].

Dans Le Figaro Magazine, Jean-Edern Hallier considère que s'il y a « de belles pages, notamment sur la peinture, Picasso, le Carré Noir de Malevitch et l'esprit Montparno », « il manque le chant profond, le Canto Grosso »[7].

À savoir : c’est parce qu’Hallier avait mal pris que Nabe refuse qu’il l’accompagne sur le plateau d’Apostrophes qu’il a écrit cet article franchement hostile, alors qu’il n’avait eu de cesse d’encourager Nabe, de l’écriture à la publication de son roman, pendant deux ans.

Échos

  • En décembre 1996, dans une chronique publiée dans Les écrits de l'image, Jacques Chancel juge le roman « excellent » et évoque une œuvre « passionnée »[8].
  • Le 27 juin 2002, Patrick Besson fait allusion au Bonheur dans sa chronique publiée dans Le Figaro littéraire : « Avec Andréa il s'appelle Andréa, comme le fils de la princesse Caroline de Monaco et le personnage principal du Bonheur, le chef-d’oeuvre de Marc-Edouard Nabe (Denoël) , elle est heureuse pendant six mois. »[9].
  • En mars 2009, dans le quotidien francophone libanais L'Orient-Le Jour, le personnage de la grand-mère grecque, Paraskévi, est mentionné pour illustrer la place de l'Orient dans l'œuvre de Marc-Édouard Nabe[10].

Édition

  • Marc-Édouard Nabe, Le Bonheur, Denoël, 1988, 506 p. ISBN : 2207234061

Selon Le Monde, le roman se serait vendu en six mois à 12 000 exemplaires[11]. Les droits du Bonheur ont été entièrement récupérés en 2008 par Marc-Édouard Nabe, qui peut anti-rééditer l’ouvrage.

Lien externe

Notes et références

  1. Bernard Pivot, Apostrophes, Antenne 2, 8 janvier 1988.
  2. Patrick Grainville, « Nabe : scintillante ébriété », Le Figaro Littéraire, 11 janvier 1988, p.VII.
  3. Eric Neuhoff, « Le Bonheur », 20 ans, février 1988.
  4. Jean-Paul Filly, « Bonheur d’écrire, bonheur de lire », Playboy, janvier 1988.
  5. Jacques-Pierre Amette, « L'imposteur de talent », Le Point, 11 janvier 1988, p. 93.
  6. Patrick Delbourg, « Le dernier Nabe... barbe » L'Événement du Jeudi, 7 janvier 1988.
  7. Jean-Edern Hallier, « Nabe : il manque le chant profond », Le Figaro Magazine, 23 janvier 1988.
  8. Jacques Chancel, « Le Bloc-notes de Jacques Chancel », Les écrits de l'image, numéro 13, janvier 1996, pp. 38-39.
  9. Patrick Besson, « Lolita Pille, mauvaise garçonne, Le Figaro littéraire, 27 juin 2002, p. 4.
  10. « Les œuvres de Nabe à l'Office du tourisme-Paris », L'Orient-Le Jour, 20 mars 2009.
  11. Josyane Savigneau, « Vive la crise ! », Le Monde, 24 juin 1988, p. 15.