Suzanne Zannini

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Suzanne Zannini, à Marseille dans les années 1960

Suzanne Zannini, née Taurel, est une sténodactylo née le 11 septembre 1930 à Marseille et morte le 24 décembre 2021 à Paris. Elle est la femme de Marcel Zannini et la mère de Marc-Édouard Nabe. Par sa tante (Denise, la sœur de sa mère, Marthe Taurel), elle devient la nièce de Léon Fayet (transposé dans Le Bonheur en Noël Teyaf), fils du célèbre mécène de Redon et Gauguin, Gustave Fayet.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Extrait de Mother and son (1975)

Après avoir beaucoup dessiné sa mère et composé notamment un album d’aquarelles, Mother et son, Nabe a également beaucoup écrit sur elle. Dès son premier livre, Au régal des vermines publié en 1985, Marc-Édouard Nabe intègre sa mère dans sa littérature, par le portrait intitulé « La locomotive de verre »[1], Nabe y écrit :

« Ma mère, c’est une femme qui a d’autres soucis à fouetter que Monk, le vibraphone, les alexandrins, la nature morte, Ben Webster ou Léon Bloy.
Haïssant fleurs et femmes, totalement fermée à toute poésie et extrêmement sceptique sur tout, sa force de caractère et sa fragilité de tempérament, sa contraction fébrile et l’antipathique spontanéité de ses propos, la dignité châtiée de son allure qui n’a de pair que son langage excessivement grossier, le chapeau cloche à la Deanna Durbin et la garde-robe résolument médiévale, tout cela donne à sa présence quelque chose de profondément attachant et d’irrésistible. Il faut être bien plus buté qu’elle pour passer à côté du charme odieux de ma mère. Ses hargnes et ses dépits sont tout à fait justifiés. Pourquoi accepterions-nous avec le sourire les choses qui ne se font pas, les lunatiques, les escroqueries, les faux sentiments, les roueries, les malchances, les obstacles et toutes les vilénies ? D’une façon ou d’une autre, je suis avec ma mère pour ce combat désespéré contre les petites méchancetés de la petite existence.
Je l’ai vu se replier d’année en année sur elle-même, dans la solitude atroce d’une bicoque morte. La vie s’écoule maintenant pour elle sans intérêt : elle espère avoir le temps d’organiser tout, jusqu’à sa mort, elle voudrait pouvoir mourir sur ses deux oreilles...
C’était une fleur d’une frêleur archidélicate, faite pour l’amour, la générosité, la confiance, la justice. Sa nature autodestructrice, son tempérament inquiet, dramatique et hystérique, en ont fait une personne morflée, dépressive, terriblement déçue par l’absence de communion. Elle voulait tellement communiquer avec les êtres, mais les êtres ne sont que des salauds, des fumiers, des indifférents, des refroidisseurs de sa spontanéité. Par bonheur, je ne l’ai pas suivie dans cette voie : très tôt, j’ai appris comme mon père à ne pas communier justement, à n’attendre des autres strictement rien.[2] »

Dans l’« Introduction (God bless the child) » de L’Âme de Billie Holiday, Nabe raconte un concert de Billie Holiday en 1958, vécu de l’intérieur du ventre de sa mère, à « moins 3 mois ».[3]. En 1998, les dernières pages de Je suis mort mettent en scène la mère du narrateur devant la pierre tombale où ce dernier, suicidé, est enterré, sur laquelle elle dépose une lettre qu’il lui avait adressée, et dont le contenu clôt le livre[4] :

« Maman,
Ce n’est pas bien de désobéir à son fils unique, surtout quand on l’est soi-même (unique). Tu es ma mère et tu le resteras quoique ce monstre que j’ai enfanté, et qui s’appelle comme tu sais, puisse faire. Tu as eu tort de venir au théâtre ce soir me voir t’imiter. Je t’ai jouée, mais je ne me suis pas joué de toi. Il est sans doute douloureux pour une mère d’assister à nouveau, trente-sept ans plus tard, à l’événement le plus regrettable de son existence, mais tu conviendras que, pour moi, c’est encore plus douloureux et regrettable de vivre dans ce monde d’insensibles qui veulent faire payer aux autres leur propre incapacité à leur dire qu’ils les aiment.
Je suis presque heureux que tu m’en veuilles à mort. Tu me donnes l’occasion de te dire aujourd’hui que, pour un acteur comme moi, tu es la mère idéale. Je ne te l’ai jamais dit (tu connais ma haine des mots) mais sans toi, il y a longtemps que j’en aurais fini.
Tu crois être détruite, mais ce qui est indestructible, c’est le cordon d’acier qui relie ton cœur au mien, ou plutôt à ma tête, car moi, mon cœur, il est détruit depuis longtemps, il ne me viendrait pas à l’idée de t’en faire le reproche. »

De manière générale, la mère de Nabe est surtout très présente, ainsi que son mari, dans les quatre tomes du journal intime.

En 2001, c’est l’anniversaire de Suzanne qui ouvre Une lueur d’espoir :

« Aujourd’hui, ma mère est née. Comme tous les 11 septembre, je l’appelle pour lui souhaiter un joyeux anniversaire...
— Allume la télé ! dit-elle.
Patrick Poivre d’Arvor souffle les bougies d’un drôle de gâteau. Une des deux tours du World Trade Center de New York s’effondre dans un panache de fumée noire. Il est quatre heures de l’après-midi à Paris, et la télévision elle-même n’en revient pas de montrer ce qu’elle voit : un avion de ligne américain vient de foncer tête la première sur l’une des Twin Towers. Un autre surgit dans le ciel très bleu et s’encastre à son tour dans la deuxième. Un moment plus tard, un troisième avion s’écrase volontairement sur le Pentagone de Washington, et un quatrième en forêt de Pennsylvanie. Quatre attentats-suicides en une demi-heure, ce mardi ensoleillé de septembre, en plein été indien... Bon anniversaire, maman ![5] »

Dans Alain Zannini, son roman écrit à Patmos entre septembre 2000 et février 2001 et publié en septembre 2002 aux Éditions du Rocher, Nabe parle des conséquences de ses livres, en particulier son journal intime, sur la relation avec sa mère.

Extrait de Mother and son (1975)

Elle apparaît aussi dans L’Homme qui arrêta d’écrire, d’une façon totalement incongrue, en plein Champs-Elysées, dans la dernière partie fantasmagorique du roman :

« Et tout à coup, qu’est-ce que je vois... Non. Ce n’est pas possible. Je me frotte les yeux pour y croire. Là, aux Cascades, en pleine nuit, assise seule parmi les gens...
Ma mère. Je blêmis. C’est bien elle. Avec son visage de petite brune malingre ravagé par le malheur. La même figure que la mienne. C’est comme si la vitre était une glace.. Visiblement, ma mère sort de chez le coiffeur, pourtant elle fait toujours malade. Sa teinture “corbeau” lui donne un air sévère de vieille Corse revenue de toutes les vendettas...
Je cogne à la vitre, mais ma mère est encore plus perdue dans ses pensées que les putes... Quand même, elle tourne la tête dans la direction de son fils et sursaute en me voyant. J’entre dans les Cascades et m’approche de ma mère installée à une petite table de bois carrée.
— Maman, mais qu’est-ce que tu fais là ?
— Je suis venue te parler, me répond-elle sèchement.
— Mais comment pouvais-tu être sûre de me trouver ici ?
— L’instinct maternel, imbécile ![6] »

Citations

Suzanne sur Nabe

Nabe sur Suzanne

  • « Mardi 24 mars 1987. — En se levant ma mère est tombée ! Évanouie dans le couloir, sa tête a choqué la potiche marocaine. Le bruit a alerté mon père qui s’est précipité. La voyant quasi morte sur le carreau, il s’est évanoui aussi ! Il y avait ce matin dans le vestibule de Daumesnil deux cadavres de Zanines... En apprenant la nouvelle, je suis assez content de ne pas être tombé dans les pommes aussi ! Quelle misère ! Ma Zanine s’est donc effondrée. Elle ne mangeait presque plus. Marcel l’a emmenée chez le docteur. Médicaments. Ça ne rigole plus : il s’agit d’une authentique dépression nerveuse, tout le système est détraqué, les forces fuient son corps par le trou du cerveau. Mon père descend à Marseille demain pour une affaire (gratuite). Il aurait voulu que je vienne m’occuper de ma mère pendant que lui, le fuyard, va s’aérer à Marsiho. Zéro ! Il ne se défilera pas cette fois-ci. C’est trop facile. Il restera auprès de sa femme : il fera le mari, une fois n’est pas coutume. » (Inch’Allah, 1996, pp. 2070-2071)
  • « Mais non : il a peur c’est tout, peur de se compromettre avec moi. On me l’avait dit : je ne voulais pas le croire. Sollers ! Sollers que je connais depuis 1981, Sollers qui n’a pas été foutu de me faire publier chez Denoël ! Sollers mon guide en enfer ! Vilain Virgile qui se débine... Ma mère, qui exagère, hurle : “C’est ton Salieri !” » (Nabe’s Dream, 1991, p. 813)
  • « Kémi Séba était toujours curieux de me connaître, mais Yves avait bien compris qu’il ne voulait me rencontrer que pour m’embrigader, comme si l’antisionisme était une raison suffisante pour que je devienne un des leurs...
— Lisez-le d’abord, et après vous le rencontrerez ! leur dit Yves.
[...]
Yves poursuivit :
— Êtes-vous prêts à lire un type qui, lorsque sa mère a une crotte coincée dans le cul, décrit comment elle fait pour se l’enlever ?
Gros blanc chez les Afros insolents. Les femmes consternées retournèrent à la cuisine. Ça ne se faisait pas. Pas la mère ! Yves sentit (et l’odeur était forte) qu’il valait encore mieux reparler de Ben Laden, de sa non-vie, de sa non-œuvre... » (Les Porcs, 2017, pp. 636-637)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Au régal des vermines, anti-édité, 2012 (1985), pp. 197-207.
  2. Marc-Édouard Nabe, Au régal des vermines, anti-édité, 2012 (1985), pp. 202-203.
  3. Marc-Édouard Nabe, L’Âme de Billie Holiday, anti-édité, 1986, pp. 11-14
  4. Marc-Édouard Nabe, Je suis mort, Gallimard, coll. L’Infini, 1998, pp. 104-110.
  5. Marc-Édouard Nabe, Une lueur d’espoir, Éditions du Rocher, 2001, pp. 11-12.
  6. Marc-Édouard Nabe, L’Homme qui arrêta d’écrire, anti-édité, 2010, pp. 645