Marc-Édouard Nabe, naissance du scandale
Marc-Édouard Nabe, naissance du scandale est un mémoire d'études de Christopher Bianconi (soutenu en 2011) et portant sur le passage médiatique de Marc-Édouard Nabe dans l’émission Apostrophes le 15 février 1985.
Sommaire
Introduction
Invité par Bernard Pivot le 15 février 1985 dans l’émission culturelle Apostrophes dont le thème du soir était Les mauvais sentiments, le jeune écrivain Marc-Édouard Nabe, âgé alors de vingt-six ans, inconnu du public et du milieu littéraire, vient défendre son premier livre Au régal des vermines et provoque pour sa première véritable apparition médiatique un véritable scandale. Avec outrance, excès, violence et courage, ou ce que certains paternalistes appelleraient « l’inconscience de la jeunesse », Marc-Edouard Nabe, plein de morgue et de fiel, en une heure de télévision en direct, se met à dos une grande majorité de téléspectateurs, et s’exclut, au minimum pour l’intégralité de sa vie terrestre, de toutes les catégories professionnelles que peuvent compter le milieu littéraire, mais « peut être, vu de plus haut, s’apercevra-t-on quel mal la télévision peut faire à un vivant »[1].
Les années lui auront donné raison sur ce point, puisqu’à peine rentré chez lui il écrit, comme promis le soir même, dans son journal, que « Tout le monde a dû sentir que j’ai été assez dingue pour échanger en une heure ce soir toute mon œuvre présente et à venir contre un passage maladroit par ce soupirail de l’enfer, cette boîte à images satanique ! »[2]. Car avant ce passage télévisé, Marc-Edouard Nabe n’existe pas. Au régal des vermines, pamphlet corrosif à l’encontre de son époque et de nombre de catégories de l’espèce humaine, y compris sa propre personne, vient à peine de paraître et Marc-Edouard Nabe n’est encore « que » Alain Zannini, fils de Marcel Zannini, musicien de jazz et auteur en 1970 du « tube » Tu veux ou tu veux pas. C’est donc sous ce pseudonyme que Marc-Edouard Nabe entre en littérature de la manière la plus virulente possible. Bien sûr, il s’attelle déjà, depuis le 27 juin 1983, à la rédaction de son Journal Intime, œuvre pharaonique, en quatre tomes, recoupant la quasi intégralité des années 80 vu par son œil, mais à ce moment là, personne ne le sait, et le premier tome du Journal Intime ne sera publié que bien plus tard, aux Éditions du Rocher, en 1991. Avant Apostrophes, notre auteur n’est donc pas encore né publiquement ; après cette émission il sera mort pour une immense majorité, et cela perdure encore aujourd’hui, occultant une œuvre importante et protéiforme, vingt neuf livres comprenant journaux intimes, pamphlets, romans, essais, recueils d’articles, ayant été très peu lu et dont l’appellation d’« antisémite » accolé à son nom suffira à éclipser l’existence. Cette réputation d’antisémite, Marc-Edouard Nabe la doit Au régal des vermines, mais pas seulement, car finalement peu nombreux sont ceux qui auront lu l’intégralité du pamphlet d’un œil objectif, beaucoup de commentateurs et critiques littéraires se contentant au fil des années de ressortir des phrases hors du contexte de l’oeuvre, hurlant au loup à chacune de ses apparitions pour défendre un nouveau livre, cherchant à le nier et le discréditer à jamais. Cette mauvaise réputation vient donc en grande partie de l’émission dont nous allons traiter ici, cette unique heure de « littérature télévisée » que Marc-Edouard Nabe a voulu rendre réellement littéraire.
Passage télévisé devenu lieu de littérature puisque l’auteur l’a retranscrite littéralement dans son livre d’entretiens Coups d’épée dans l’eau et littérairement au fil de son œuvre, sa transposition clôt ainsi le premier tome de son journal intime Nabe’s Dream, introduit le second tome Tohu-Bohu, et les occurrences de Apostrophes dans l’index des journaux intimes sont nombreuses. L’émission sera également évoquée pour la dernière fois à ce jour et plus succinctement dans Le Vingt-Septième Livre, longue lettre d’adieu à la littérature adressée à son ancien voisin et ami Michel Houellebecq, comme le point de départ de la série d’embûches, d’incompréhensions, et de la vague de rejet que l’écrivain traversera durant vingt ans. Le Vingt-Septième Livre, paru en 2005 comme préface à la réédition de son premier, bouclant la boucle de ses vingt ans de scandale, est l’adieu de l’écrivain au monde des lettres, et signe un terme à son œuvre. Terme momentané toutefois, puisque Marc-Edouard Nabe suite à un procès gagné contre son ancien éditeur récupérera l’intégralité des droits de ses œuvres et connaîtra une seconde naissance à travers le concept d’anti-édition, republiant ses anciens ouvrages, et en publiant de nouveaux, à compte d’auteur et pour son cercle d’admirateurs, réduit mais fervent, lui permettant ainsi de poursuivre une seconde vie littéraire et continuer à vivre de sa plume. A ce jour, notre auteur est toujours vivant et, défait de sa malédiction de « worst-seller »[3], poursuit donc son œuvre en dehors du système médiatique et du monde des lettres, en toute liberté. Système auquel il s’opposait et duquel il a toujours cherché à s’exclure, cela dés le départ, comme nous allons le voir dans cette initiatique émission d’Apostrophes, qui avec son glorieux fiasco, résonna comme une première salve tirée vers l’adversaire.
L’écrivain qu’est Marc-Edouard Nabe est né ce jour là sous l’étoile du scandale. Et c’est l’origine de ce scandale que nous allons essayer d’analyser ici, avec le recul nécessaire, aidé par les années passant et la place particulière que l’auteur y accorda ; et sans lequel certainement la trajectoire de l’œuvre et la vie de l’écrivain, la confusion des deux étant à ce point peu commune, auraient peut être connu un destin différent. Si cela semble improbable, une chose est certaine : ils sont peu nombreux les écrivains capables d’un tel trauma, d’entrer en littérature comme on force le coffre d’une banque. Marc-Edouard Nabe l’a fait, et au lieu de partir égoïstement avec le butin, il l’a, à peine le coffre ouvert, mis sur un tas de bois, pris d’un rire diabolique, puis jeté un tas d’allumettes à nos pieds, nous défiant du regard…
Vingt-sept ans après, nous pouvons nous permettre de ne pas y mettre le feu et décemment nous interroger : quel est le crime que Marc-Edouard Nabe a commis ce 15 février 1985 pour être rayé de la carte littéraire durant de si longues années ? Quels habits le scandale a-t-il endossé ? Quelle est la plaie trop vive qui ne cicatrise pas avec le temps ? Croyons-nous qu’une provocation gratuite puisse marquer à ce point les esprits ? Les raisons du malaise sont-elles plus profondes ? Quoi qu’il nous en coûte, nous essayerons d’aller contre le courant, de dissocier le domaine moral du domaine littéraire, deux mondes qui n’ont jamais fait bon ménage, afin de déterminer ce qui provoqua cette naissance du scandale.
Nous commencerons, pour répondre à cette question, par évoquer son Journal Intime, dont Marc-Edouard Nabe annonce la rédaction pendant l’émission des années avant sa publication, et son principe de transparence totale. Principe de transparence impliquant une subjectivité absolue et où l’on peut « clouer comme des papillons »[4] chaque personnage sur son liège, les éterniser sur le papier, principe qui, manipulé sans la moindre précaution dans l’obsession de la vérité, crée un malaise du « je », une dissociation impossible entre l’auteur et son œuvre. Nous nous interrogerons ensuite sur la tentation antisémite avec laquelle Nabe flirte durant l’émission, revendiquant l’influence d’écrivains maudits qui l’ont profondément marqué : Louis-Ferdinand Céline et Lucien Rebatet. Cet antisémitisme inscrit dans Au régal des vermines est il le dernier clou planté sur le cercueil de cette « haine totale de l’humanité »[5] que l’auteur revendique ? Nous nous demanderons si ce totalitarisme littéraire est réellement politique ou une façon d’écrire contre son époque, contre le monde. Enfin, le dernier aspect de cette polémique que nous traiterons sera cette naissance dans la violence, et les formes qu’elle prend : le match de boxe littéraire entre Nabe et Sportès, le suicide médiatique de notre auteur et sa part de masochisme, avant de conclure par la violence physique que Nabe subit après l’émission, ou comment la littérature convoque le réel.
Première partie : Annonce du journal intime
Lors de son passage à Apostrophes Marc-Édouard Nabe, qui vient pour défendre son premier essai Au régal des vermines, nous fait l’annonce d’une part importante de son œuvre à venir : l’écriture en cours de son Journal intime. Commencé le 27 juin 1983, le Journal Intime est chronologiquement la première œuvre de l’écrivain (simultanément à l’écriture de Au régal des vermines dont nous suivons le parcours, de l’écriture à la publication, dans le premier tome du journal), et se conclut par la naissance de son fils Alexandre qui représente les dernières pages du tome quatre Kamikaze en septembre 1990.
Mais il existe également, ou plutôt il existait, un Journal intime couvrant les années 90 comme les quatre premiers tomes recouvraient les années 80. Marc-Edouard Nabe a préféré détruire ses cahiers là, mettant fin à son écriture diariste, dans un grand feu de joie sur l’île de Patmos où Saint-Jean écrivit l’Apocalypse et où l’auteur se réfugia seul en 2000 pour y écrire Alain Zannini, roman fleuve sur le double où l’auteur incorpore nombre d’extraits de ces fameux journaux brûlés. Il s’expliquera sur la destruction volontaire, le 7 avril 2001, de ce journal jeté dans les flammes : « J'ai brûlé mon Journal pour plusieurs raisons. Techniques : j'avais besoin d'accomplir cet acte dans le réel pour transformer l'écriture diariste en écriture romanesque. Sentimentales : la publication de ce journal avait fait trop de mal à mes amis et, pour leur épargner d'autres blessures, j'ai préféré le sacrifier (on dira après que je n'ai pas le sens de l'amitié !). Esthétiques : l'apparition sur Internet des blogueurs racontant leur vie a diminué l'intérêt que je prenais à exposer la mienne en librairie. Professionnelles, enfin : en 2001, j'ai senti que le monde de l'édition allait m'empêcher bientôt de publier mon Journal, ce qui n'a pas traîné : à peine Jean-Paul Bertrand avait-il vendu le Rocher en 2005 que les repreneurs m'ont signifié qu'ils supprimaient le tome V prévu, sans s'apercevoir que je l'avais fait moi-même ! Si j'avais aujourd'hui des milliers de pages de Journal en réserve, personne ne pourrait les éditer, et pas seulement à cause de questions juridiques... Ce n'est pas un des moindres paradoxes de la situation qu'à notre époque, où n'importe qui peut publier un livre, ce soit pour moi devenu réellement impossible. »[6]
Transparence totale
Durant cette longue période d’écriture de plus de quinze ans voyant l’écriture diariste se fondre dans le roman avec Alain Zannini, le Journal intime aura fortement pesé sur la vie personnelle de Marc-Édouard Nabe. Ceci est en partie causé par le principe de transparence totale que l’auteur impose à sa littérature, principe énoncé comme une profession de foi au début du Régal des vermines, abolissant toute distance entre l’auteur et son lecteur : « Il faut aller tout droit, de moi à vous, sans déformation. On doit retrouver l’univers de l’écrivain du début à la fin, dans une seule phrase, la première venue. Ceux qui cherchent la forme, c’est que leur écriture n’est pas vitale pour eux : ils ne dépendent pas d’elle. Elle ne les fait pas marcher : ils veulent la maîtriser au contraire, la dompter et non la laisser intacte, sauvage, salope de griffes, surprenante pour tout dire ! Se laisser entraîner par elle dans sa brutalité, dans la jungle, bambouler ensemble parmi les bambous bouffis de liane ! Je trouve que c’est plus honnête d’écrire comme ça que d’écrire autrement. Je sais aujourd’hui que c’est bien sa vie qu’il faut vivre par écrit, là, que se passe là, sans invention, dans le nerf réel, la réalité la plus vraie (et donc, la plus magique). Il n’y a qu’une écriture, c’est l’écriture sur le motif. »[7]
Cette confusion entre vie et littérature fait de Marc-Edouard Nabe un écrivain à part, désirant voir son identité se confondre d’une manière absolue dans sa littérature, même lorsque cela nécessite de sacrifier tout le reste : vie personnelle, réussite professionnelle, amitiés et amours, tout sacrifier sans se soucier de blesser, dans l’unique but de faire jaillir un peu de vérité. Car Nabe n’écrit pas pour vivre. Il vit uniquement pour écrire : « Je n’ai qu’une passion : les livres. Pour moi, ce qui n’est pas dans un livre ne vaut rien. Tout ce qui est en dehors de la page faite ou à faire n’est qu’un sinistre brouillon. La vie est à mettre au propre. »[8] Cette vie mise au propre, c’est ce même principe que l’auteur déclame dans Apostrophes, le liant à la rédaction de son Journal intime : « Moi je suis complètement envahi par la littérature. Ce que nous vivons là par exemple c’est un moment de télévision, c’est très curieux, mais c’est un brouillon pour moi. Je suis comme une éponge, il me tarde de rentrer chez moi parce que cette nuit je vais tous vous assassiner, vous clouer comme des papillons, je vais vous cloue sur mon liége, c'est-à-dire mon Journal intime et demain vous serez tous immortels pour moi. Ma littérature c’est ma vie, moi je vis pour ça. »[9].
Cloué comme un papillon
L’auteur se présente donc à nous comme un diariste sûr de sa postérité, voyant chaque jour, chaque moment de sa vie, comme une page à remplir de son unique subjectivité, voyant chaque être de chair et de sang comme un personnage littéraire prêt à être mis en scène. Se livrant constamment au jugement immédiat (puisque la nature même du journal implique cette contrainte quotidienne), et donc à l’éloge et à l’assassinat, et cela sans pouvoir de correction, l’écrivain est ce démiurge tout puissant immortalisant tout ceux qu’il côtoie par le seul pouvoir des mots. Devant sa feuille blanche, chaque soir, l’auteur possède le pouvoir de vie ou de mort sur chaque personnage, le pouvoir de clouer chacun de nous sur son liège.
Ainsi le premier ressenti de l’auteur sur les différents acteurs de la scène, cloués à la page de ce 15 février 1985 : « Je sens les psychologies très vite : Louis Julien, joli petit flanc tremblotant de mièvrerie ; Tabary, vieux pépère goguenard ; Anne Vergne, gauchiste mémére ironique ; Roberts, faux-doux sournois et « gentillet » et surtout Sportès, petit marquis puant, très antipathique, visiblement gêné par sa propre envie de vomir. »[10]. Les adjectifs, majoritairement péjoratifs, employés dans cette énumération pour définir chacun des participants de la scène nous permettent d’évoquer succinctement ce parti pris du Journal intime. L’exemple de Louis Julien, cité brièvement, puisque son intervention dans le débat est quasi nulle, est à ce titre évocateur. Caractérisé puisque présent ce soir là, il ne sera plus évoqué dans la suite du récit, l’auteur ne nous en laissant que cette maigre description.
Nous tenons là un exemple de ce que Nabe entend par clouer comme des papillons, c'est-à-dire un jugement définitif et abrupt sur un personnage à un moment précis, assumant totalement la subjectivité induite par cette description, fût-elle cruelle. Ce travail quotidien sur le réel fixant pour toujours une vision d’un moment passé (mais encore très proche au moment de l’écriture) il est naturellement impossible, et indésirable, pour l’auteur de revenir sur son texte. Le moindre mot retouché par la suite ne pouvant qu’obligatoirement intégrer une part de mensonge à cette écriture de l’instant, l’écrivain doit accepter son rôle et mener ce « « Je » truffé d’échardes »[11] à terme, sans se soucier d’aucune morale ni convenance, dans le but de nous emmener un peu plus prés de sa vérité, pouvant faire naître un malaise du « Je ».
Malaise du « je »
Le « Je » s’inscrit d’emblée au centre de l’œuvre de Marc-Edouard Nabe. Ce « Je » traduit la vie de l’auteur au jour le jour dans le Journal intime et concentre ses premières passions, avec haine ou idolâtrie, dans Au régal des vermines. Ce « Je », nourri par l’obsession de transparence totale de l’auteur, place le lecteur, en toute impudeur, dans la position du voyeur, pouvant susciter chez lui un véritable malaise né de cette brutale sincérité : « L’écriture est une subjectivité, la subjectivité c’est un crime, et il faut aller jusqu’au bout de cette subjectivité, s’impliquer jusqu’au malaise. C’est pour ça que j’ai fait un premier livre avec tout ce que ça comporte de fougue, de colère, de jubilation, de provocation, de tout ce que vous voulez… »[12].
Le « Je » est donc l’arme que l’auteur utilise afin de mener à bien son combat littéraire : « On tue quand on écrit. C’est ce que je vous expliquais sur mon Journal intime. On écrit, on tue. »[13] Mais en aucun cas, Nabe ne tente de nous faire rejoindre son camp, et ne réclame aucune empathie. Car s’il abolit toute distance entre le « Je » et celui qui l’emploie, nous conduisant à un possible malaise, une distance s’impose malgré elle, tel un instinct de survie répondant à la part de masochisme de l’auteur : « Autre chose de très symptomatique : on dirait que je fais tout pour gâcher, cacher mon talent sous des détritus, tout pour le garder pour moi seul. Je suis possessif avec mon talent : je voudrais que personne ne le reconnaisse, que pour le découvrir les autres se salissent jusqu’à l’âme !... Très bizarre travers… Ca vient sans doute de mon goût incompréhensible pour la défaite glorieuse, le catastrophisme lumineux. Je suis un esthète de l’extrémisme. »[14] Ce malaise du « Je », revendiqué et désiré par l’écrivain, voulant voir le lecteur se salir pour arriver jusqu’à lui, sera poussé encore plus loin dans la suite de Apostrophes. L’évocation du Journal intime, étant selon Nabe, le dernier moment de l’émission où il reste encore maître des événements : « Je fonce sur l’hameçon et commence à chorusser. (« Roberts, vous n’étés pas un écrivain ! ») L’atmosphère change. Ca s’assouplit. L’éveil est lancé. Je développe l’idéal littéraire, j’évoque mon journal où je les épinglerai tous cette nuit en rentrant comme des papillons et demain ils seront immortels !... Quel trou froid ! Pivot m’écoute béat. Jusque-là j’ai les cartes. »[15].
Deuxième partie : La tentation antisémite
Les accusations récurrentes d’antisémitisme portées à l’encontre de Nabe trouvent leurs origines dans cet Apostrophes et le poursuivront tout au long de son parcours littéraire. C’est le moment de l’émission où tout se met à déraper, le moment où la discussion glisse du domaine littéraire vers le domaine moral et politique, deux domaines desquels notre jeune écrivain semble volontairement étranger et peu à l’aise, ne pouvant répondre qu’avec provocation et arrogance à ce brusque changement de ton de l’assistance : « A ce moment, tout bascule : cette crapule de Sportès sort ses petits papiers de sa sale poche et lit tout haut deux phrases sur les Noirs m’accusant de bananianisme et en ironisant sur mon allure vestimentaire… Je vois bien que Pivot n’a pas l’intention de reprendre les rênes du débat. C’est Sportès qui hausse le ton, me lance les Décombres et Bagatelles à la gueule, les enfants envoyés aux fours par Brasillach, etc. C’est parti ! Que faire ? Ramener la discussion à la littérature ? Fermer ma gueule ? Pirouetter ? J’ai su que j’étais perdu, à la seconde, quand Pivot m’a posé de front la question qu’il n’a jamais posé à personne, ni à Jouhandeau, ni à Boutang, et que rien ne l’autorisait à poser à un jeune type de vingt-cinq ans en direct pour son premier livre : « Etes-vous antisémite ? » »[16]
Se présentant habillé dans un style années quarante, en totale anachronisme avec son époque, Marc-Edouard Nabe suscite la suspicion chez ses « confrères » écrivains, assimilant son allure vestimentaire à une nostalgie fasciste : « Moi, on m’a toujours traité de fasciste parce que j’avais un nœud papillon. Tout est là, vous comprenez ? »[17]. Les passages haineux envers les Juifs dans Au régal des vermines, dont Morgan Sportès fait une citation, ne sont qu’une haine parmi tant d’autres, et partie indissoluble d’un ensemble à analyser rigoureusement, mais sortis de leur contexte, peuvent apparaître comme un véritable réquisitoire contre l’auteur. Et ce qui accentue le trouble sur le plateau d’Apostrophes, c’est l’amour inconditionnel que Marc-Édouard Nabe revendique envers Rebatet et Céline, dont les pamphlets antisémites firent couler beaucoup d’encre. Refusant de s’adonner à de stériles leçons morales vu du présent, à rebours de l’Histoire, Nabe choque en prenant la défense de ses écrivains adorés sans aucune sorte de modération, et en revendiquant une écriture fasciste.
Influences : Céline et Rebatet
L’influence du trio d’écrivains maudits Louis-Ferdinand Céline, Lucien Rebatet et Léon Bloy est déterminante pour juger l’esthétique du Régal des vermines. Comme d’autres jeunes auteurs nous sont apparus, pour la première fois, revendiquant des influences réalistes, surréalistes, classiques ou romantiques, telle une étape obligatoire de la construction intellectuelle et littéraire de l’écrivain afin de finir par creuser leur propre sillon, notre auteur, lui, en plein mitterrandisme au milieu des années 80, s’introduit à nous auréolé d’une parure fasciste, sous l’égide de ses écrivains maudits. Nous laisserons le cas Bloy de coté, et nous attarderons précisément sur les cas de Céline et Rebatet cités longuement dans l’émission.
Marc-Edouard Nabe admire en effet l’œuvre de ces deux écrivains sans le moindre bémol, ne voyant que dans l’unique qualité littéraire (entendons par là le style) les raisons de sa vénération ou détestation. Laissant les jugements moraux loin derrière lui, il entreprend sur le plateau d’Apostrophes une suicidaire entreprise de réhabilitation de l’écrivain fasciste Lucien Rebatet, plaçant la littérature au dessus de tout, comme un absolu esthétique et individuel, dépassant tout questionnement politique : « Et Rebatet fait aussi partie de ces grands écrivains à qui on n’a pas pardonné leurs problèmes politiques. On pardonne à Aragon d’avoir écrit L’Ode au Guépéou, mais alors Rebatet ça c’est plus difficile à pardonner… Pourtant, c’est un très grand écrivain… Essayez de dépasser ces problèmes politiques, soyez les plus forts, regardez, ne soyez pas aveuglés, moi je passe pour un aveuglé, pour un haineux, alors que vraiment c’est le contraire, c’est le contraire !... »[18]
Cette admiration pour l’œuvre méconnue de Rebatet, et l’indignation qu’elle suscite en raison de l’orientation politique de l’auteur, est ressenti par Nabe comme une profonde injustice : « Est-ce qu’on sait que Rebatet a écrit le plus grand roman de l’après guerre, qui s’appelle Les Deux Etendards ? Alors expliquez-nous pourquoi personne ne parle des Deux Etendards, à notre époque ? »[19] La réponse à cette question, les coupables de cette injustice, Marc-Edouard Nabe les désigne dans le Régal : « Grâce à vos ignobles pères, Rebatet restera le grand écrivain « raté » qui a sacrifié la « Littérature » éthérée à la pulpeuse polémique. Seulement, un chef d’œuvre, c’est gênant pour un écrivain raté, alors les critiques, sachant pertinemment que malgré Les Décombres et malgré Rebatet lui-même, Les Deux Etendards étaient un très grand livre, ils se sont empressés de le recouvrir de décombres. »[20] Mais Nabe, qui pourrait se réfugier prudemment derrière des principes moraux en éludant la partie gênante de l’œuvre de Rebatet insiste sur sa fascination pour l’auteur fasciste, sans restrictions, jusqu’à une possible abjection, en défendant de façon péremptoire le pamphlet Les Décombres : « M.S. : Je rappelle que ce Monsieur admire profondément Les Décombres de Rebatet… M.-E. N : Oui, absolument… »[21]
Quant à l’influence de l’auteur du Voyage au bout de la nuit sur la conception littéraire de notre auteur, elle semble immédiatement évidente lorsque est évoqué dans Lucette, roman sur la veuve de Céline, sa façon d’envisager la littérature : « - Louis pensait qu’il fallait toujours dire ou écrire ce qu’on pensait. C’était sa loi. Il fallait bien gratter la vérité jusqu’au fond de la marmite, tout sortir… »[22] Cette obstination pour la vérité individuelle à tout prix, cette transparence totale dont Nabe fait sa profession de foi, nous permet d’un peu mieux comprendre les raisons qui poussent notre auteur à défendre ce que le recul historique rend moralement indéfendable. Marc-Edouard Nabe pousse ainsi son raisonnement d’amour célinien jusqu’au bout en n’excluant pas, tout comme pour Rebatet, les pamphlets antisémites de l’équation littéraire : « Bien sûr, tout le monde aime Céline pour Voyage au bout de la nuit et pour Mort à crédit, mais pas pour tout le reste. »[23] Et lorsque Morgan Sportès lui rétorque qu’ « il ne faut tout de même pas dire de conneries, les écrivains sont responsable de ce qu’ils écrivent… Quand messieurs Brasillach et Rebatet ont appelé à la déportation des jeunes enfants, y en a marre, arrêtez… »[24] Marc-Edouard Nabe lui répond : « Vous auriez plongé le premier comme un fou dans une idéologie romantique farouche d’assainissement dans les années trente, j’en suis sûr. »[25] Cette réponse acide ne nous dit rien d’autre qu’une chose simple : nous devons dissocier le domaine moral et politique du domaine littéraire. Il est facile à posteriori de se placer du coté des héros, des résistants, mais il est pourtant impossible et dérisoire de juger les actes que chacun d’entre nous aurait accomplis, en lieu et temps voulu. Ce qui doit être jugé pour Nabe, ce ne sont pas les actes d’un être, mais son génie, qui s’il est assez grand, pardonne tout le reste. Mais si le champ politique est à exclure du jugement que nous portons sur l’œuvre, nous pouvons nous demander ce qu’entend le Nabe pamphlétaire du Régal lorsqu’il revendique son premier livre comme fruit d’une écriture fasciste ?
Fascisme apolitique
Marc-Édouard Nabe se présente en effet à nous sous les oripeaux d’un écrivain fasciste. Nabe n’est évidemment pas Hitlérien ou nostalgique du troisième Reich, mais il aime entretenir l’ambiguïté de cette affiliation revendiqué au fascisme car « tout risquer pour une ambiguïté est une bravade qui me ressemble »[26]. Il joue donc ainsi durant toute l’émission, soufflant le chaud et le froid, entre premier degré et ironie empoisonnée : « Je suis donc allé plonger dans cette insulte qu’on me lançait : « C’est un fasciste, Nabe est un fasciste. » Et je me suis aperçu que c’était un mouvement historique, culturel, idéologique de 19 à 45 où il y avait un certain nombre d’intellectuels des années 30 qui prônaient des valeurs que tout les gauchistes et tous les « révolutionnaires » de mai 68 et d’après prônaient : antidémocratisme, antilibéralisme, anticommunisme, pour le maintien de la culture européenne, contre l’Amérique, et un certain nombre de « valeurs »… »[27]
S’étant moqué de l’insulte qu’on lui lançait et se l’étant appropriée, Marc-Edouard Nabe, même lorsqu’il s’enflamme en fin d’émission rêvant de dictature, ne sort pas du champ littéraire. Son rêve n’est pas un régime politique où règnerait un ordre parfait, encadré, inquisiteur. Il rêve d’une oppression qui mènerait au désordre, d’où la politique serait exclue, un désordre littéraire du monde où la créativité pourrait s’exprimer avec la plus sauvage pureté : « Moi je ne suis pas révolté parce que tout va mal, mais parce que tout va trop bien. Ce que je recherche, c’est la barbarie originelle. Retrouver l’anarchie originelle ! C’est pour ça que j’estime qu’un régime de dictature très dur ne peut que provoquer cette anarchie originelle fondamentale où tout serait magnifique »[28]
Le champ dans lequel Marc-Edouard Nabe s’inscrit, il l’éclaircit lorsque Pivot reçoit un télégramme d’un dénommé Stirbois, adjoint de Jean-Marie Le Pen, chef du Front national, pour féliciter notre jeune auteur (télégramme qui se révélera être un faux, Bernard Pivot n’ayant pas vérifié son authenticité avant sa lecture, sera obligé de corriger le tir la semaine d’après mais trop tard, le mal était déjà fait et la réputation de Nabe compromise). Nabe saisit l’occasion pour déclamer à nouveau son ambition artistique, réaffirmant sa position d’écrivain, fustigeant toute politique : « Parce qu’il n’a rien compris ! Parce que je n’ai rien à foutre avec Le Pen. Je suis un écrivain. J’ai pris ces risques-là. Est-ce que vous vous rendez compte ? Vous croyez que je suis vraiment fou alors de pouvoir mettre des passages comme ça sur Bloy sur lequel on peut faire des éloges, quel merveilleux écrivain ! et puis se gâcher, se pourrir, être maso à ce point parce qu’on prononce le nom de Rebatet ? Le Pen j’en ai rien à foutre. On croit que Le Pen est un fasciste, mais c’est vraiment un scandale ! Le Pen est un démocrate, il s’inscrit dans l’hémicycle, il est reaganien Le Pen ! Il a un programme reaganien. C’est un véritable homme de droite, comme Cohn-Bendit est un véritable homme de gauche, c’est tout, mais ils sont tous méprisables, tous dans le même sac, ce sont tous des gens qui ont marché dans la politique. Si j’avais voulu être un politicien, si j’avais voulu être un dictateur, si j’avais voulu être un militaire, ça aurait été facile, j’aurais une mitraillette ou je serais rentré dans un parti. J’ai choisi d’être écrivain. Est-ce que vous pouvez savoir ici sur ce plateau ce que c’est être écrivain ? Est-ce que vous pouvez l’imaginer ? »[29]
Mais dépourvues d’intentions politiques dans le réel, et solitaire tel que l’écriture l’exige, que signifie le fascisme tel que se le représente le jeune Nabe ? La représentation qu’il en donne, sa conception littéraire, est énoncée cette fois sans ambiguïtés aucune dans le Régal des vermines : « En littérature je préconise un fanatisme, un nazisme, un fascisme absolus et excessifs ! Toute Littérature est de droite. Tout poésie est foncièrement fasciste. Si dans la rue, la civilisation nous pousse à pratiquer une politique de gauche, dans la créativité, il n’est d’autre solution que d’être d’extrême droite. De gauche dans le quotidien et de droite sur le papier. Un créateur ne peut travailler dans la justice. L’Egalité, la Liberté, la Fraternité, il ne connaît pas. J’estime que tout artiste est fasciste. C’est trop facile à démontrer. C’est l’exigence intime. Le fascisme est la seule issue pour un artiste. »[30]
Nous voyons bien dans cet extrait que Nabe parle de fascisme uniquement dans le champ littéraire, les deux phrases qui encadrent ce passage, la première et la dernière l’attestant. Ce fascisme est préconisé en littérature, et n’est la seule issue que pour un artiste. Pour aboutir à une œuvre véritable, l’artiste ne doit pas s’embarrasser de tolérance, et certainement pas envers lui-même, il n’y a que l’exigence intime, la dictature de l’esprit, qui puisse le pousser à s’accomplir en tant qu’artiste. Et pour cela, il faut éradiquer le monde connu qui l’entoure, haïr la terre entière, devenir soi même le prisme au travers duquel tout se transforme car « Une seule chose compte : faire de son Nombril le maelström du monde »[31]
Haine totale de l'humanité
« J’ai la haine totale de l’humanité. Parce que j’estime que quand on écrit, le premier “Je” qu’on inscrit sur sa page blanche c’est l’extermination des six milliards d’individus que nous serons bientôt. »[32] L’écriture consisterait donc pour Nabe, si l’on désire écrire avec le plus de sincérité possible, à une individuation totale, l’auteur est définitivement seul et annihile par sa plume l’existence du monde tel qu’il est constitué, tel que les autres le voient, afin de pouvoir en restituer une vérité intime et absolument individuelle. Sans aucune forme de modestie, la prétention et l’ambition de l’écrivain doit être totale : « C’est un procès qui est trop vieux pour ne plus l’ouvrir qu’entre parenthèses : reprocher sa vanité à tout type qui ose prendre la plume, c’est reprocher à un acteur son cabotinage : je plains les pauvres tarés qui n’ont pas saisi qu’avant d’écrire, la littérature nous somme de déposer notre humilité encombrante au vestiaire : nous entrons légers comme des Ariels dans la neige angoissante de la première page. Si on n’écrit pas dans l’intention de refaire le monde en une seule phrase, alors c’est pas la peine : autant rester “à sa place”, dans le strapontin, bien au chaud dans le noir, anonyme… »[33]
Lorsque vient le premier « Je » écrit sur la feuille, l’écrivain est véritablement seul au monde, démiurge tout puissant et l’humanité entière, excepté sa propre personne, est détestable. Les autres ne sont qu’une barrière empêchant l’individu de s’accomplir, de se réaliser, empêchant que s’épanouisse la liberté intrinsèquement cruelle de chaque être humain, et le retour à un état préhistorique du monde, où tout serait fou et flamboyant. En somme mettre, il faut remettre le monde dans un état littéraire. Et l’écrivain est seul pour accomplir cette tache, le couteau entre les dents, puisque « tout individu qui n’est pas moi est un adversaire »[34]. L’écrivain est seul, mais c’est l’être humain qui l’est par nature selon Nabe, la communication humaine n’étant possible que dans le domaine de la littérature, c’est dans ce monde qu’il choisit de s’immerger intégralement, transcendant sa propre solitude : « plus que jamais, je suis persuadé qu’aucune communication n’est possible, et pis : qu’elle n’a jamais existé. Jamais deux êtres dans l’Histoire n’ont pu se parler. Nous ne sommes pas isolés : nous sommes isolants. Ne vous demandez pas pourquoi les superstitieux « touchent du bois ».[35]
Cette solitude est en même temps le but et le résultat de son écriture, mais c’est pour Nabe le seul sens qu’il est possible de donner à sa vie : « Plus on écrit, moins communique avec les autres. C’est le plus grand recul, le plus tragique mutisme que peut espérer un être humain, silence qui lui donne toute sa musique et tout son sens. »[36] Cette solitude accomplie l’accompagne constamment, et il la ressent dés son arrivée sur le plateau d’Apostrophes : « Je me sens exactement comme un martien. Les autres le ressentent aussi : un grand écoeurement glacial se lit sur mon visage : j’ai la sensation d’être collé contre un mur d’un très long couloir »[37] Et dés le début de l’émission, cette sensation ne fait pour lui que s’accentuer lorsqu’une tentative d’humour de mauvais goût visant à détendre l’atmosphère échoue lamentablement : « Je ne coupe pas à une question sur la B.D. : j’élude par une vanne énigmatique sur la présence dans l’album de Tabary des arabes et d’Hitler « ce qui n’est pas fait pour me déplaire », et dont le flop me confirme qu’aucun des invités, pas plus que le public lui-même, n’est avec moi : je suis seul, lividement seul. »[38]
Nabe s’imaginait sûrement faire rire, comme chez ses amis d’Hara-Kiri, journal satirique pour lequel il a dessiné très jeune, et dont les joyeuses pérégrinations sont suivi dans le tome un du Journal, mais sur la scène lymphatique d’Apostrophes ce genre d’humour à l’esprit frondeur ne semble guère apprécié. La deuxième tentative d’humour sera elle aussi un grand moment de solitude et un véritable désastre : « «Etes-vous antisémite ? » - Je ne répondrai qu’en présence de mon avocat. Personne ne rit et ça fait sur Sportès l’effet d’une muleta dangereusement agitée : il me rentre dedans. »[39] Cette volonté de vouloir rendre tout littéraire pousse Nabe à la boutade en réponse à cette question, refusant de dissiper le malaise, de se rendre acceptable. Il ne veut pas sortir de son livre, du monstre littéraire qu’il s’est créé dans le Régal et simplement se décider à avoir une morale, une modération sur ce sujet précis. Il souhaite être seul au monde, exécrant tout ce qui n’est pas lui, détestant comme le résume sommairement Bernard Pivot « tous les Blancs, les cléricaux, les athées, les pédés, les juifs, les journalistes, les vieillards, les fonctionnaires, etc. »[40]. Définissant sa vision du monde dans la haine, vision qui vaut pour lui et lui seul puisque « Je ne veux rien apprendre aux autres, ni les convaincre : je veux leur foutre ma main dans la gueule : c’est tout. »[41]
Si le racisme est une différenciation entre les races, en considérant certaines supérieures à d’autres, et les haïssant pour leurs différences, les accusations de racisme envers notre auteur s’écroulent d’elles mêmes. S’il est raciste, il l’est avec tous, raciste de la race humaine, qui se regroupe par clans, refusant la solitude et l’individuation de l’individu : « Les pédés, je les hais, mais ils ne sont qu’une minorité parmi d’autres. Toutes les minorités empêchent les individus de prendre le pouvoir. C’est ça qui est impardonnable. »[42] Les Juifs sont donc une des cibles de la haine de notre jeune auteur, une cible parmi d’autres que Nabe choisit d’invectiver, il les inclut sans les considérer moins détestable que le reste de l’Humanité :
« Dés qu’on prononce le mot « Juif », il y a un joug terrible, on ne peut plus dire ce mot sans que tout le monde vous tombe sur le dos. Sans que tout le monde essaie de vous faire passer pour un hitlérien simplement. Je vomis la terre entière dans ce livre, il n’y a pas de raison que les Juifs soient exclus de ma gerbe d’or. C’est ça ce que je dis… »[43]
Nabe considère son premier essai comme une somme de haines littéraire, essayant d’aller le plus profond possible vers le mal, c'est-à-dire la vérité intrinsèque de l’être humain débarrassé de la morale, une vérité cruelle et intime : « Je suis allé au fond de l’honnêteté et j’y ai découvert le péché absolu. Ecouter sa nature porte à la condamnation pure et simple : ne pas tricher, c’est la guillotine. »[44] La voie dévoilée par ce désir de vérité absolu de l’individu, cette transparence totale mène forcément au malaise, au jugement constant qui nous pousse à l’intolérance, cette intolérance que notre jeune auteur juge essentiel paradoxalement à la vitalité de son écriture, jouissant de sa négativité extrême, inversant le pôle en sa faveur pour rentrer dans l’extase : « Bien vite mon halo haineux s’est transformé en aura extatique : j’ai rayé de la surface du globe LA TOTALITE des individus… On m’a souvent accusé de taper un peu n’importe où, de détester à vide, aveuglément tout ce qui me tombe sous la dent. C’est que, en réfléchissant bien contre un arbre ou dans mes mains, je me suis bien rapidement rendu à l’évidence : il n’y a vraiment personne que je tolère. »[45]
Sur la scène d’Apostrophes, Nabe énonce sa théorie de haine totale de l’humanité, en correspondance avec le « Je » du Régal des vermines. Cette haine totalitairement littéraire devient littéralement palpable sur le plateau puisque nous assistons à la naissance d’une écriture : une véritable naissance dans la violence, mentale, médiatique et physique.
Troisième partie : Naissance dans la violence
Cette naissance médiatique de l’auteur venu présenter sa première œuvre se fait dans la violence. Violence du verbe de Marc-Édouard Nabe évidemment qui transforme cette sympathique réunion culturelle télévisée, en une bataille de chiffonniers où les esprits s’écharpent, le ton montant au fil de l’émission, et Nabe cristallisant avec sa théâtralité à lui seul tout Les mauvais sentiments du plateau. Mais la violence ne se limite pas au verbe. Car cette naissance du scandale se traduit à l’écran, et derrière l’écran lorsque la caméra cesse de tourner, par une violence qui prend différentes formes : mentale, médiatique, et physique.
Violence mentale de l’affrontement entre Morgan Sportès et Marc-Édouard Nabe, deux ennemis qui se sont bien trouvés ce soir là et qui s’étripent tout au long de l’émission, rempli de mépris l’un pour l’autre. Violence littéraire de Marc-Edouard Nabe qui joue avec le feu médiatique et cherche le suicide littéraire, à créer de la littérature en se donnant la mort au moment même de sa naissance. Violence physique puisque à la fin de l’émission, Marc-Edouard Nabe se voit agresser par le journaliste Georges-Marc Benamou qui lui assénera plusieurs coups de poings, transposant la violence littéraire de Nabe dans le monde physique, sortant du cadre purement artistique. L’accouplement de l’écrit et du réel n’étant pas sans risque, mais accouchant d’un moment de littérature puisque cette naissance dans la violence sera le point zéro du scandale de l’auteur et posera les premiers jalons de son œuvre.
Cette naissance dans la violence que Nabe convoque sur le plateau, il se fait un plaisir de la retourner vers lui-même, en bon masochiste. Comme s’il savait quelles cartes jouer pour gagner, mais que gagner lui semblerait si ennuyeux qu’il choisit délibérément de perdre, décidant de n’utiliser, pour être certain de sa défaite, que les plus mauvaises cartes. De cet affrontement devenu culte d’Apostrophes, Nabe a voulu jusqu’au bout en maîtriser le destin, choisissant sa trajectoire dés le départ, voulant endosser les habits de ses modèles littéraires et naître à la littérature, déjà maudit, prenant de l’avance sur ses pairs. Pour en arriver à cette béatification, l’apprenti maudit doit avec grâce s’abandonner dans les bras de la défaite, défaite appelée de ses vœux et qui prendra trois formes, trois formes de violence.
Nabe/Sportès : violence mentale
Marc-Édouard Nabe ne connaissait pas encore son adversaire, mais avait déjà pressenti l’affrontement, l’odeur du soufre, dés son arrivée dans les loges : « Drôle d’ambiance dans le bureau désert où je vide ma peur et chauffe mon énergie. Ca me rappelle certains moments d’acteurs ou de boxeurs avant l’orage, cette onde de loge… »[46] Très vite, lorsqu’il croise les autres participants, son adversaire lui est désigné, et l’adversaire choisi ne doit pas être faible, cela ne peut être que le mâle dominant, auréolé de sa propre gloire : « Sportès, petit marquis puant, très antipathique, visiblement gêné par sa propre envie de vomir. Tout de suite je sens que c’est lui le toréador : rarement j’ai vu un minable aussi déterminé. Il évite mes regards et exhibe sa mâchoire. »[47] Prélude de l’invective qui aura lieu sur le plateau, Nabe sent son futur adversaire fuyant, mais prêt à en découdre.
L’affrontement verbal entre Marc-Edouard Nabe et Morgan Sportès donne au plateau d’Apostrophes les allures d’un ring de boxe. Nous ne pouvons pourtant pas dire que les autres protagonistes de l’émission soient complaisants avec Nabe, les rôles étant, de toute façon, répartis dés le début du débat : « pour Pivot, c’est facile : je suis le contradicteur. »[48], Mais un seul accepter d’affronter Nabe, et de lui répondre avec la même virulence : Morgan Sportès. Interrompant Bernard Pivot parlant du Régal des vermines, c’est au moment où il intervient que la conversation prend une autre tournure, Pivot laissant à Sportès sa place de maître de cérémonie pour le reste du débat : « A ce moment, tout bascule : cette crapule de Sportès sort ses papiers de sa sale poche et lit tout haut deux phrases sur les Noirs m’accusant de bananianisme et en ironisant sur mon allure vestimentaire… Je vois bien que Pivot n’a pas l’intention de reprendre les rênes du débat. C’est Sportès qui hausse le ton, me lance les Décombres et Bagatelles à la gueule, les enfants envoyés aux fours par Brasillach, etc. »[49]
Morgan Sportès, pour sa première intervention, décide d’attaquer Nabe, et de déplacer le débat sur le domaine moral et politique. L’accusant de racisme, et d’encenser dans son livre des auteurs criminels, Nabe est en mauvaise posture, devant répondre à l’attaque immédiatement. L’auteur n’est pas dupe et n’a que deux choix : le repentir ou défendre, quoi que ça en coûte, l’extrême subjectivité de son écriture, endossant les habits du mal :
« Je sens le traquenard et je m’y jette. Quel choix autre m’est offert ? Baisser la voix devant les rires forcés de l’ignoble Sportès, bredouiller des repentirs ? Je me saborde en beauté, je lui donne même les armes pour me fusiller. C’est un combat sans merci. Rarement j’ai ressenti une telle lutte mentalement physique entre deux individus. Pivot est dépassé : Sportès et moi ressemblons à des lions sauvages qui se déchirent en direct. Je me sens perdant bien sûr, splendidement perdant et j’en rajoute jusqu’à accabler mon sale vainqueur de sa dégueulasse victoire dont il se gorge la tête au ciel avec des airs d’artiste inspiré… »[50]
Plutôt que s’incliner et se prosterner devant la position morale confortable de Sportès, Nabe embrasse avec vigueur cette défaite heureuse, laissant la victoire honteuse à Sportès, et ne renie rien de son discours. Il intensifie au contraire le dégoût que Sportès lui inspire, voulant nous prouver que tout les sépare, mener la dissociation au bout, créant une véritable dichotomie entre les deux écrivains. Marc-Edouard Nabe sait que la bataille morale est perdue pour lui, maintenant que le résultat est acquis, impossible de revenir en arrière, la seule chose faire est de rendre son personnage plus insupportable encore, charger le vainqueur avec le plus de panache possible : « Sportès ricane en gagnant, je bondis. »[51]
Isolé par ses positions littéraires extrémistes et ses propos méprisants pour ses confrères, Nabe joue sur un fil, et Sportès attend l’erreur fatale, la goutte d’eau qui fera déborder le vase. L’épisode du faux télégramme du Front National sera cette goutte d’eau, scellant le sort public de Nabe. Défait, sans soutien aucun, suscitant les moqueries de l’autre camp, le vainqueur célèbre la victoire avec ses troupes : « Eclat de rire amer dans la salle…. Tous les copains de Sportès vers lesquels il se retourne sans cesse font la claque de ma mort, comme aux arènes… »[52] Sportès est bien accompagné, loin de la solitude de Nabe, le vainqueur se pavane, entouré de sa cour : « J’entends de loin Sportès expliquer son acharnement à un essaim de groupies. »[53] Nabe, seul et vaincu par le nombre, gorgé d’animosité, sort donc perdant de l’affrontement et désigne le responsable initial de ce long dérapage : « Ce bref sourire se dissout dans les regards de haine dont je darde mon exécuteur, celui qui a tout fait dévier, l’ordure. »[54]
Suicide littéraire : violence médiatique
Si Sportès est le vecteur de cette animosité à son encontre, nous ne pouvons pas dire que Nabe ait fait quoi que ce soit pour tenter de se rendre plus sympathique. Car tout ce qui serait susceptible d’aider à sa propre défense, toute chose qui pourrait lui faire faire un pas en dehors du précipice, il la repousse, dégoûté, d’un geste de la main. Sa tactique est d’attaquer, pas de se défendre, il dévoile sa vision de la littérature et refuse toute justification devant ceux qui la conteste. Tout cela ne compte que pour lui, chaque pensée mauvaise, chaque ligne de journal, tout doit être assumé, tout est littérature, immortalisé, sans aucun regret. La vie ne s’arrête pas pendant le cours interrompu de son écriture et rien ne peut être raturé, même pas la seconde, donc la ligne, précédente. Et même lorsque Nabe semble se défendre, c’est si volontairement maladroit que cela l’enfonce un peu plus profond. Mais cela est logique, car il veut se présenter sous le jour le plus mauvais possible. Arriver sur un plateau de télévision avec cette attitude est courageux, mais totalement suicidaire, même lorsque le titre de l’émission se nomme Les mauvais sentiments. Devant cet acharnement à se montrer détestable, nous pouvons nous demander si Sportès n’était finalement pas l’idiot utile, le complice nécessaire d’un suicide médiatique que Nabe aurait de toute façon accompli.
Car l’obstination à susciter le rejet, Marc-Edouard Nabe la cultive, dans le but de redonner à l’artiste ses galons de subversion, cherchant un nouvel espace de liberté pas encore défriché, une nouvelle façon de provoquer les esprits, en dehors de la tempérance de toute opinion sociétale. L’artiste doit adapter sa révolte à l’époque qu’il traverse, et le suicide médiatique auquel Nabe se livre n’a qu’un but : gagner une liberté d’expression absolue. Car une fois tout les tabous embrassés et toute empathie envers l’auteur impossible, l’artiste vêtu de sa malédiction voit ouvert devant lui tout le champ des possibles : « Aujourd’hui où toutes les libertés d’expression ont soi-disant été conquises, l’honneur du monstre qu’est tout artiste est de se rendre insupportable, par tous les moyens. Un seul suffit, d’ailleurs… Le tabou des tabous. Je ne pouvais pas ne pas toucher à ça. Il le fallait. J’allais trop sûrement être récupéré comme jeune gueulard post-gauchiste, manipulé par les bien-pensants. J’aurais tenu quelques mois, puis j’aurais été avalé par la mode, petite star oubliable… Tandis que là, je suis tranquille, pour toujours ! Toute ma vie, je traînerai cette casserole, je suis tatoué pour l’éternité, je porterai ma croix en permanence ! Tous les golgothas me sont permis ! »[55]
Marc-Édouard Nabe profite de cette émission pour tenter une expérience mystique jamais réalisée par un écrivain, se crasher tel un kamikaze le jour même de sa naissance médiatique : « Je me suis suicidé en direct, je me suis payé la tête de la télé, et je me suis cru mort devant quinze millions de personnages. C’est une expérience unique chez un écrivain se tuer au moment de sa naissance. Prendre son pseudonyme et lui faire hara-kiri. »[56]
S’il a du se résoudre à ce suicide, c’est que Nabe a le goût de la défaite, la tentation de l’écrivain maudit dont il veut endosser tout les habits lors de sa naissance, se chargeant de haine et de mépris le plus lourdement possible. Son talent pour perdurer doit rester dans l’adversité, aucune collaboration ne sera possible. Rimbaud écrivait : « J'ai tous les talents ! — Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. »[57] Nabe de la même façon se refuse à partager le magot. Tout doit être masochistement fait pour repousser le lecteur, pour l’empêcher de piller le fameux trésor : « Je sentais que tout commençais à mieux aller : il a fallu que je rectifie le tir en le déviant. C’est dans les balles perdues que j’atteins la cible. Petit, maigrelet, doux, bien habillé, reconnu comme jeune écrivain d’avenir, je n’avais plus que cette issue pour les empêcher tous de jouir de ma littérature. J’ai joué avec le feu. C’est lui qui a gagné. Normal : il a triché. Le feu a triché ! » Ce jeu avec le feu, cette adoration pour la défaite, et propension au malheur, maître de toute les libertés, nous pouvons y trouver une autre correspondance avec Une saison en enfer de Rimbaud, peut être même un mode d’emploi que Nabe a appliqué à son propre destin littéraire : « J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. »[58] Risquons nous à une analogie : les bourreaux sont les récepteurs de l’œuvre, les fléaux les écrivains desquels ils s’inspirent, la boue les tabous que Nabe embrasse, et l’air du crime le vent de l’époque. Nabe se suicide donc médiatiquement en créant de cette façon un moment de littérature. Reniant le reste du monde, excepté sa propre personne, qui n’est que littérature, encore fallait-il, pour que le suicide soit réussi, trouver le moyen le plus efficace, le plus définitif possible : « Comme tout seul devant une glace, je me suis shooté avec ma propre image. La mort a coulé de la seringue la plus rouillée que j’aie trouvée : le fascisme ! »[59]
Nabe/Benamou : violence physique
Mais la violence invoquée par Marc-Édouard Nabe ne s’arrêtera pas à la seule violence mentale, né du combat avec Sportès, ni à la seule violence médiatique, né du désir de liberté absolu de l’auteur. La violence que Marc-Edouard Nabe invoque par le pouvoir des mots, la toute puissance de la littérature, trouve son apogée dans la violence physique que notre auteur subit à la fin de l’émission, une fois les caméras éteintes. Corporellement matérialisée, la violence devient physique et l’espérance du « monsieur Déloyal »[60] du service public fortement déçu : « A la caméra, Pivot déclare espérer qu’aucune rixe ne viendra couronner cet Apostrophes. Générique de fin.»[61]
Violence physique comme le couronnement de la violence verbale dans laquelle Nabe se réfugie, se sachant cerné, foutu, et extrémisant encore un peu plus son attitude vu la débâcle de l’émission, voulant être le plus mauvais possible : « C’est le début de la fin : je suis coulé. Jusqu’au bout je balancerai des bombes à froid, d’un air archi antipathique, très méchant, crachant sur tous les livres présentés. »[62] Même lorsque Sportès cherche à modérer quelque peu son propos, Nabe ne dévie pas d’attitude et enfonce le clou de ses inimitiés : « Jusqu’au générique je serai sanguinolent d’outrance. Sportès essaiera de se rattraper : « C’est dommage, il est jeune, dans dix ans, il sera bien. Son livre m’a donné envie de vomir. » Je dénonce cet atroce et déshonorant paternalisme. »[63]
C’est quelques minutes après la fin de l’émission, une fois la pression retombée, que Nabe continue à naître, cette fois dans la violence physique. L’auteur, par sa violence verbale, met à jour la violence de l’autre, l’ennemi, qui ne disposant pas d’armes littéraires pour lutter, désarmé intellectuellement, se résout à frapper, cherchant à rendre une justice rendu immédiatement obsolète et ridicule par la simple utilisation des coups : « A ce moment-là, je vois foncer sur moi un type qui crie : « Sale chien ! » et me donne plusieurs coups de poing dans la gueule. Mes lunettes volent en éclats. Ainsi que le verre de jus de fruit que je tenais à la main. Je suis à terre, je me protège la tête avec mes bras et j’entends les bruits de la bagarre, Albert certainement vient à ma rescousse. Je reste un instant recroquevillé dans mon corps, percevant à peine le monde extérieur, comme dans le ventre ma propre conscience. – Mais laissez-le moi ! Vous ne vous rendez pas compte, alors ? Vous ne voyez pas qui c’est… S.O.S. Racisme ! S.O.S. Racisme ! Je sens une main qui me relève : c’est Barrault. Il me guide par le bras vers une porte dérobée. »[64]
C’est Georges-Marc Benamou, dont la légende dit qu’il se rendit au studio de télévision sur les ordres de Bernard-Henri Lévy, qui sera l’auteur de ces coups de poing, franchissant aisément le cordon de sécurité avec sa carte de presse. Dés le lendemain de l’émission, il assumera totalement sa violence, se plaçant en justicier, défenseur de la veuve et de l’orphelin : « J'aurais volontiers, il y a quarante ou cinquante ans, cassé la figure au Céline de Bagatelles pour un massacre, au Rebatet des Décombres, à Brasillach... En aurait-on fait un drame ? S'en serait-on scandalisé comme on a pu, çà et là, se scandaliser de mon geste ? »[65]
Si toute agression physique pour délit d’opinion doit être sévèrement condamné, Marc-Édouard Nabe, pour qui le recours à la violence physique est inconnu, ne se scandalise pas. Il ne voit dans cette agression que de la faiblesse, faiblesse de la violence physique causé par l’impuissance d’être contré littérairement. Ce qu’il ressent avant tout, c’est le point final mis à son enfance, et l’inauguration, le premier poing serait-on tenté de dire, de sa destinée d’écrivain maudit qu’il a tant désiré : « En moi tourbillonne curieusement une sensation de bonheur… Mon masochisme attendait ce coup de poing depuis des années. Je ne peux m’empêcher, au milieu des ruines, de me sentir profondément heureux. Même pas fier de moi, pas ravi du tour désastreux mais génial qu’on pris les événements, mais heureux comme en plein soleil sur une montagne. Et puis c’est tout mon romantisme qui s’est magnifié soudain. Quelque chose s’est cassée majestueusement dans un sentiment de naissance. J’ai vraiment l’impression d’en avoir fini avec mon enfance, la grossesse de ma destinée est achevée, je reviens de loin et j’entends tous mes fantômes m’applaudir. »[66]
Marc-Edouard Nabe naît véritablement à la littérature avec le Régal, livre-monstre aux multiples facettes que Apostrophes cherche à accoucher. Et cette naissance se déroule douloureusement car la violence est partout : violence mentale, violence du suicide médiatique, et violence physique, scellant sa naissance d’un coup de poing.
Conclusion
L’émission se termine, Marc-Edouard Nabe rentre chez lui et déjà « Le monde ne se ressemble plus »[67]. Lors de son « météorique passage à la télévision française »[68], en l’espace d’une soirée, le jeune écrivain aura provoqué haine et passion, et laissé assez d’indices pour permettre d’entrevoir les contours de sa future production littéraire. Endossant entièrement le costume du « Je » du Régal des vermines, Marc-Edouard Nabe est né médiatiquement ce soir là, et avec lui le scandale ; l’odeur de soufre, dont il pris le plaisir de se parfumer, le suivant partout. Se sacrifiant corps et art, le jeune Nabe tente de fuir tout ce qui altérerait son écriture, les honneurs, les compromissions, et toute position confortable politiquement : « Jamais je ne serais un trublion. Ni de droite, ni de gauche. Je ne pouvais pas me fondre dans cette morale dégueulasse du faux socialisme. Je ne voulais pas pactiser avec ces ex-hippies renégats tout ébahis de se voir si naturellement bourgeois. Rendre intolérable moralement son talent artistique est le seul moyen de leur échapper. C’est-à-dire leur donner un os à ronger. Toujours le même depuis quarante ans, c’était pas sorcier à trouver pour ces chiens. Pendant qu’ils grignotent le tabou, moi j’écris ! Ma réputation est compromise, mon image est focalisée par la haine, mais mon noyau vital d’art pur est sauvé ! Balancer la sauce très fort au début, se griller d’emblée, c’est commencer par le plus difficile. C’est gagner un temps fou, oser le grand saut qui propulse d’un coup dans l’enfer paradisiaque ! »[69]
La mauvaise réputation de l’écrivain doit beaucoup à cet Apostrophes qui est resté dans les mémoires, et nous savons tous que les réputations sont faites de faux semblants, de rumeurs, de propos déformés, puis répétés, amplifiés. Nous avons pu ici détailler les fissures, mis des mots sur les brèches par où s’est infiltré le scandale. Et ce scandale fut unique, car il commença la carrière d’un véritable écrivain en donnant des pistes d’analyses sur son œuvre à venir, et paradoxalement c’est de ce scandale qu’est né son malheur, car beaucoup n’ont jamais voulu aller plus loin que cette première image repoussante, l’engluant irrémédiablement dans le cliché de l’écrivain antisémite, même lorsque les livres parus traitaient de thèmes totalement autres. Cette incompréhension majeure, nous allons finir de l’éclaircir en résumant ici les raisons manifestes, les causes de ce scandale inaugural.
L’annonce par le jeune Nabe de l’écriture d’un Journal intime jette un premier vent glacial sur le plateau d’Apostrophes : « Quel trou froid ! Pivot m’écoute béat. »[70]. Ce journal dans lequel Nabe érige un principe de transparence totale qui provoque une assimilation du « Je » et du corps de l’auteur. Cette règle de transparence prônée comme principe de vérité absolu, Nabe la transpose jusque dans le réel, à l’encontre de toute dissimulation, dans le dévoilement de tout. C’est cette raison qui le pousse à dévoiler au public une petite combine éditoriale à la fin de l’émission : Pivot veut présenter le dernier roman de Sportès. C’était un coup monté pour rattraper un Apostrophes vieux d’un an et que Pivot devait au salaud gluant… Je comprends tout ! Je dévoile au public cette magouille et je ne peux pas me retenir. – Vous êtes content, Pivot ? On n’a pas parlé de mes parents, du jazz, de tout mon livre. Vous gardez les dernières minutes pour sa Dérive des continents de merde !!! »[71]
Cette transparence totale dans sa littérature amène l’auteur à clouer comme un papillon chaque personnage rencontré sur son journal. Tel un meurtre prémédité, Nabe s’adresse donc à ses interlocuteurs en leur promettant le pire, son honnêteté viscérale, les prévenant de la foudre du démiurge, qui de sa plume, les assassinera tous ce soir. C’est cette absence de distance entre l’auteur et le narrateur qui conduit à un malaise du « Je ». Et pour le livre qu’il est venu présenté, le « Je » qu’il contient, Marc-Edouard Nabe l’endosse entièrement sur ses épaules : « Mon attitude de tout à l’heure est clairement inscrite dans le Régal. »[72] Il évoque, dés le lendemain d’Apostrophes ce malaise provoqué par le « Je » : « Ma seule erreur est de m’être pris pour un personnage de roman et non pour le romancier. Cervantès n’est pas Don Quichotte. Distance ! Cervantès envoie son personnage au front, mais lui ne se prend pas pour un chevalier errant. Moi, avec ma maladie de l’ « honnêteté », j’ai voulu expérimenter personnellement le fantasme du « fol » lui-même…. L’avenir me donnera tort. »[73]
La plaie la plus béante sur le corps du scandale, marquant au fer rouge la réputation de l’auteur, ce sont les accusations d’antisémitisme à l’encontre de Marc-Edouard Nabe. Accusations portées très vite dans l’émission car notre auteur arrive sur un plateau télévisé en plein socialisme, au milieu des années 80, en déclarant sa flamme pour l’œuvre de Céline et Rebatet, y incluant sans demi mesure les pamphlets antisémites que les deux auteurs ont pu produire, se refusant à porter un jugement moral sur une époque qu’il n’a pas traversé et ne se sentant pas coupable du passé de son pays : « A peine français depuis deux générations, sans passif collabo dans ma famille, et né bien après la Seconde Guerre mondiale, je n’ai pas à me sentir coupable de ce que je n’ai pas vécu. Ca va cesser un jour, cette névrose « vrounzaise » ? »[74]
Nabe estime dans Apostrophes que tout artiste est fasciste, et veut mener jusqu’au malaise la subjectivité de l’individu dans l’écriture. Son fascisme est apolitique, tel une dictature intérieure de l’écrivain qui le pousserait à l’exigence. Associant un idéal littéraire, finalement proche de Proust, un lieu où la vraie vie serait la littérature, à une esthétique fasciste, Nabe refuse de se lier à une quelconque pensée politique, mais joue avec la provocation, prêt à dévorer les tabous : « - Tout les tabous sont pour moi. J’ai écrit ce livre en état de boulimie de tabous. Je les ai tous voulu, possessif exclusif amoureux de l’interdit comme je le suis ! J’en redemande à chaque ligne. C’est métaphysique ! C’est mystique ! Je suis un infidèle, au sens religieux du terme. Ne me faites pas l’injure de me confondre avec un persifleur idéologique, avec un militant merdique. – C’est vrai. Vous n’êtes pas dans la politique. C’est l’art votre politique. J’ai seulement peur qu’on ne le comprenne pas. Votre haine est trop artistique pour être prise pour autre chose que pour une haine politique… - Oui c’est ça l’idée. L’amour haineux. L’amour de la haine et jamais la haine de l’amour. Vous aimez tellement que vous allez jusqu’à aimer la haine même.»[75]
Prônant une haine totale de l’humanité, Marc-Edouard Nabe inclut les Juifs dans son opération d’extermination littéraire, lui qui se nomme dans le titre du premier chapitre du Régal comme « L’allègre assassin de six milliards d’individus »[76]. Mais c’est de la haine antisémite que naîtra le scandale, et que le téléspectateur assistera, ébahi, à une naissance dans la violence. L’affrontement avec Sportès est la première violence auquel Nabe se confronte, combat sauvage où les deux écrivains cherchent à se dévorer. Nabe perd ce combat et juge Sportès en partie responsable de la bastonnade finale subie hors caméra : « Je devine les personnages mais je ne vois plus assez pour passer devant Sportès et lui lancer « Alors, t’es content ? » Quelques chose me dit quand même que sa jubilation doit s’étrangler »[77]
La deuxième forme de violence est le suicide médiatique que Marc-Edouard Nabe accomplit devant nos yeux. Il naît de l’influence de l’auteur pour les écrivains maudits, et est le résultat d’une attitude totalement en adéquation avec le « Je » du Régal. Le piége tendu, il n’a jamais voulu l’éviter : « Il me l’avait dit (lui et les autres) de faire gaffe, de ne pas tomber dans le piège : je m’y suis vautré ! Comme un tigre las d’y échapper depuis trop longtemps… Tout cela est très difficile à analyser. Masochiste, idiot, fou, irresponsable, puéril, naïf, provocateur, je le suis vraiment et je l’ai prouvé ce soir peut être jamais dans tout ma vie. Mais après tout : il y a des années que je cherche à me perdre. J’ai trop appliqué à la lettre les leçons de mes chers maudits. C’est une fascination dont je voulais avoir la peau. »[78]
Pour que la naissance vienne à son terme et que le destin de Nabe s’accomplisse, la violence physique est venue conclure cette soirée mouvementée du 15 février 1985. Dans l’incompréhension de ce à quoi il assiste, devant son écran, n’ayant apparemment pas trouvé d’autres recours que ses poings, le journaliste Georges-Marc Benamou se rendit sur le plateau pour infliger une correction au jeune écrivain. Ce tabassage est le dernier acte d’initiation que Marc-Edouard Nabe va subir ce soir là. Ayant traversé cette trinité de violence, la naissance de son scandale maintenant accompli, il peut repartir chez lui écrire dans l’exaltation cette fameuse page de Journal pour les assassiner tous.
Marc-Edouard Nabe en ce 15 février 1985 accouche de son scandale, dans un tourbillon de violence : « J’ai vraiment joué sur tout les vertiges… »[79] Les années passant, et l’œuvre de Nabe grandissant, nous pourrions penser que les polémiques de son entrée en littérature pourraient avoir été analysées, mises en perspectives, dépassées, et les vertiges maîtrisés. Nous pourrions imaginer que le temps aurait fait son œuvre et que la tension présente sur le plateau d’Apostrophes se serait dissipée. Il n’en est rien. La tension à l’évocation du nom de l’auteur est, de nos jours, toujours palpable, et nous risquons d’attendre encore au minimum un siècle ou deux avant de voir des éditions de poche de toutes ses oeuvres envahir les étagères des librairies. Peut être faudra t’il attendre encore plus avant de nous rendre compte de la réussite du pari de Nabe : né à la littérature par le scandale, embrassant tout les tabous et le présent à pleine bouche, il aurait, paraît-il, pris des années d’avance de malheur sur ses chers maudits. Mais d’ici à ce que la postérité lui rende justice, soyez sûr qu’une seule et unique question, toujours la même, reviendra inlassablement :
« En attendant, j’ai toujours ma casserole, Michel. Ca ne t’a pas échappé, et j’ose même dire que ça t’arrange… On me l’a attachée au talon d’Achille (ou je me la suis attachée : il y a deux interprétations possibles) dés que j’ai commencé à m’exprimer. Ah ! Les casseroliers n’ont pas hésité. Dés que je bouge, ma casserole fait du bruit. C’est pour qu’on m’entende bien venir. Un boucan du diable, cling, cling, cling… « Le voilà, chut ! ». Les jaloux et les faux-culs s’en servent depuis vingt ans pour me rendre irrecevable ! On peut m’occulter facilement étant donné que je suis catalogué « antisémite ». Ca a débuté en 1985 chez Bernard Pivot, à Apostrophes, une émission littéraire tragi-comique. Comique pour les autres, et tragique pour moi (ou peut être le contraire…). Et ça me reste cousu à la place du cœur sur le costume comme une étoile… Où que j’aille, la question revient toujours…– Vous êtes antisémite ? – Ca dépend des Juifs… je me vois mal vivre sans Kafka, Suarès, Proust, Soutine, Eisenstein, les Marx Brothers, Modigliani, Fritz Lang, Simone Weil et surtout Jésus-Christ !... J’en passe et des vivants… Voilà pourquoi on ne peut pas me lire : je me suis rendu illisible. Je ne suis pas à proprement parler « boycotté », je suis inacceptable. »[80]
Notes
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.825.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.825.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Le Vingt-Septième Livre, p.7.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.14.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.16.
- ↑ DUPUIS, Jérôme, Nabe : Pourquoi j’ai brûlé mon journal intime, Lire 01/03/2007
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, pp.11-12.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.44.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.14.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, pp.819-820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.13.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.16.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.21.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.825.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.18.
- ↑ Marc-Edouard Nabe Coups d’épée dans l’eau, p.20.
- ↑ Marc-Edouard Nabe Coups d’épée dans l’eau, pp.17-18.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.155.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.17.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Lucette, p.221
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.18.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.20.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.20.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.18.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.22.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, pp.20-21.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, pp.149-150.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.12.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, 'Coups d’épée dans l’eau, p.16.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.13.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.25.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.14.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.48.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.819.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.16.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.14.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.141.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Coups d’épée dans l’eau, p.17.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.34.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines, p.34.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.819.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.822.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Tohu-Bohu, p.829.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ RIMBAUD, Arthur, Une saison en enfer, p.11.
- ↑ RIMBAUD, Arthur, Une saison en enfer, p.1.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.825.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.822.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.822.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.822.
- ↑ PIVOT, Bernard, Bernard Pivot évoque l'affaire Benamou pour ses quinze ans d'Apostrophes, Lire, 1990.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p. 823.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.825.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Tohu-Bohu, p.829.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.820.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.821.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Tohu-Bohu, p.830.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Le Vingt-Septième Livre, p.34.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream p.756.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Au régal des vermines p.20.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.823.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Nabe’s Dream, p.824.
- ↑ NABE, Marc-Edouard, Le Vingt-Septième Livre, pp.35-3