Les Orients de Nabe : Exposition de Peinture à l'office du tourisme du Liban

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Les Orients de Nabe : Exposition de Peinture à l'office du tourisme du Liban est une étude signée « Olaf » publiée en mars 2009 et portant sur l’exposition de peinture organisée par Nabe à l’office du tourisme du Liban (Paris), « Les Orients de Nabe ».

Dès que j'ai su l'info, je suis parti à l'Office du tourisme du Liban pour aller voir la nouvelle exposition de peinture de Nabe. J'arrive rue du faubourg Saint-Honoré où elle se déroule. Sur la devanture, l'enseigne de l'office est écrite en français et en arabe. Endroit propice pour exposer le peintre ! Deux grandes baies vitrées perforent la façade où des tableaux sont exposés. L'appel de la rue incite à entrer, dont acte. A l'intérieur, c'est aussi petit que blanc et lumineux.
Première remarque : sur les 58 tableaux présents, 36 datent de 2009 !!! On sait maintenant ce que faisait Nabe en ce début d'année... Le plus ancien est de 1981. Ça va du dessin à la peinture, réalisés au marqueur, au pastels, à la gouache ou à l'encre, à l'aquarelle ou au feutre, en couleurs, en noir et blanc...
Plus précisément, il y a plusieurs thèmes qui se détachent de celui de l'Orient ; chacun façonne les facettes plurielles du titre de l'exposition.
1987 : Une série de marins pas très gais assis sur des bites, lunaires et pensifs, voyageurs en escale sur fond blanc qui n'auraient pas laissé Genet insensible. Un Genet d'ailleurs, seul portrait d'écrivain, qui domine de son regard mélancolique et occidental - tout en haut, tout au fond de la salle - le souk visuel et polyphonique de l'exposition.
Observer la datation des tableaux a quelque chose de marquant : c'est la fissure dans l'imaginaire oriental nabien provoquée par les attentats du 11 septembre. Que ce soient sa marocaine ensablée ou son mendiant austère, les séries d'encres et pastels de 1992, sa princesse à la colombe ou sa danseuse catin vulgaire, ses sultans oisifs ou oiseux, enturbannés à la plume ou dans le nuage des senteurs d'une fleur rouge, tous sont dans la paix et l'harmonie orientale, dont on a tant lu nabe s'ennivrer et tourner en derviche, grisé des couleurs d'oxygène de ce monde impollué que lui inspiraient les terres premières de l'homme.
En 2001, c'est l'expulsion d'Eden : les tableaux de Nabe ne sont plus des rêveries extatiques, ce sont des extases politiques. Une première série de moujahidines afghans dessinés au feutre dans l'urgence prennent les armes : bazooka, mitraillettes, roquettes, sabre et cartouchière habillent ces barbus aux turbans. Celui qui est assis tient sa mitraillérectile bien droite alors que son autre main, croisée avec la première, montre un coran. Puis viennent les séries de 2009, passant en revue, dans une galerie de portraits au marqueur, les grandes villes orientales de Syrie, d'Iran, d'Irak, de Turquie, de Palestine, de Grèce. Les Popes grecs et turcs, croix au poitrail, sont sévères et accusateurs. A Nadjaf, on ne voit que les yeux des femmes en burqa, mais l'iranienne dévoilée nous indique la colère résignée de leurs visages. Shéhérazade à coté, s'est pris un poing dans la tronche, et affiche blasée son oeil au beurre noir. A Cana, les 10 années qui séparent 1996 et 2006 n'ont rien changé : les pères continuent de porter en piétas les cadavres blancs et purs de leurs enfants. Une mère hurle de douleur, les yeux révulsés ; une autre porte le deuil de son enfant, effondrée à genoux devant son portrait couvert de fleurs. Dehors, un libanais s'inquiète, téléphone portable en main, alors que la mort le surplombe et saisit son épaule. Un autre enfant cadavre phosphorisé jonche le pavé un peu plus loin. Des voilées iraniennes, dont on voit les yeux ou le visage ou rien, jugent sévèrement. Une autre dévoilée sort dans la nuit, mitraillette au poing, la colère résignée fixée sur le visage. Toutes ces scènes viennent de tous les pays d'Orient, mais ça n'a aucune importance puisque ce qui se passe ici se passe là-bas aussi.
Une série de Christs couronnés, ruisselants de sang vert, rouge, or sont nécessaires pour expurger la haine ; et alors que je fixe le plus amoché de tous : un Christ bleu avec une mosquée au loin, j'entends une femme africaine à mon coté me dire : "Jésus ne pouvait pas être devant une mosquée !". J'aimerais lui répondre que le Christ ne peut être ailleurs qu'où se trouve la foi, mais mes sens sont trop accaparés pour m'expliquer l'anachronisme. Je lève les yeux, et je vois illuminant la salle, deux splendides Saint Jean en toge bleue, portant le grand Livre rouge de Vérité. Oui. De Saint Jean à Jean Genet, l'Orient se déploie dans la salle en un seul tableau qui se parcelle en cinquante deux pièces d'Orients de Nabe, paisibles et vengeurs, mystérieux ou simplement humains, vivants jusque dans la mort et prêts à mourir pour la vie.
Je sors fumer une cigarette, et je m'attarde sur les six autres tableaux, portés en vitrine. Une série de trois cavaliers d'abord, sabres levés et chevaux cabrés, tous différents d'un seul mouvement de lecture, dedroite à gauche. Je me demande où Nabe a pu cacher le quatrième.
Et puis les trois derniers tableaux. Beyrouth ! Gaza ! Bagdad ! Trois peuples différents réunis sous un même étendard vierge d'une seule cause. Trois scènes de la même encre qui unifient les multiples Orients pour n'en former qu'un seul. A Beyrouth, je reste effacé et muet, de longues minutes, devant ce tableau qui me tatoue l'esprit ; devant ce Christ/Nabe/Che sous le drapeau avec des yeux d'amour et la main sur le coeur ; devant cette somptueuse Shéhérazade qui me transperce de son regard ; devant ces fenêtres qui ne sont plus que des tâches, au loin ; et devant ce personnage de premier plan, qui semble sortir droit des coulisses, le sourire presqu'en coin et qui cligne d'un oeil pour me saluer et me laisser après ce voyage dans l'imaginorientalisme de Marc-Édouard Nabe.
Je suis hanté, depuis, par ces six yeux. La dernière fois, c'était par Les conséquences de la guerre de Rubens, à Florence. Quand un tableau marque à ce point, c'est qu'on y trouve des bouts de soi qu'un trait de peintre a déposé, sans y faire attention peut-être, et qui profitent de cet éclat pour hurler qu'ils existent. Je reviendrai les écouter encore.