Marc-Édouard Nabe à propos de L.-F. Céline « Cherchons un domaine dans lequel il n'excelle pas. Cherchons… » : Différence entre versions

Sauter à la navigation Sauter à la recherche
Ligne 1 : Ligne 1 :
'''''Porcs in progress''''' est une étude signée « Psychose blanche », initialement publiée sur le blog éponyme le 17 octobre 2017, puis reprise dans le numéro 11 de ''[[Nabe’s News]]'' du 30 janvier 2018, et portant sur le premier tome des ''[[Les Porcs (premier tome)|Porcs]]''.
+
'''''Marc-Édouard Nabe à propos de L.-F. Céline : « Cherchons un domaine dans lequel il n'excelle pas. Cherchons… »''''' est une étude initialement publiée sur le blog ''[http://chardon-ardent.blogspot.com/2011/12/marc-edouard-nabe-propos-de-l-f-celine.html charbon-ardent]'' le 27 décembre 2011, et portant sur les propos de [[Marc-Édouard Nabe]] sur [[Louis-Ferdinand Céline]] tenus pour le documentaire ''Le Procès Céline'' (Arte, 2011)
  
 
<center>—</center>
 
<center>—</center>
  
''[[Les Porcs (premier tome)|Les Porcs]]'', de [[Marc-Édouard Nabe]], sont-ils ''Les Démons'' du début de notre siècle ? Non, car il ne s’agit pas d’un roman ; [[Fiodor Dostoïevski|Dostoïevski]] s’inspirait des nihilistes de la génération de soixante pour écrire une prophétie qui prendrait tout son sens bien après. Oui, parce que l’autobiographie de Nabe parvient à prendre notre époque à la gorge et à en dresser un tableau apocalyptique, bien qu’il n’en dégage pas toujours les lignes de fuite.<br />
+
<div style="text-align: right">« ''Bagatelles pour un massacre'' est un chef d'œuvre, et le jour où il ressortira.... on s'en apercevra… »</div>
Dans une vidéo récente, Nabe affirme qu’il développera ses thèses dans les tomes ultérieurs. Dans l’avenir, écrit-il, pour comprendre le présent d’antan, il faudra passer par nous. Certes, mais nul ne peut dire si ''Les Porcs'' seront lus comme un simple témoignage ou comme un roman visionnaire. En attendant, le lecteur de ce mille-pages suffoque et revit à un rythme trépidant les quinze années écoulées — le point de vue : toujours le vertigineux ego de Nabe, véritable trou noir, calmar géant qui ramène tout à lui, pour broyer, réduire à néant…<br />
 
Comme dans ''Requiem pour un massacre'', le film défile à l’envers : le Onze septembre, l’entrée en scène du « meyssianisme » conspirationniste, le psychodrame du 21 Avril, la seconde Guerre du Golfe, la capture de [[Saddam Hussein]] — selon Nabe, il lisait ''Crime et Châtiment'' dans sa caverne.<br />
 
Ce qui frappe dans l’hyper-présent, c’est que tout se joue désormais à la télévision, dans le tohu-bohu des images, et non plus dans le texte imprimé, ou à la remorque sur l’autoroute de l’information, dans l’éternité d’Internet : l’Internullité.<br />
 
Pour ma part, j’avais totalement oublié ''Windows of the world'', roman du pubard prognathe [[Frédéric Beigbeder|Beigbeder]], exemple de mièvrerie émocratique qui accumule et mélange les figures convenues de l’imaginaire dominant : enfant-martyr, World Trade Center et chambre à gaz.<br />
 
Là où Nabe cogne le plus dur, le plus juste, c’est lorsqu’il démonte la cucuterie compassionnelle. Tout le monde en pleure : portrait d’[[Thierry Ardisson|Ardisson]] en jésuite doublé d’un sadique qui organise des dîners de cons et qui retourne toujours sa chasuble du bon côté.<br />
 
Que dirait Nabe des médias bruxellois qui pleurnichaient sur les victimes de [[Marc Dutroux|Dutroux]] pour mieux culpabiliser et infantiliser les Wallons, pour nous forcer à tourner sur leur carrousel belgicain, comme cette émission de la RTBF Gino Russo répondait aux questions débiles d’un public… d’enfants.<br />
 
Le Démon qui s’incarne dans ''Les Porcs'', c’est le conspirationnisme. Nous sommes tous devenus conspis depuis le onze septembre : l’esprit des séries X-Files s’est engouffré dans l’effondrement des tours, « ces deux phallus du capitalisme. Aucun attentat islamiste n’est étonnant, tous ont un sens et souvent le bon. »<br />
 
Nabe reproche aux conspis de déresponsabiliser [[Oussama Ben Laden|Ben Laden]], de le réduire à un pantin des services secrets. Or, pour les besoins de sa démonstration, pour mieux humilier l’Occident, Nabe préfère voir en Ben Laden un génie, un résistant « au racisme anti-arabe des Américains. » Ben Laden, l’Arabe errant, l’Antéfric, le kamikaze du futur…<br />
 
N’est-ce pas aussi une forme de conspirationnisme que d’hyper-personnaliser le terrorisme ? De présenter Ben Laden comme une sorte de Fantômas, de Stavroguine ou de Djinn des ''Mille et Une Nuits'' ? <br />
 
Si l’anti-conspirationnisme de Nabe s’accompagne d’une islamophilie sans limite, il entraîne aussi certaines approximations.<br />
 
Nabe réduit un peu vite le révisionnisme historique à un conspirationnisme. [[Robert Faurisson|Faurisson]] — que Nabe méprise — refuse de se définir comme conspirationniste et de nombreux révisionnistes dénoncent, eux aussi, le conspirationnisme — ce qui ouvre parfois une faille dans leur raisonnement, mais c’est un autre problème.<br />
 
Le soutien de Nabe à l’islamisme radical ne serait-il pas une stratégie visant à dépasser la dissidence française par la surenchère ? Selon Bourdieu, tout écrivain se définit par un champ de tension, par un territoire symbolique dont il s’assure la maîtrise en s’opposant à d’autres.<br />
 
En d’autres mots, dès lors que le révisionnisme et le conspirationnisme deviennent la marque de fabrique de la dissidence française, Nabe doit les disqualifier pour mieux affirmer son indépendance au sein du champ qu’il a produit.<br />
 
À raison, Nabe se voit comme le père d’une génération. « J’ai accouché sans trop pousser de monstres, d’amputés dès l’utérus…»<br />
 
N’était-il pas là bien avant [[Alain Soral|Soral]], [[Dieudonné]], [[Michel Houellebecq|Houellebecq]], [[Christine Angot|Angot]] et tous les autres ? N’est-ce pas lui le Diable de la Licra, l’écrivain qui se fit casser la figure pour [[Clichés#L’antisémitisme|antisémitisme]] [[Thèmes#Les médias|médiatique]], à la sortie d’''[[Apostrophes]]'' ? L’ennemi public numéro un, c’est moi, dit Nabe ! Le dibbouk émissaire !<br />
 
Cependant, si Nabe rejette le révisionnisme — ce tabou autour duquel tout gravite —, comment prouver qu’il est encore plus rebelle, encore plus outsider, plus dangereux et plus incontrôlable que les autres… sinon par le soutien à l’extrême-islamisme ?< br/>
 
Entendons-nous bien… Nabe est un grand écrivain, pas un styliste, soucieux de la forme, mais un puncheur à la ligne, soucieux du fond, de toucher le fond, là où ça fait le plus mal, à la recherche de l’hénaurme selon le mot de Flaubert.<br />
 
Son livre regorge de formules au vitriol, d’épigrammes, de pépites de méchanceté et de jeux de mots atrocement drôles et drôlement atrocitaires. On en sort abasourdi, groggy, comme après un combat contre Mike Tyson.<br />
 
Toutefois, et c’est la où les jointures blessent, on peut se demander si cette ultra violence narcissique ne constitue pas une fuite en avant, aussi désespérée que le panégyrique de [[Alain Soral|Soral]] à la Corée du Nord. Lors d’une interview, je me souviens de Nabe déclarant avec sérieux que les terroristes du Bataclan n’auraient pas ouvert le feu dans un concert de [[Thèmes#Le jazz|jazz]]. Ils se seraient arrêtés, impressionnés par les saxophones de ces blacks aux joues gonflées… N’importe quoi !<br />
 
De même, comment peut-on se dire catholique et approuver des gens qui, dans les régions qu’ils occupent au Moyen-Orient, dynamitent tout ce qui rappelle de près ou de loin les traces du [[Jésus-Christ|Christ]] ? Certes, le monde moderne, américanisé est haïssable, mais pourquoi le salut viendrait-il d’un camp étranger, hostile, qui se soucie de nous comme de l’an quarante ?<br />
 
Le projet djihadiste n’est pas qu’une simple vengeance, un retour de manche à balai dans les tours, il comporte aussi un volet théologico-politique — dont il ne se cache pas.<br />
 
Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis, surtout quand nos ennemis eux-mêmes leur donnent un coup de pouce, à l’occasion — lire à ce sujet le livre de Philippe Baillet : ''L’autre tiers-mondisme''.<br />
 
Et s’il est toujours dangereux de s’en remettre au nationalisme d’une autre nation, il est encore plus douteux de se fier au Madhi d’une autre religion que la sienne.<br />
 
Qu’importe de vagues humanités, pourvu que le geste soit beau, s’exclamait Laurent Tailhade après un attentat anarchiste à Paris. C’est un mot d’artiste, par qui le scandale arrive.<br />
 
Il est très proche de Nabe, le terroriste des Lettres, le pirate de l’air de [[L’anti-édition|l’anti-édition]] qui, tel un kamikaze, envoie ses deux livres 747 — second tome à paraître — dans les tours branlantes des conspirationnistes fous. C’est spectaculaire, discutable et ça fait pas mal de dégâts…<br />
 
Mais c’est ainsi que Nabe est grand.<br />
 
  
<div style="text-align: right"> Psychose blanche
+
Aujourd'hui 27 décembre, c'est l'anniversaire de [[Marc-Édouard Nabe]] (53 ans), et c'est lui qui fait le cadeau : deux heures d'entretien solo sur [[Louis-Ferdinand Céline]] ! L'intégrale de l'interview réalisée le 1<sup>er</sup> avril 2011 dont Arte n'a retenu qu'une minute et vingt secondes dans son émission ''Le Procès Céline'', diffusée le 17 octobre 2011.<br />
Avant-garde rattachiste post-industrielle BLOG BELGE.
+
C'est un exposé savant et passionnant, posé, puissant. Il est nourri, c'est évident, par l'admiration — de quel droit pourrait-on la juger outrancière ? — que Nabe porte à Céline. Le propos frappe par la masse de connaissances détaillées et de réflexions personnelles que l'auteur du ''[[Au régal des vermines|Régal des Vermines]]'' a accumulées sur l’œuvre [[Louis-Ferdinand Céline|célinienne]] depuis le jour de son adolescence où [[Marcel Zannini|son père]] le [[:Catégorie:Jazzmen|jazzman]] lui a mis ''Rigodon'' entre les mains. Son premier choc littéraire qui sera suivi de beaucoup d'autres, mais décisif et fondateur : le dessinateur satiriste précoce, le teen-ager amateur de bandes dessinées, le jeune musicien de [[Thèmes#Le jazz|jazz]], le [[:Catégorie:Peintres|peintre]] en devenir, sera finalement et définitivement un [[:Catégorie:Écrivains|écrivain]]. <br />
17 octobre 2017</div>
+
Nabe le dit à un moment, Céline n'est pas le seul écrivain qu'il admire, mais il est pour lui le plus grand car il excelle dans tous les compartiments de la [[Thèmes#La littérature|littérature]] (élégance, préciosité, violence, lyrisme, sarcasme, psychologie, humour, poésie, romanesque, tragédie, blablaba, ..., tous). C'est ce qui le rend exceptionnel comparé à d'autres très grands auteurs qui travaillent dans un registre ou deux, mais ne couvrent jamais, au fil de leur œuvre, le spectre entier de la littérature, comme fait Céline. Des écrivains de son niveau, il n'y a, dit Nabe, que [[William Shakespeare|Shakespeare]] et [[Fiodor Doestoïevski|Dostoïevski]]. <br />
 +
Pour en revenir au pseudo ''Procès Céline'' de l'émission télé (génie ou salaud ?), Nabe tranche net. Sa démonstration tient en une proposition : l'homme-écrivain et son œuvre sont absolument et nécessairement indissociables, et rien de l’œuvre ne peut en être soustrait. Le dossier Céline est vide sur le plan judiciaire, et plein sur le plan littéraire. CQFD. <br />
 +
Il faudrait faire une captation à l'écrit (verbatim) de tout ce que Nabe dit dans l'entretien. <br />
 +
Cet entretien de deux heures couvre la vie et l’œuvre entière de Céline sous d'innombrables aspects (la cohérence totale, la chronologie et les romans, les titres, l'orgueil littéraire, la revanche, l'exagération, le rire, [[Thèmes#L’argent|l'argent]]/l'or, les [[Thèmes#Les femmes|femmes]], le personnage composé et son décor, [[Lucette Destouches|Lucette]], etc.). Nabe se resservira sûrement de cet exposé magistral d'une façon, d'une autre, ou de plusieurs, dans ses prochains livres. En attendant j'ai pris quelques notes sur les Pamphlets parce qu'on entend dans l'entretien que Nabe travaille actuellement à restituer leur statut d’œuvres littéraires à ''Bagatelles'', ''Mea Culpa'', ''L'École des cadavres'', ''Les Beaux Draps''. La thèse de Nabe est que ce que l'on appelle en raccourci Les Pamphlets ne peut être dissocié du reste de l’œuvre. <br />
 +
« Se poser la question de savoir si Les Pamphlets sont une œuvre littéraire, c'est à la fois : ne pas les avoir lus et ne pas savoir ce qu'est une œuvre littéraire. » <br />
 +
''Bagatelles pour un massacre'' est une réaction très forte de Céline qui se venge des critiques littéraires qui n’ont pas bien compris ''Mort à crédit'', son roman précédent. Avec ''Mort à crédit'', Céline et son éditeur espéraient prendre une revanche sur l’échec au Goncourt quatre ans plus tôt. Céline avait déjà très mal vécu le prix Renaudot attribué au ''Voyage au bout de la nuit''. Mais loin d’obtenir le Goncourt, ''Mort'', très mal accueilli, est une énorme déception, un choc émotionnel pour l’écrivain lâché par ses admirateurs du ''Voyage''. De là date sa rupture nette et définitive avec le milieu littéraire, et l’abandon de l’espoir qu’il avait porté de pouvoir lui plaire, en être. Son orgueil (grand, justifié) est bafoué. Tout part de là. Il interrompt l’écriture de ''Casse-Pipe'', la suite de ''Mort à crédit'' qui devait couvrir la période 1912-1914 de son incorporation dans l’armée.
<br />
 +
On est en 36, il a fait un voyage décevant à Moscou, et publié au retour ''Mea Culpa'', son premier essai dans le genre [[Thèmes#Le pamphlet|pamphlétaire]]. Paradoxalement, ''Mea Culpa'' est bien reçu. On le flatte en louant sa plume de pamphlétaire. Cela enrage encore plus Céline. C’est un comble ! Un pamphlet de vingt-sept pages pondu durant l’été, un devoir de vacances, remporte plus de succès qu’une fresque romanesque sur laquelle il a travaillé pendant quatre ans ! <br />
 +
Après le communisme pour ''Mea Culpa'', il cherche et trouve une autre thématique, une autre tête de turc ! Ce sera ''Bagatelles''. Sa secrétaire d’édition a rapporté qu’elle n’avait jamais entendu de la bouche de Céline, ou lu de sa plume quoi que ce soit d’antisémite avant les premières pages de ''Bagatelles pour un massacre''. Pour Nabe, l’antisémitisme de ''Bagatelles'' est un projet littéraire. Cela ne vient pas de l'éducation. C’est apparu brutalement, par l’écriture. <br />
 +
Nabe remarque que tout le monde parle de ''Bagatelles'', mais que personne ne dit ce que c’est, ce qu’il y a dedans : <br />
 +
— Je n'ai jamais vu, dit-il, dans aucun livre de spécialiste ou pas, quelqu’un qui nous fasse le plan de ''Bagatelles'' ! <br />
 +
— Et c'est pour ça que je vais le faire, d'ailleurs ! Mais pas chez vous (rire franc) ! Je vais l'écrire. <br />
 +
 
 +
{{#ev:youtube|https://www.youtube.com/watch?v=cPweeyKljTg|400|center}}
  
 
{{Palette Marc-Édouard Nabe}}
 
{{Palette Marc-Édouard Nabe}}
 +
 
[[Catégorie:Études]]
 
[[Catégorie:Études]]
 
{{Titre en italique}}
 
{{Titre en italique}}

Version du 17 août 2020 à 16:04

Marc-Édouard Nabe à propos de L.-F. Céline : « Cherchons un domaine dans lequel il n'excelle pas. Cherchons… » est une étude initialement publiée sur le blog charbon-ardent le 27 décembre 2011, et portant sur les propos de Marc-Édouard Nabe sur Louis-Ferdinand Céline tenus pour le documentaire Le Procès Céline (Arte, 2011)

« Bagatelles pour un massacre est un chef d'œuvre, et le jour où il ressortira.... on s'en apercevra… »

Aujourd'hui 27 décembre, c'est l'anniversaire de Marc-Édouard Nabe (53 ans), et c'est lui qui fait le cadeau : deux heures d'entretien solo sur Louis-Ferdinand Céline ! L'intégrale de l'interview réalisée le 1er avril 2011 dont Arte n'a retenu qu'une minute et vingt secondes dans son émission Le Procès Céline, diffusée le 17 octobre 2011.
C'est un exposé savant et passionnant, posé, puissant. Il est nourri, c'est évident, par l'admiration — de quel droit pourrait-on la juger outrancière ? — que Nabe porte à Céline. Le propos frappe par la masse de connaissances détaillées et de réflexions personnelles que l'auteur du Régal des Vermines a accumulées sur l’œuvre célinienne depuis le jour de son adolescence où son père le jazzman lui a mis Rigodon entre les mains. Son premier choc littéraire qui sera suivi de beaucoup d'autres, mais décisif et fondateur : le dessinateur satiriste précoce, le teen-ager amateur de bandes dessinées, le jeune musicien de jazz, le peintre en devenir, sera finalement et définitivement un écrivain.
Nabe le dit à un moment, Céline n'est pas le seul écrivain qu'il admire, mais il est pour lui le plus grand car il excelle dans tous les compartiments de la littérature (élégance, préciosité, violence, lyrisme, sarcasme, psychologie, humour, poésie, romanesque, tragédie, blablaba, ..., tous). C'est ce qui le rend exceptionnel comparé à d'autres très grands auteurs qui travaillent dans un registre ou deux, mais ne couvrent jamais, au fil de leur œuvre, le spectre entier de la littérature, comme fait Céline. Des écrivains de son niveau, il n'y a, dit Nabe, que Shakespeare et Dostoïevski.
Pour en revenir au pseudo Procès Céline de l'émission télé (génie ou salaud ?), Nabe tranche net. Sa démonstration tient en une proposition : l'homme-écrivain et son œuvre sont absolument et nécessairement indissociables, et rien de l’œuvre ne peut en être soustrait. Le dossier Céline est vide sur le plan judiciaire, et plein sur le plan littéraire. CQFD.
Il faudrait faire une captation à l'écrit (verbatim) de tout ce que Nabe dit dans l'entretien.
Cet entretien de deux heures couvre la vie et l’œuvre entière de Céline sous d'innombrables aspects (la cohérence totale, la chronologie et les romans, les titres, l'orgueil littéraire, la revanche, l'exagération, le rire, l'argent/l'or, les femmes, le personnage composé et son décor, Lucette, etc.). Nabe se resservira sûrement de cet exposé magistral d'une façon, d'une autre, ou de plusieurs, dans ses prochains livres. En attendant j'ai pris quelques notes sur les Pamphlets parce qu'on entend dans l'entretien que Nabe travaille actuellement à restituer leur statut d’œuvres littéraires à Bagatelles, Mea Culpa, L'École des cadavres, Les Beaux Draps. La thèse de Nabe est que ce que l'on appelle en raccourci Les Pamphlets ne peut être dissocié du reste de l’œuvre.
« Se poser la question de savoir si Les Pamphlets sont une œuvre littéraire, c'est à la fois : ne pas les avoir lus et ne pas savoir ce qu'est une œuvre littéraire. »
Bagatelles pour un massacre est une réaction très forte de Céline qui se venge des critiques littéraires qui n’ont pas bien compris Mort à crédit, son roman précédent. Avec Mort à crédit, Céline et son éditeur espéraient prendre une revanche sur l’échec au Goncourt quatre ans plus tôt. Céline avait déjà très mal vécu le prix Renaudot attribué au Voyage au bout de la nuit. Mais loin d’obtenir le Goncourt, Mort, très mal accueilli, est une énorme déception, un choc émotionnel pour l’écrivain lâché par ses admirateurs du Voyage. De là date sa rupture nette et définitive avec le milieu littéraire, et l’abandon de l’espoir qu’il avait porté de pouvoir lui plaire, en être. Son orgueil (grand, justifié) est bafoué. Tout part de là. Il interrompt l’écriture de Casse-Pipe, la suite de Mort à crédit qui devait couvrir la période 1912-1914 de son incorporation dans l’armée.

On est en 36, il a fait un voyage décevant à Moscou, et publié au retour Mea Culpa, son premier essai dans le genre pamphlétaire. Paradoxalement, Mea Culpa est bien reçu. On le flatte en louant sa plume de pamphlétaire. Cela enrage encore plus Céline. C’est un comble ! Un pamphlet de vingt-sept pages pondu durant l’été, un devoir de vacances, remporte plus de succès qu’une fresque romanesque sur laquelle il a travaillé pendant quatre ans !
Après le communisme pour Mea Culpa, il cherche et trouve une autre thématique, une autre tête de turc ! Ce sera Bagatelles. Sa secrétaire d’édition a rapporté qu’elle n’avait jamais entendu de la bouche de Céline, ou lu de sa plume quoi que ce soit d’antisémite avant les premières pages de Bagatelles pour un massacre. Pour Nabe, l’antisémitisme de Bagatelles est un projet littéraire. Cela ne vient pas de l'éducation. C’est apparu brutalement, par l’écriture.
Nabe remarque que tout le monde parle de Bagatelles, mais que personne ne dit ce que c’est, ce qu’il y a dedans :
— Je n'ai jamais vu, dit-il, dans aucun livre de spécialiste ou pas, quelqu’un qui nous fasse le plan de Bagatelles !
— Et c'est pour ça que je vais le faire, d'ailleurs ! Mais pas chez vous (rire franc) ! Je vais l'écrire.