Jean-Dominique Bauby

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Jean-Dominique Bauby

Jean-Dominique Bauby est un journaliste né le 23 avril 1952 à Paris et mort le 9 mars 1997 à l'hôpital de Garches.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Jean-Dominique Bauby faisait partie de ces figures de la grande presse papier traditionnelle, issues des années 1960, et qui sévissaient toujours dans les années 1980. C’est lui qui a contacté pour la première fois Marc-Édouard Nabe pour le faire participer à deux reprises, à Paris Match. Plus tard, ce sera directement le patron, Roger Thérond, qui poursuivra ce désir de collaboration en commandant à l’écrivain de Lucette plusieurs articles sur l’actualité. Bauby, baignant dans le milieu de ceux qu’on n’appelait pas encore des « bobos de gauche », ce qui le conduira à être le rédacteur en chef de Elle, abritait dans sa carcasse de fort en gueule journalistique une réelle admiration pour la vraie littérature qui même l’intimidait. Ses relations avec Nabe furent plutôt complices, et même complémentaires, Bauby nourrissant plus ou moins secrètement une fascination pour les « écrivains de droite ». En tant qu’auteur refoulé, il se fit un plaisir de laisser à Nabe le maximum de liberté possible pour écrire en 1988 dans Match, d’abord un texte sur Charlie Parker, en prenant prétexte sur Bird de Clint Eastwood, intitulé « Feu l’oiseau », puis l’envoya rerencontrer Arletty, toujours la même année, pour un dialogue remarquable entre la Garance de 90 ans et l’auteur du Bonheur de 30 ans, très bien mis en valeur en ouverture du magazine...

Après avoir lu un morceau du manuscrit du journal de Nabe au moment où il tentait de le faire publier chez plusieurs éditeurs, Patrick Besson, tombant sur le passage narrant le travail de Nabe avec Bauby à Paris Match, lui dira : « L’épisode de Bauby, mais c'est une dissection du journalisme extraordinaire ! » (Kamikaze, p. 3278).

Au début des années 1990, Nabe côtoiera sympathiquement une journaliste, Florence Ben Sadoun, amie d’Hector Obalk et de Frédéric Taddeï, mais il ignorait, comme beaucoup d’autres, qu’elle était devenue à la rédaction d’Elle, où elle travaillait, la maîtresse de Bauby. Fin 1995, Nabe réentendra parler de Bauby au moment de son accident cérébral. En effet, victime d’un locked-in syndrome, ne pouvant s’exprimer que par le battement d’une de ses paupières, Bauby réussit à écrire ainsi un livre racontant sa situation, le fameux Le Scaphandre et le Papillon, qui en quelque sorte concrétisa ses rêves d’écrivain frustré, puisque ce fut aussitôt un best-seller, dont même Julian Schnabel tira un film avec Mathieu Almaric (2007).

Ce qui intéressa surtout Nabe, c’est d’apprendre que trois jours après la sortie du livre, Bauby mourut, comme si le destin n’avait pas voulu lui faire profiter de son triomphe. Projetant un retour depuis l’hôpital de Berck pour mieux déguster son succès dans la capitale, le journaliste handicapé fut victime d’une aggravation fatale de son état. Ainsi, il ne put même pas assister à l’émission Bouillon de Culture, que Bernard Pivot devait lui consacrer entièrement, et qui eut lieu le lendemain de sa mort, sur France 2, avec ses amis (mais sans Florence Ben Sadoun)... Cette ironie du sort, confisquant à un journaliste qui se rêvait en écrivain la possibilité de vivre pleinement sa métamorphose (de papillon), Nabe y reviendra dans son fameux tract contre l’euthanasie, Le ridicule tue (2008).

C’est également dans ce Bouillon de Culture que sera diffusé en intégralité certainement le plus mauvais film de Jean-Jacques Beineix, et peut-être le plus horrible du cinéma français de ces années-là tout court, Assigné à résidence, où l’exécrable réalisateur de Diva filme le pauvre Bauby dans ses exercices de dictée, ses soins d’hôpital, ses longs moments de solitude sur la plage de Berck, le tout avec une fausse émotion et une complaisance morbide que Bauby lui-même n’a pu que constater, l'ayant visionné quelques jours auparavant, ce qui en fait l’une des dernières choses que Jean-Dominique aura vu sur la Terre.

Extrait d'Assigné à résidence, de Jean-Jacques Beineix, 1995

Citations

Nabe sur Bauby

  • « Lundi 9 mai 1988. — Coup de fil de Jean-Dominique Bauby de Paris Match. Dans dix jours, ils font l’“ouverture” sur Charlie Parker (pour le film de Clint Eastwood). Ils ont pensé à moi pour écrire huit feuillets sur le Bird, qui accompagneront l’interview de Chan qui sera publiée… Attention ! J’avertis Bauby que je suis spécialisé dans les “papiers” commandés et refusés… Si on fait appel à moi, je suppose qu’on sait ce que j’écris : de la littérature, pas du journalisme. Bauby veut un texte de présentation générale de la vie et de l’œuvre de Parker. “Il faut prendre les lecteurs de Paris Match par la main…” Ont-ils des mains seulement ? C’est pas mon boulot de faire traverser la rue aux infirmes. Je lui propose de dénicher un journaleux qui survolera en deux colonnes la biographie du Bird et me dispensera de tout reprendre à zéro. Ensuite viendra mon texte : ce que Nabe pense de Parker… Si c’est pour que je fasse le travail du premier journaliste “jazz” venu, quel intérêt de me demander à moi de l’écrire ? Ça pullule de tâcherons qui se feront un plaisir de jouer aux profs de paresse… Mon raisonnement séduit Bauby.
— J’apprécie votre franchise, me dit-il… Je retiens votre idée, je vous rappelle demain pour vous dire oui ou non. » (Kamikaze, 2000, pp. 2627-2628)
  • « Mardi 10 mai 1988. —
— On fait comme ça. Quatre feuillets au lieu de huit. “Parker par Nabe”, pour lundi prochain.
C’est Bauby qui dit oui. Paris Match marche à fond. Belle réussite de plus dans ma petite stratégie du texte littéraire sur support dérisoire, toute ma politique d’écrire en décalage par rapport à la publication (poème dans un magazine pour jeunes filles ; apologie de Fassbinder ou de Pasolini dans de noblards belges ; critiques d’art sur prospectus ; visée mystique sur papier hygiénique). La littérature se mourant dans son petit domaine ranci traditionnel à cause de la gangrène journalistique, elle n’a plus qu’à tenter de s’imposer dans la presse : c’est le seul moyen pour elle de se redorer le prestige et de soutenir sa subversion. Inoculer à la grande presse le poison littéraire sans qu’elle s’en aperçoive et parce qu’au fond, elle veut ça ! » (Kamikaze, 2000, p. 2630)
  • « Mercredi 21 septembre 1988. — [Après la mort de Sam Woodyard] Dans la maison Filipacchi, je descends voir Bauby, au cas où ça l’intéresserait davantage… Que les lecteurs de Paris Match s’instruisent sur le grand jazz !… Bauby est charmant mais il s’en fout. Sam est inconnu. J’obtiens quand même qu’il signale dans la colonne des décès mondains la disparition d’un des plus grands drummers de tous les temps. Je vais pour repartir quand Bauby se gratte son deuxième menton…
— Vous connaissez Arletty ?
— Oui, un peu, je l’ai rencontrée il y a trois ans pour mon premier livre… Elle ne doit plus se souvenir…
— Vous accepteriez de l’interviewer pour nous ? On va faire l’ouverture sur trois pages pour la sortie de son livre de “mots”…
Pourquoi pas ? Mais c’est toujours pareil : je ne suis pas journaliste. Tout ce que je peux faire c’est discuter avec elle, à bâtons rompus. Ça peut donner une conversation libre entre deux anarchistes de 30 ans et 90 ans ! Et surtout, pas de questions classiques : “Et Garance ?”, “Atmosphère”, etc. Tout le monde lui demande toujours les mêmes choses.
— Ça pourrait coller… Je vais réfléchir… Je vous appelle…
— Oui, c’est gentil mais je n’étais pas venu pour ça. De toute façon, on fera autre chose ensemble. Le “Parker” était si bien… À bientôt…
Le temps de rentrer, il a déjà téléphoné à Hélène pour qu’elle me dise que c’est d’accord ! » (Kamikaze, 2000, p. 2862)
  • « Mardi 27 septembre 1988. - Tôt, Catherine Tabouis, de Paris Match, vient au studio finir de décrypter l’entretien. Elle a déjà fait un bon travail de débroussaillage. Mais il faut faire vite. Bauby nous attend à Paris Match… Je repars, avec le texte en brouillon sous le bras, tout collé au Scotch dans le meilleur ordre possible. J’arrive chez Filipacchi. Bauby me met entre les mains de deux secrétaires qui, sous ma dictée, tapent sur ordinateur la conversation entre Arletty et moi... Je fignole encore. Pendant que je dicte, un type de Paris Match vient me serrer la main, très admiratif pour ce que j’ai dit de Rebatet dans mon premier livre... Je lui demande s’il a lu les autres.
- Oui, mais c’est moins bon, surtout le dernier...
Ah ! Pauvre Bonheur ! Que tu as mal été compris ! Un jour, ce sera la vengeance du Bonheur... Sa réhabilitation totale, c’est trop injuste... Moi, je l’aime toujours.
Je me promène dans les couloirs de Paris Match, je fais des va-et-vient de chien. Finalement, au bout de deux heures, Bauby et son assistant ont l’interview en main... Ce n’est pas l’enthousiasme fou mais ça leur plaît, surtout après qu’ils ont mis leur grain de sel !... Très consciencieusement, ils resserrent ces onze feuillets, réduisent les parties un peu trop “intello” sur Bernstein et Sacha, coupent bien entendu la bonne phrase et me sucrent mes tirades sur de Gaulle. Tout cela avec mon accord. Paris-matchement, ils ont raison : l’entretien est plus vif, plus clair ainsi... Je m’en fous, j’ai l’intégrale pour moi et la bande en plus ! Une heure et demie à bâtons rompus avec Arletty : belle cassette dans ma collection...
Bauby me dit : “L’embêtant, c’est que vous êtes meilleur qu’elle...” Alors il faut diminuer la force de mes répliques, tout en me laissant bien présent, mais sans que ce soit un “one-man show” applaudi par Arletty... C’est délicat... Ils vont même jusqu’à poser un petit problème de censure tout à fait passionnant. À un moment, je raconte à Arletty à quel point la tyrannie de la charité est oppressante à notre époque. “Ils sont tous là à montrer leur sale petit cœur rouge rutilant de larmes.” Bauby et son assistant tombent sur cette phrase qu’ils adorent. Hélas, elle est de moi alors il faut la couper ou bien la mettre dans la bouche d’Arletty... Formidable ! La même phrase, dite par elle, passe parce qu’elle est “couverte” par sa légende. Dite par moi, la phrase devient impubliable et fait prendre un risque à Bauby lui-même !
— Mais vous ne risquez rien, ces propos n’engagent que moi... dis-je.
— Oui, mais c’est moi qui vous engage ! me répond “Jean-Do”.
Ah ! J’adore la Censure... On apprend toujours quelque chose sur la subversion avec cette salope.
Je trouve malhonnête de faire dire à Arletty ce qu’elle n’a pas dit. Donc je choisis la coupe ! Je dirai donc : “Ils sont tous là à montrer leur cœur.”
Au bout d’une heure et demie, le texte est prêt. Bauby me soumet la version définitive. J’approuve. Il me fera un chapeau signalant la parution des Petits Riens, autre recueil d’aphorismes d’un “autre anar, comme Arletty”. Il n’y aura pas de photo de moi (qui c’est la vedette ?) et ils compenseront le côté “trop profond” de notre conversation par des extraits bien connus et commerciaux du livre d’Arletty... Bauby aime beaucoup la fin sur la Révolution et le passage sur le fils-fille d’Eve Lavallière... J’aurai au moins réussi ça, faire passer Eve Lavallière dans Paris Match !... En ce moment, ma vie plaque des accords très bop : Monk/Istanbul/Arletty/Lavallière (+ le fils-fille) via Paris Match... Quelle quinte bémol ! Ça sort le 6 octobre. Je serai sur le Bosphore ! Inch’Allah !… » (Kamikaze, 2000, pp. 2868-2870)
  • [À propos de Chantal Sébire] : « C’est la médiatisation bien sûr qui l’a tuée. Exactement comme Jean-Dominique Bauby, mort au moment exact de son apothéose médiatique. Son “Bouillon de culture”, il ne l’a jamais vu... Enterré la veille ! Hasard ? Mon œil ! Ou plutôt, son œil ! Exploitant son fantasme d’être enfin reconnu comme un “écrivain”, on lui a fait faire un livre dicté à la paupière, on en a préparé le lancement, Jean-Jacques Beinex est allé le filmer à l’hosto, l’enfermant dans des images d’une indécence puant l’exhibo-voyeurisme, tout ça sous couvert d’apporter un témoignage pudique, bouleversant etc. (on connaît les médias !). “Jean-Do” a même eu le temps de préparer ses réponses au questionnaire de Bernard Pivot...Tout était stratégiquement calculé, un plan média au poil, sauf qu’il ne lui restait plus qu’à mourir pour que les ventes triplent, quadruplent, s’envolent comme des papillons qu’on libère de leur scaphandre... Bauby (je l’ai connu moi, Bauby, et en forme !) est mort parce qu’il a voulu absolument revenir de Bercq à Paris pour jouir de son triomphe. Puni ! L’image de soi qu’on accepte de donner aux médias en échange de leur faux amour est fatale aux fragiles. » (Le ridicule tue, tract, 15 avril 2008)

Intégration littéraire

Notes et références