My wiki:Éphéméride/5 octobre

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1892 : Mort de Gabriel-Albert Aurier, le premier grand critique d'art de l'Histoire et toujours le meilleur, indépassable, ex aequo avec Félix Fénéon et à la même époque, et sur les mêmes peintres que tous deux ont contribué à faire connaître, comprendre et aimer (c'est pareil). Aurier était le plus jeune, le plus fantasque, le plus baroque dans son écriture qui donnait le change des tableaux qu'il était censé seulement décrire. Il a tout compris et tout accompli en très peu de temps, un peu comme certains jazzmen. D'abord ce plouc de Châteauroux, gros dadais chevelu à chapeau haut de forme qui est venu traîner à Paris et s'est fait remarquer par Rémy de Gourmont pour son « tempérament outrancier d'observateur ironiste » et sa « jovialité rabelaisienne », a été, si jeune, un des fondateurs du Mercure de France : c'est là-dedans qu'il publie ses premiers articles, autant dire des poèmes en prose sur les grands artistes inconnus de son temps : Paul Gauguin, Van Gogh, Gustave Moreau, Monet, Renoir… Tout en contestant les termes « impressionnisme » et « symbolisme », Aurier reste celui qui se sera le plus penché avec passion et compétence sur les deux mouvements picturaux de son époque, ne ratant pas une seule touche d'un seul grand peintre… Les choses n'ont pas tellement changé de nos jours : le véritable art est toujours négligé à côté du faux art. L'École des Faux-Arts, c'est comme ça qu'on pourrait appeler la plupart de toutes les époques ! Aurier avait dès le début mis les choses au point : « Pour le public ― j'entends ce minuscule public à peu près intelligent qui se préoccupe encore de cette futilité anachronique, l'Art ― il n'existe, on le sait, que deux classes de peintres : les peintres académiques, c'est-à-dire ceux qui congrûment éduqués, diplômés et patentés par la faculté ès-art de la rue Bonaparte, brocantent, à des prix israélites, du beau officiel, dans le genre antique, moderne ou autre, breveté avec garantie du gouvernement ― et, d'autre part, les peintres impressionnistes, c'est-à-dire tous ceux qui, révoltés contre les goûts imbéciles des critiques de boulevard et contre les ignares formulailleurs de l'école, se permettent l'outrecuidante liberté de ne pas copier quelqu'un. » Son truc, à Aurier, c'est les maudits, il le disait déjà dans son Œuvre Maudit : « Nous sommes les Maudits, les Excommuniés traînant comme un boulet nos chefs-d'œuvre niés… Dédaignant les collines roses où fleurit le printemps éternel, pour fouiller les sépulcres récents du lamentable val, en rêvant d'effondrements monumentaux ». Il ne fait pas que se lamenter avec de beaux mots comme tant de fans d'artistes contemporains qui se contentent de retweeter les œuvres de leurs idoles en direct. Il se bouge le cul ! Par exemple, en 1889, alors que la vulgaire Exposition Universelle bat son plein en mettant en valeur la peinture officielle des Beaux-Arts, Aurier, avec son copain Émile Bernard, monte une exposition sauvage dans un café tout proche du Champ de Mars, le Volpini, et ils y accrochent, en convaincant le patron qui se moquait évidemment de la peinture mais qui était emmerdé parce que ses miroirs commandés n'étaient pas arrivés et qu'il n'y avait plus rien pour décorer son rade, les tableaux de quelques peintres dont tout le monde se foutait à ce moment-là ! Le 27 juin 1889, dans sa gazette Le Moderniste (ça dit tout, on est loin de CNews), Aurier en fit la recension intitulée « Concurrence », et y célèbre les 14 toiles de Gauguin, les 20 de Bernard, celles d’Anquetin, de Schuffenecker, Laval, Roy… Il ne manquait que celles d'un certain Vincent Van Gogh mais il était parti trop loin dans sa tête à ce moment-là pour se joindre à eux. Mais Aurier avait déjà vu trois Van Gogh au Salon des Indépendants et d'autres dans la boutique de couleurs du père Tanguy en s'étant exclamé : « Voici les toiles de Vincent, formidables de fougue, d'intensité, d'ensoleillement ! ». Ensuite Aurier avait fait la connaissance de Théo Van Gogh, rue Lepic, qui lui montra les tableaux brossés à Arles par son frère isolé. « Les Isolés », c'est le titre qu'Aurier donnera à son grand article mythique, et le seul que le peintre aura eu de son vivant, sur Van Gogh et sa peinture. Il n'a pas à rougir à côté du texte d’Antonin Artaud écrit 50 ans plus tard. Un bouquet de prose grandiose d'une compréhension vertigineuse pour cet « isolé » qui est peut-être une notion encore plus forte que celle de « maudit ». D'ailleurs presque gêné par tant de compliments, Van Gogh lui répondit par une lettre aussi célèbre de deux pages (vendue 107 900 euros aux enchères en 2007) et dans laquelle, il lui dit : « Cher Monsieur Aurier, Merci beaucoup de votre article dans le Mercure de France, lequel m’a beaucoup surpris. Je l’aime beaucoup comme œuvre d’art en soi, je trouve que vous faites de la couleur avec vos paroles ; enfin dans votre article je retrouve mes toiles mais meilleures qu’elles ne le sont en réalité, plus riches, plus significatives. » puis il se rabaisse en trouvant que Monticelli mérite plus d’être considéré que lui-même ; il fait ensuite l'éloge de Gauguin à cause duquel quand même il s'est coupé l'oreille. Sans rancune et sans oreille ! Il vante même les bouquets de Jeannin par rapport aux siens… Où se loge le masochisme protestant tout de même ! Il préfère également vanter les qualités de Meissonnier plutôt que de parler de son propre travail. Il en parle, mais si peu : « Les émotions qui me prennent devant la nature vont chez moi jusqu’à l’évanouissement et alors il en résulte une quinzaine de jours pendant lesquels je suis incapable de travailler. ». Mais le passage le plus remarquable de cette lettre à Aurier évidemment a été peu remarqué : il s'agit d'un post-scriptum où, l'air de rien, Vincent donne beaucoup de secrets de sa technique car tout est technique chez lui, ce fut le peintre le plus propre et le plus ordonné qui soit. Au sujet du tableau qu’il veut donner à Aurier en témoignage de gratitude pour son article, Van Gogh écrit en fin de lettre : « Au prochain envoi que je ferai à mon frère j’ajouterai une étude de cyprès pour vous si vous voulez bien me faire le plaisir de l’accepter en souvenir de votre article… Lorsque l’étude que je vous enverrai sera sèche à fond, aussi dans les empâtements, ce ne sera pas le cas avant un an – je croirais que vous feriez bien d’y donner un fort vernis. Et entretemps il faudra plusieurs fois la laver à grande eau pour faire évacuer complètement l’huile. Cette étude est peinte en plein bleu de Prusse, cette couleur de laquelle on dit tant de mal et de laquelle néanmoins Delacroix s’est tant servi. Je crois qu’une fois les tons du bleu de Prusse bien secs, en vernissant vous obtiendrez les tons noirs très noirs nécessaires pour faire valoir les différents verts sombres.–Je ne sais trop comment il faudrait encadrer cette étude mais y tenant que cela fasse penser à ces chères étoffes écossaises, j’ai remarqué qu’un cadre plat très simple, mine orange vif, fait l’effet voulu avec les bleus du fond et les verts noirs des arbres.– Sans cela il n’y aurait peut-être pas assez de rouge dans la toile et la partie supérieure paraitrait un peu froide. » Une leçon ! Aurier et Van Gogh ne se rencontreront qu'une seule fois, en juillet 1890, lorsque Vincent passera voir son frère rue Lepic et déjeunera chez lui avec Toulouse-Lautrec : ce sera le dernier passage à Paris de Van Gogh avant qu'il s’en aille à Auvers-sur-Oise vivre et peindre chez le docteur Gachet, puis se suicider à l'âge de 37 ans. C'est d'ailleurs par une lettre à Aurier que Bernard annoncera le suicide de son ami et lavera d'avance tous les soupçons complotistes sur la façon dont Van Gogh est mort : « Je pense que vous avez deviné déjà qu'il s'est tué lui-même. En effet, dimanche soir, il est parti dans la campagne d'Auvers, il a déposé son chevalet contre une meule et il est allé se tirer un coup de revolver derrière le château… » Aurier survivra à Van Gogh de deux ans à peine. Parti avec un pote à Marseille, en octobre 1892, pour rencontrer Paul Signac et choper des infos sur Seurat sur lequel il compte écrire (jamais de tourisme dans les déplacements des vrais artistes), Auriez bouffe sur le Vieux-Port des coquillages pourris et s'intoxique. Typhoïde, pneumonie. Il remonte à Paris mais trois jours après il meurt, à 27 ans. Dans son appart, sa mère et sa sœur trouvent des tableaux de Gauguin, Bernard, Bonnard et dix de Van Gogh à tomber par terre (pléonasme) dont « Le Café de nuit à Arles », et le « Cyprès avec deux femmes» qu’il lui avait offert pour le remercier de son attention. Merci de votre attention.
1918 : Naissance de Jimmie Blanton, contrebassiste noir américain de jazz légendaire de Duke Ellington qui, le premier soir où Duke l'entendit dans un club en 1938, l’a engagé tout de suite dans son big band. Blanton avait 18 ans. C’était le Rimbaud, le Raymond Radiguet de la basse ! Le premier maître qui a su articuler des solos intelligibles, et plus que ça : de vraies mélodies aux passages harmoniques vertigineux. C'est bien simple, Blanton influencera tous les bassistes postérieurs, de Wilbur Ware à Niels-Henning Ørsted Pedersen, en passant par Scott Lafaro et Charlie Haden… Jimmie a imposé sa personnalité de puissant pulsateur. Il tirait comme une bête. C’était un tirant ! On entend le bois ! Jack the Bear ou Ko-ko (1940) en sont les démonstrations. Et quel soliste ! C'est rare qu'on puisse chanter un solo de basse… Pourtant c'est ce qui arrive quand on écoute Jimmie Blanton dans Sophisticated Lady (les deux prises du 10 janvier 1940) ou Body and Soul (deux prises aussi) où il fait la nique sur son instrument à Coleman Hawkins sur le sien. Ou encore, ce blues Sepia Panorama, si « pré-bop » qu’on a du mal à admettre qu'il a été enregistré en 1941 pour une émission de radio à Los Angeles (et qui est le cousin parfait du Profoundly Blue de Charlie Christian à la guitare sèche, enregistré la même année)… Alors évidemment, à l'archet, Blanton joue faux, mais comme la plupart des bassistes ! Paul Chambers aussi jouait faux, et Ray Brown sur la fin, ça ne les empêchait pas d'être justes. Il n'y a que Slam Stewart qui ne jouait pas faux, évidemment parce qu'il chantait par-dessus, c'était une ruse pour redresser la justesse de son jeu. Pas dupes, Slam !... D'ailleurs, il suffit d'écouter les retranscriptions des solos de Blanton où la fausseté de l'exécution à l’archet a été gommée pour ne garder que les notes choisies par Jimmie, et on a des lignes impeccables, tout en inventivité, tout en audiacieux changements de ton en cours de route, jusqu’à déconcerter Duke lui-même quand ils sont en duo (au passage, tout à fait novateur, un disque piano-basse en 1940), et qui sont à chaque fois de véritables œuvres d’art. Jimmie Blanton meurt de la tuberculose à 23 ans en 1942, comme son ami Charlie Christian à 25, l’année d’après…
1934 : Mort du cinéaste Jean Vigo.
1950 : Première représentation, au théâtre des Ambassadeurs, de Victor, pièce d’Henry Bernstein (résumée par Nabe dans « La jungle de Bernstein », préface au livre Théâtre d’Henry Bernstein, publié aux Éditions du Rocher en 1997).
1951 : Miles Davis enregistre l'album The New Sounds.
1956 : Sonny Rollins enregistre l'album Rollins Plays for Bird.
1983 : Nabe rencontre Slim Gaillard au Twenty-One, club de jazz rue Daunou (Paris).
1985 : Nabe réalise quatre portraits de Charlie Chaplin.
1989 : Attribution du prix Nobel au Dalaï Lama (évoquée par Nabe dans « Le Nirvana piégé », L'Idiot international n°22, 11 octobre 1989).
2015 : Des manifestants d’Air France s’en prennent au DRH de l’entreprise, jusqu’à arracher sa chemise (évoqué par Nabe dans un Éclat, « “La chemise doit être déchirée de toute façon” », 2015).