My wiki:Éphéméride/6 mai
« Lundi 6 mai 1985. — [...] Ça y est ! Je suis tombé dans Bernanos, “cette vieille énormité crevée” comme dit Dominique de Roux. Depuis quelque temps je tournais autour de façon insidieuse. Ça m’avait beaucoup touché qu’Artaud ait écrit une lettre à Bernanos que le vieux gardait en permanence dans son portefeuille. Et quel romancier ! Pâteux, sombre, sinistrement surnaturel (j’avais bien commencé La Joie avant que Le Désespéré ne la noie). Ses cannes tremperaient, l’une dans Barbey, l’autre dans Dostoïevski, que ça ne m’étonnerait pas. C’était le seul que Céline considérait de sa “famille” comme il le confie à Paraz. Fraternité de puissance ! Ça se sentait déjà dans l’article que Bernanos avait consacré au Voyage. Céline était bien trop égoïste pour écrire sur Bernanos (il n’écrivait sur personne), mais ils avaient une sacrée colère franco-cosmique en commun ! Il y a quelque chose d’oral chez Bernanos, ou plutôt de pas écrit. Rien à voir avec la langue parlée-repensée de Céline, mais le son de sa voix est si puissant (grâce au souffle que lui inspire Dieu) qu’on entend Bernanos avant de le lire. Bernanos n’est pas un styliste, c’est une voix et je crois bien qu’aujourd’hui un “écrivain” n’a pas le droit de n’être qu’un style : il lui faut parler. De grands livres qui parlent du temps et des hommes qui y souffrent. Je vais lire très attentivement ces grands hurlements de bouledogue vivisectionné par la bêtise des bien-pensants. » (Tohu-Bohu, 1993, pp. 1018-1019)