Milt Jackson

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Milt Jackson en 1987

Milt Jackson est un vibraphoniste de jazz né le 1er janvier 1923 à Detroit et mort le 9 octobre 1999 à New York.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Marc-Édouard Nabe a toujours entendu la musique de Milt Jackson, et même ce dut être l’une des premières qui nimba sa prime enfance, pour la bonne raison que le meilleur ami de son père, Jean-Pierre Lindenmeyer, disciple européen de Milt Jackson, lui faisait, chez lui le dimanche, écouter le vibraphoniste avant d’empoigner ses mailloches (ils avaient le même fournisseur en Amérique) pour jouer sur son propre « Deagan ». Le son unique (et donc doublé par Lindenmeyer !) et le phrasé de Milt ont toujours résonné chez Nabe comme l’expression d’un langage, au sens littéraire du mot, en soi. En outre, l’instrument lui-même, avec son allure de meuble métallique, a toujours fasciné le jeune Zannini qui à un moment a même songé à apprendre à en jouer… L’esprit du futur écrivain, et même du peintre[1], saura intégrer l’art vibraphonistique de Milt Jackson dans ses productions. Le virtuose de l’école Bebop qui avait reporté sur les lames de son vibra la révolution de Charlie Parker sera ainsi une référence cruciale chez Nabe. Pour preuve, dès son premier passage à la télévision (1984), dans l’émission de Michel Polac, Droit de réponse, Marc-Édouard Nabe attaque le rock pour prendre la défense du jazz en opposant Michael Jackson à Milt Jackson :

« Si ces mecs-là parlent de Jackson, c’est que pour eux Jackson c’est Michael Jackson, et pas Milt Jackson, on en leur a pas donné le choix et le jazz ils ne savent même pas ce que c’est.[2] »

Voyant Jackson le plus souvent possible en concert, à Paris, à Nice, à Antibes, etc., Nabe en parlera dans son Journal et un de ses Zigzags non retenu dans le premier volume a été écrit sur le musicien (Vribamilt)[3]. L’écrivain observera le musicien dans les coulisses, notamment en compagnie de Liliane Rovère. Il ne tarira pas d’enthousiasme sur son jeu au vibraphone, mais aussi au piano, instrument épisodique sur lequel Nabe a vu Jackson faire le bœuf[4].

Nabe aura aussi l’occasion, rare, de voir l’une des dernières prestations du Modern Jazz Quartet au Châtelet, en compagnie de André Hodeir, au début des années 1990. Dans les derniers temps, Milt, sans perdre de sa puissance musicale, était affaibli par la maladie, mais sa déficience en vélocité était toujours rattrapée par une sorte de défi, comme pendant ce concert de 1997 en Allemagne où on le voit perdre une mailloche que son comparse l’harmoniciste Toots Tilemans lui restitue mais dont il ne sert pas, continuant son solo avec une seule main ! Magnifique moment dont Nabe ne se lasse pas, surtout que Milt Jackson ne s’est pas aperçu tout de suite qu’un autre batteur avait pris la place du précédent, et pas des moindres : Max Roach.

Milt Jackson en Allemagne en 1997

Enfin, Nabe était là avec son père au Parc Floral à Vincennes en 1999 pour voir Milt se produire une ultime fois en France, quelques mois avant sa mort, accompagné par le contrebassiste albigeois, Pierre Boussaguet.

Nabe, Zanini et Pierre Boussaguet en compagnie de Milt Jackson, 1999

Citations

Nabe sur Milt Jackson

  • « Mercredi 13 novembre 1985. — [...] Le soir, on tente une percée à L’Eldorado pour le concert du “Philip Morris super band jazz series”. Percée réussie avec une facilité écœurante. Le guichetier nous place, Marcel, Hélène et moi, tout près de la scène, à l’œil et à la barbe des mauvais payeurs...
Première partie exaltante : Milt Jackson à quinze mètres ! Mes jumelles ne veulent pas le croire... Voir Milt est toujours un grand bonheur d’un grand enseignement. J’ai rarement raté un de ses passages. C’est un des derniers, lui aussi, mais pas seulement. Milt fait sourdre en moi une mythologie plus gracieuse : la joie marseillaise de me retourner sans nostalgie sur mon enfance : Jean-Pierre et son jacksonnisme outrancier y sont pour beaucoup. Ce que Milt représente pour Jean-Pierre est exactement ce que Jean-Pierre représente pour moi : cette équation décuple — si c’est possible — l’intérêt purement jazzistique que je prends à me régaler des échos métalliques que ce grêle nègre génial fait surgir de son vibraphone...
Il est très gai, anormalement gai et décontracté ce soir : il présente ses morceaux, rit et fait des blagues à ses musiciens : un Capricorne guilleret soudain ça change tout... Sa rythmique est bonnarde sauf le batteur (Ed Thigpen) qui freine un peu la machine : Michel Rocker ne peut pas assurer tous les incendies. NHOP et Monty Alexander bourrent les thèmes comme des femmes. Milt est très bien mis en valeur, son son est toujours aussi volumineusement splendide. Des graves aux aigus, des clichés aux audaces, des ballades aux mitraillades, c’est l’immortelle haute couture de ces phrases à la musicalité superbe, la folle élégance de ces mailloches orange et grassouillettes, légères et précises, qui se déplacent sur les larmes d’or et symbolisent, dans mon obsession, les plus optimistes ordonnances... Des blues, des anatoles, des standards en tout genre : Milt serait-il heureux par ce qu’il se démodernjazzquartettise enfin ? Loin de John Lewis, il s’affranchit, et joue ce qu’il veut, c’est-à-dire du Swing ! Du Swing à chanceler ! Et puis c’est tout ! » (Tohu-Bohu, 1993, pp. 1338-1339)
  • « Hélas le drame de Mickey Linden c’est qu’il n’a pas eu le temps de devenir plus milt-jacksonien que Milt Jackson. C’est tout le problème des idoles.
— Tu as remarQUÉ ? HamptON, JacksON, BurtON, HutchersON : tous LES noms de vibraphonistes se terminent en « on ». Il faudrait que je m’appelle Lindenton pour réussIR !
Comment se convaincre définitivement que Milt Jackson ignore l’existence de ce double mexicano-marseillais ? Quand on le croise dans les loges enfumées avec son air doux et distant, son très beau sourire ahuri, toujours très mal habillé, on voudrait pouvoir lui dire qu’il lui manque quelque chose depuis que Linden existe. Ce serait formidable si les grands artistes se détérioraient grâce leurs admirateurs, s’ils perdaient en route des morceaux d’eux-mêmes, si chaque musicien était construit en pièces de viande détachées que les autres puissent arracher, dévorer en rapaces jusqu’à les faire disparaître ! Mickey ne l’a jamais quitté. Milt a vécu dans lui comme une maladie délicieuse. D’années en années, Mickey a été rongé de l’intérieur. Milt a gâché sa vie de vibraphoniste. Ayant à peine entrevu le personnage, il a suivi la musique de cet être-là dans tous ses déplacements jusqu’à en avoir peur. Linden trouve que Milt Jackson ne cesse de s’améliorer : à chaque nouveau disque, on dirait qu’il apprenait le vibraphone dans le précédent, c’est vous dire le découragement que cela suscite chez l’homme d’affaires marseillaises… Il s’agit, entre deux Oreilles Absolues capricorniennes, d’une course un peu désespérée. Cauchemardesque comme impression. Toute sa vie, Mickey Linden a souffert de l’Ombre, de l’ombre portée, ou plutôt de porter l’ombre… » (Le Bonheur, 1988, p. 144)
  • « Samedi 2 juillet 1988. — [...] À l’entracte, je vais saluer Milt Jackson. Quel génie ! Je le regarde… Magnifique concert… Tout en hommage à Ellington. John Lewis et Milt, encadrant l’orchestre, viennent annoncer les morceaux à deux micros… Quelle musique ! Voilà des gens qui ont compris (et depuis 35 ans) qu’il fallait sortir du “thème/solo sur l’anatole”. Jamais une intervention n’est lassante. Tout est découpé, chacun entre et sort, libre de ses grilles… C’est écrit. John Lewis est d’une intelligence extraordinaire. Milt est le seul qui n’a pas de partition, il a l’air de penser à autre chose, mais ne loupe pas un riff, une reprise, un trait… Il fait ce qu’il veut avec ses oreilles… » (Kamikaze, 2000, p. 2744)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. « Le Vibraphone », 1981.
  2. Droit de réponse, TF1, 24 septembre 1984, repris dans « 1. Il commence à nous faire chier ! », Coups d’épée dans l’eau, Éditions du Rocher, 1999, pp. 9-10.
  3. Marc-Édouard Nabe, Kamikaze, 2000, Éditions du Rocher, p. 2801.
  4. Milt Jackson au piano, Paris, 1965