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Cet article recense les principaux thèmes abordés par Marc-Édouard Nabe dans sa production artistique.

La littérature

Après quelques picorages d'Edgar Poe (Contes extraordinaires) et de Charles Dickens (M. Pickwick) dans son enfance, Marc-Édouard Nabe, d’abord passionné par la peinture et par la musique, a eu la révélation de la littérature avec Rigodon de Louis-Ferdinand Céline, lu à l’âge de quatorze ans. Cependant, le « retard » a été rapidement comblé par une lecture attentive des œuvres de Mallarmé, Pirandello, Rimbaud, Genet, Roussel, Powys, puis Léon Bloy, André Suarès, Lautréamont... À la fin des années 70, Nabe se plonge le plus possible dans la vie et les livres des vrais écrivains de tous les temps pour inventer son propre style et écrire son premier livre, Au régal des vermines (1985).

La littérature de Nabe est principalement autobiographique mais c'est une autobiographie conçue comme une matière brute dont le jeu est de la faire passer par plusieurs genres (essai, roman, journal intime, article, poème, aphorisme, etc.) tout en restant dans la stricte vérité de ce qu'il a vécu. Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Nabe adapte son écriture aux projets littéraires qu’il construit : picaresque dans Le Bonheur (1988), pamphlétaire dans ses articles pour L’Idiot international (1989-1990), « journalisme » dans la « Trilogie politique » (2001-2004), « sous-écriture » dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010), etc.

Dans certains de ses livres, comme dans son recueil Coups d’épée dans l’eau (1999) ou dans sa « gazette numérique » Nabe’s News, Nabe porte des avis critiques sur les autres écrivains de son époque et sur leur travail jugé souvent par lui insuffisant : Jean-Edern Hallier dans le journal intime ou Michel Houellebecq dans Le Vingt-septième Livre (2009), Philippe Sollers dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010), ou Maurice G. Dantec dans Les Porcs (2017). En général, Nabe ne fréquente pas les hommes de lettres, et surtout depuis la fin de son journal intime qui comporte, sur presque 4000 pages, de nombreux tableaux très riches du monde littéraire des années 80-90.

Le jazz

Le jazz tient une place prépondérante et omniprésente dans l’œuvre de Marc-Édouard Nabe, aussi bien grâce à son activité de musicien (successivement au piano, au trombone, à la batterie, et enfin à la guitare) et à celle de son père, Marcel Zannini qu’à ses rencontres (Sam Woodyard, Freddie Green, Miles Davis, Art Blakey, Thelonious Monk, Chet Baker, Anthony Braxton, François Rilhac, et tant d’autres). Le jazz est présent dès son premier livre, Au régal des vermines (1985), où il écrit de nombreuses pages sur le « swing des choses » et fait l’éloge de Monk. Nabe a consacré plusieurs ouvrages entiers à des jazzmen (et jazzwomen) : L’Âme de Billie Holiday (1986), sur Billie Holiday, La Marseillaise (1989) sur Albert Ayler et Nuage (1993) sur Django Reinhardt. Aussi, dans son journal intime, Nabe multiplie les descriptions d’albums, les souvenirs de concerts ou les anecdotes et réflexions jazzistiques.

Le jazz est aussi un élément central dans l’écriture même de Nabe qui travaille la musicalité et le rythme de ses phrases pour créer une sonorité correspondant aux sons que ses jazzmen préférés extraient de leurs instruments (saxophones, batterie, piano, vibraphone...).

Les femmes

Marc-Édouard Nabe parle abondamment des femmes qui ont partagé sa vie (Hélène, Diane, Audrey, Leïla, Alexandra), en particulier dans son journal intime, ses romans et son magazine Patience (voir les troisième et quatrième numéros), mais aussi de celles qui ont pris une dimension mythique dans son Panthéon (Simone Weil, Gertrude Stein, Thérèse de Lisieux, Nica de Koenigswarter de Rothschild). En 1986, Nabe publie L’Âme de Billie Holiday, un ouvrage de 250 pages sur la chanteuse de jazz, ainsi que Lucette, en 1995, un roman de 350 pages consacré Lucette Destouches, la veuve de Louis-Ferdinand Céline.

Convaincu qu'il lui est inutile d'inventer des figures féminines alors que la vie lui a mis sur sa route des femmes réelles d'envergure, Nabe n'a eu de cesse d'en brosser des portraits mémorables. Que ce soit sa mère dans son Journal et le Régal (1985), sa grand-mère dans Le Bonheur (1988) ou Marie-France Hottiaux et Véronique Rebatet dans Tohu-Bohu (1993), ou encore Nada Akl dans Inch’Allah (1996), Delphine ou Laura dans Alain Zannini (2002), « Shéhérazade » dans Printemps de feu (2003), ou Zoé dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010)... Il y aussi les femmes célèbres du monde du spectacle comme Arletty, Ava Gardner, Romy Schneider, Béatrice Dalle ou de l'actualité comme Anne Sinclair ou la fille de Nafissatou Diallo dans L’Enculé (2011), ou encore de parfaites inconnues comme les suicidées Sandrine et Virginie dans Paris Match (repris dans Non, 1998)... Sans oublier les « exceptions fictives », comme Rebecca dans L’Enculé, Emma dans L’Homme qui arrêta d’écrire, ou bien encore Orangéline dans « Le Bal des Baobabs » (K.-O. et autres contes)...

Souvent accusé de misogynie, Nabe est plutôt anti-féministe. Depuis 2017, ses problèmes judiciaires lui permettent d’approfondir davantage son combat contre la misandrie généralisée de la société, accentuée par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc (voir procès contre la lettre ouverte adressée à Naïma Haoulia, Lettre au juge, Pornabe).

La politique

Nabe est totalement désintéressé de la politique (« Politique de merde », Vertiges des lettres, juin 1984), au sens de lutte électorale entre pouvoirs, préférant le politique ou alors la géopolitique. Dans Au régal des vermines (1985), son éloge du fascisme est strictement esthétique, et n’est jamais un projet politique. Les figures fascistes défendues, comme Lucien Rebatet, sont mises en avant à travers leur production littéraire. Ayant passé sa scolarité en primaire dans une école d’application communiste à Marseille, Nabe s’exclura très vite de tout « positionnement » dans le champ politique traditionnel, préférant faire de ses prises de positions, à tendance anarchistes, des actes politiques par l’écriture. Ainsi, il s’intéressera très tôt à la cause des Noirs américains en suivant le parcours de Malcolm X, aux figures révolutionnaires de Che Guevara, de Ben Laden ou de Carlos, sans jamais épouser leur cause en en devenant un militant actif.

Déjà très attentif aux manifestations du terrorisme dans l’Histoire (voir son analyse du mouvement « Action directe » dans son Journal intime), les attentats perpétrés par al-Qaeda sur le sol américain en septembre 2001 renforcent l’intérêt de Nabe portée aux questions proche-orientales. Dès novembre 2001, il est le premier écrivain à publier un livre de 150 pages sur les attentats survenus deux mois plus tôt, Une lueur d’espoir, avant de se rendre régulièrement au Liban et en Irak jusqu’en mars 2003 où il assiste, à Bagdad, sur le terrain même, aux bombardements américains avant l’invasion, pour écrire un roman, Printemps de feu (septembre 2003). L’année suivante, il consacre plusieurs articles de son recueil J’enfonce le clou à la situation en Irak et en Palestine, ainsi qu’à Israël. En 2007, Nabe écrit et distribue un tract sur la bombe atomique iranienne, intitulé La Bombe de Damoclès.

Le terrorisme islamiste en France lui inspirent deux numéros de son magazine Patience : le premier, « Un État de grâce » (décembre 2014) sur l’émergence de l’État islamique ; le second, « La vengeance de Choron » (septembre 2015) sur les attentats de janvier 2015 à Paris et le « phénomène Charlie ». En 2017, le premier tome des Porcs revient en profondeur dans plusieurs chapitres sur la guerre en Irak, l’arrestation de Saddam Hussein et l’évolution d’al-Qaeda.

Hostile à tous les présidents de la République française, il concentrera sa colère sur la période Mitterrand qui a vu naître contre lui un boycott gauchiste faisant de Nabe, dès son apparition publique en 1985, un bouc-émissaire d'extrême-droite. Il est à noter que c’est sous Emmanuel Macron que Nabe choisira de quitter la France, pour des raisons, entre autres, politiques.

La religion

Les trois monothéismes sont intégrés à la littérature de Nabe : le christianisme et le judaïsme dès les premiers écrits (Au régal des vermines, le Journal intime). Le quatrième tome de son journal, Kamikaze (2000) expose l’évolution mystico-christique de Nabe, dont l’aboutissement est L’Âge du Christ (1992), livre où l’écrivain, déjà baptisé catholique, mêle exégèses d’écrivains chrétiens (Bloy, Péguy, Claudel, Bernanos..) et récit de sa première communion à Jérusalem, le jour de 33 ans (27 décembre 1991).

L’Islam apparaît à la fin des années 1980, à travers l’affaire Salman Rushdie, dans les textes de Nabe qu’il publie dans L’Idiot international, et notamment par l’étude de l’œuvre de Louis Massignon. Il prend une place plus grande à la faveur des bouleversements géopolitiques proche-orientaux du début des années 2000, mais aussi de l’évolution de la société française, de plus en plus crispée sur la question de l’Islam. Les textes sur la question musulmane de Nabe ne se comptent plus, ils sont aussi virulents qu'informés et prennent autant la défense des Arabes humiliés en leur terre par l'exploitation blanche qu'ils fustigent les immigrés en Occident qui se soumettent à une politique d'intégration excluante, et pour lesquels Nabe invente un néologisme qui fera florès : les « collabeurs ».

Sur le plan chrétien, Nabe poussera à la fois son dégoût croissant pour le catholicisme et son approfondissement du christianisme des origines, en se convertissant au protestantisme, en Suisse, 60 ans jour pour jour après son baptême catholique en 1959 (voir Nabe’s News, 1er mars 2019).

La mort

En dehors du titre même de son premier livre, Au régal des vermines et d’un grand chapitre à l’intérieur de celui-ci consacré à la mort, c’est souvent la mort d’une personnalité qui est l’occasion d’un texte de Nabe. Par exemple, celle de Chet Baker (13 mai 1988) est racontée dans Inch’Allah (1996), avec un portrait-bilan du trompettiste de jazz. D'autres pages pour rendre hommages à des morts célèbres suivront : Orson Welles, Salvador Dalí, Miles Davis, ou encore — moins attendu — le cycliste Fabbio Casartelli (Oui). Mais Nabe aussi salue d'autres décédés proches de lui : Sam Woodyard, François Rilhac, David Turquin... Et tout cela, pas seulement dans son Journal mais dans ses romans, essais, articles même (Olga Georges-Picot dans Oui). En janvier 1997, après avoir longuement regardé le cadavre de Jean-Edern Hallier, mort l’avant-veille à Deauville, Nabe rédige sur le champ une nécrologie publiée aussitôt dans Paris Match (et reprise dans Oui). En 2007, à l’occasion des vingt ans de la mort du bassiste de jazz Jaco Pastorius, Nabe publie dans la revue Jazzman un article intitulé « Pastorius à mort » comme il avait en 1993, il avait achevé son livre Nuage par le récit de la mort de Django Reinhardt (page chantée ensuite par Pierre Barouh).

En 1998, Nabe met en scène le suicide du narrateur dans son roman Je suis mort. Le lecteur suit la mort par balle, l’embaumement et l’enterrement du narrateur. Les enterrements d'ailleurs sont souvent épiques chez Nabe : celui de sa grand-mère grecque (pas encore morte lorsqu'il le décrivit) dans Le Bonheur (1988), celui d'une autre vieille dame Grecque de Patmos dans Alain Zannini (2002) ou dans Tohu-Bohu (1993) l'après enterrement d'Odile, la femme de Choron, à la rédaction d’Hara-Kiri... Dans les fictions de Nabe, les morts sont presque toujours violentes, notamment dans K.-O. (1999) : par duel au révolver, par disparition après une danse ou un numéro de trapèze, par empalement, prélèvement d'organes, décapitation, etc. Enfin, une allégorie sur « la place de la mort » fut publiée aussitôt lue par Philippe Sollers dans sa revue L’Infini, en 1997.

L’amitié

L’œuvre de Nabe est parsemée de rencontres et d’amitiés mais sa conception de l'art basée sur l'absence de toute frontière entre vie privée et vie publique lui a causé des ruptures amicales plus ou moins brutales. Par exemple, Jean-Pierre Lindenmeyer s’est fâché après la lecture du Bonheur (1988), Francis Paudras après Inch’Allah (1996), Albert Algoud après Kamikaze (2000), Salim Laïbi après L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) ou Yves Loffredo après Les Porcs (2017)).

Ce rapport particulier à l’amitié projetée dans l’écriture qui en dévoile tout, y compris les opinions ponctuelles, positives comme négatives, est une des caractéristiques de l’écrivain qui s’explique par sa volonté de ne pas saper les bases mêmes de sa littérature reposant sur le dévoilement et l’autobiographie. Par là, Nabe entend rejeter la sentimentalité pour privilégier les récits les plus complets possibles des moments passés ensemble. Nabe reviendra souvent sur cette notion. Pour lui, on pourrait dire que l'amitié n’a qu’un temps mais que c'est celui du présent éternel. Jugeant l’entretien de toute amitié destructif, l’écrivain protège celle-ci en la fixant dans ses livres. Pour Nabe, on n’est « amis » que si on vit quelque chose ensemble, si on a quelque chose à faire d'autre que d'être amis. Par exemple, les années 1970 passées au collège de Boulogne-Billancourt avec son condisciple Nicolas, dans Alain Zannini (pp. 755-757) ou encore son « copain de régiment » Dominique Maes avec lequel il a passé 12 mois en caserne à Charleville-Mézière (1979-1980) qui fait l'objet dans Tohu-Bohu de ce que le biographe Jean-Jacques Lefrère considérait comme un des plus forts passage du Journal de Nabe, et de la littérature sur l'amitié en général. Par ailleurs, Mon meilleur ami (prolongé 14 ans après par L’Eunuque raide), « pamphlet » que Nabe a écrit sur Zagdanski a été souvent rapproché de La valise vide, le texte de Drieu la Rochelle avait écrit sur son ami Jacques Rigaut.

Dans le milieu littéraire, seuls Dominique Gaultier, Philippe Sollers ou Patrick Besson apparaissent comme des amitiés à long terme (depuis les années 1980), malgré des fâcheries ou des éloignements ponctuels. Souvent ceux qui avaient le plus prôné la liberté de Nabe d'écrire « à la Bloy » ce qu'il voulait d'eux ont été les premiers à réagir contre lui : Algoud, Angelier, Dachy, L’Yvonnet, Protche, Moix, Delfeil de Ton, Beigbeder, etc. Leur « vexation » a pu entraîner certains dans les pires trahisons qui les ont transformés en véritables monstres blessés.

Le temps

Avec son journal intime, Nabe joue sur le temps écoulé entre l’écriture et la publication. Lorsque Nabe’s Dream est paru en 1991, ses lecteurs ont pu découvrir le quotidien de l’écrivain entre juin 1983 et février 1985. Le décalage le plus large intervient avec Kamikaze qui, publié en 2000, revient sur la période 1988-1990. Ce rapport au temps a causé des fâcheries de la part de personnalités blessées par le jugement porté par Nabe à l'époque.

Effet similaire avec la série des Éclats de Nabe sur YouTube puisque si les premiers épisodes étaient montés et diffusés dans les quelques jours suivant leur tournage dans la galerie Nabe (rue Frédéric Sauton), le décalage n'a cessé d’augmenter dû au temps nécessaire au montage des images, ce qui a abouti à une diffusion des années bien après la fermeture du lieu (février 2017). Cela donne une fonction quasi-archéologique à ceux qui, fouillant sur Internet pour revivre des moments présents, se retrouveront dans un seul lieu, clos et défini, qui aujourd’hui n’existe plus, et avec des personnages désormais disparus ou dispersés.

À l’inverse, Nabe peut réagir très à chaud à des événements très récents. Par exemple, il est le premier écrivain à avoir publié un livre sur les attentats du 11-Septembre (Une lueur d’espoir, novembre 2001), sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn (L’Enculé, octobre 2011) ou sur les Gilets Jaunes (Aux Rats des pâquerettes, mars 2019). Également dans différents journaux, Nabe a pu s’exprimer sur l’actualité : dans L’Idiot international évidement où il pouvait écrire plusieurs articles par semaine sur des faits présents, mais aussi dans L’Éternité (1997), La Vérité (2003 - 2004) et, depuis 2017, Nabe’s News.

Plus spécifiquement, sur l’aspect technique du travail métaphysique de Nabe écrivain sur le temps, on ne peut que renvoyer le lecteur aux flashbacks complexes d’Alain Zannini (2002), à l'intégration de divers temps dans la lettre ouverte à Houellebecq Le Vingt-septième Livre, ou encore, dans Les Porcs, aux conditionnels et autres plus-que-parfaits employés à dessein dans le récit entièrement écrit au passé (aux passés ?) qui d'ailleurs prend aussi en compte des flashforwards plus induits que développés, et ce, sur mille pages (deux, trois mille même)... Sans oublier L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) entièrement écrit au présent.

Enfin, il n'aura pas échappé non plus à la sagacité des lecteurs que, chez Nabe, la fin d'un livre peut trouver sa continuation dans le début du précédent : par exemple, pour savoir la suite de J’enfonce le clou (2004), qui se termine le 18 mars 2003, il faut lire le premier chapitre de Printemps de feu (2003), qui lui commence le 19 mars 2003.

L’argent

En 1983, Nabe cherche un éditeur capable de le publier. Il évoque dans son Journal intime les difficultés financières d’un jeune écrivain qui a choisi de vivre de son art quoi qu’il arrive. Après la sortie d’Au régal des vermines en 1985 et des publications chez Denoël, au Dilettante et presque à La Table Ronde, Nabe, grâce à Jean-Paul Bertrand, qu’il rencontre en 1989, est mensualisé jusqu'en 2005 pour écrire ce qu’il veut aux Éditions du Rocher. Après son éviction de cette maison, il trouve un moyen viable de continuer son art en toute indépendance financière par la vente de sa production picturale. En effet, à partir du milieu des années 2000, Nabe multiplie les expositions où il vend ses peintures, louant à ses frais des espaces pour se passer de galeristes. Le fruit de ses ventes lui permettent de vivre et de financer lui-même l’impression des livres qu’il anti-édite en toute liberté depuis 2010. Ainsi, cas unique d’auto-sponsoring, depuis dix ans, la SARL Nabe est une machine qui crache de la peinture et avale de la littérature, et inversement : le produit des tableaux vendus sert à imprimer des livres dont la vente sert à louer une galerie pour y vendre des tableaux, etc. En outre, ayant récupéré ses stocks de livres du Rocher en 2008, Nabe les a mis en vente sur sa plateforme, et gagne ainsi sa vie en revendant ses invendus : encore une originalité dans le financement d'un écrivain.

Dans l’œuvre même, le thème de l’argent passe par plusieurs figures, dont Nabe analyse particulièrement la cupidité, l’avarice, la radinerie ou l’appât du gain (de son grand-père Marcel Taurel à Jean-Pierre Lindenmeyer, en passant par Albert Algoud et Yves Loffredo), ce qui constitue en soi, en dehors de la drôlerie moliéresque que cela représente à la lecture, une analyse sociologique de l’économie du temps, en particulier dans la bourgeoisie et petit-bourgeoisie françaises.

Le genre

Nabe pratique la transgression des genres littéraires. Si son premier livre, Au régal des vermines (1985), est généralement considéré comme un pamphlet, Nabe y mêle différents genres et différents tons : autoportrait et portraits de ses parents (Marcel et Suzanne), éloge de Thelonious Monk et du jazz, attaque des années 1980, exégèses de Léon Bloy et de Louis-Ferdinand Céline, passages sur le sexe, la vieillesse ou l’amitié. En quelque sorte, tous les livres futurs de Nabe sont reliés à des chapitres ou à des morceaux de ce premier livre.

Autre exemple : les « tracts » distribués gratuitement entre 2006 et 2009. Prenant le contre-pied des tracts classiques, généralement brefs, Nabe en fait un support pour des textes pouvant dépasser les 20 000 signes imprimés au format A2 et collés sur les murs de Paris ou de Marseille. Dans la même veine, son magazine Patience, publié depuis 2014, est plus qu’un magazine, étant intégralement rédigé par Nabe et illustré par des photos et des montages que la presse française ne peut pas diffuser.

En outre, beaucoup, très justement, ont pu considérer son journal (Nabe’s Dream (1991), Tohu-Bohu (1993), Inch’Allah (1996), Kamikaze (2000)) comme un véritable roman, alors que son roman Alain Zannini (2002) est jugé souvent par ses lecteurs comme le cinquième tome de son journal intime. Les aphorismes de Chacun mes goûts (1986) sont un peu plus que des aphorismes. Ceux de Petits Riens sur presque tout (1992) sont entrecoupés de dessins et de reproductions de signatures. Quand Nabe fait une préface, elle se transforme en quelques lignes en lettre ouverte (voir Le Vingt-septième Livre pour les 20 ans du Régal) et quand il écrit une lettre ouverte, elle se transforme en pamphlet (« Lettre au juge », 2018). Un poème peut être une succession d’onomatopées jazzistiques ou une simple liste de nom à une syllabe (Loin des fleurs, 1998). Quant aux Porcs, il a déjà été noté que, malgré sa véracité historique et sa chronologie stricte, son écriture reste et même n’en est que plus romanesque.

Le pamphlet

Nabe pratique le pamphlet sous différentes formes : ouvrages (d’Au régal des vermines, 1985 à Aux Rats des pâquerettes, 2019 en passant par Non, 1998, J’enfonce le clou, 2004, et Les Porcs bien sûr, 2017), mais aussi articles (en particulier dans L’Idiot international chaque semaine entre mai 1989 et février 1990 et La Vérité en 2003-2004), ou bien textes non signés (Nabe’s News).

Nabe est certainement l'un des pamphlétaires les plus violents de l’histoire de la littérature. Il s’est baigné très jeune dans les eaux graphiques de Siné, de Jossot et de Reiser, et plus tard dans celles littéraires de Céline, Bloy, Vallès et Rebatet (pour lui, les quatre sommets de l'art pamphlétaire). Le pamphlet pour Nabe est une première nature qui lui sert avant tout d’arme assassine pour régler leurs comptes aussi bien aux personnages qu’il juge néfastes dans son temps ou pour son œuvre (qu’ils soient « connus » ou pas), mais aussi pour s’attaquer aux idées mêmes qui pourrissent son époque. En ce sens, le Zorro justicier de son enfance (masqué d'un pseudonyme) a pu servir de modèle conséquent à son activité d'écrivain adulte.

Parmi les plus fameux pamphlets de Nabe de format court, on peut citer « Le Pen vous fait jouir » ,« Les vacances de maître K. », « Serge Gainsbeurk », « Notre-Dame des pompiers », « Fini de rire », « La vie sans Freud », « Le carnaval des enculés », « À quoi font-ils penser ? », « La kaputt », (tous repris dans Non), mais aussi « Crève, Occident ! », « Toute l’histoire d’Israël sur une seule page », « Monsieur et madame Pédé », « Caca nerveux », et « Les collabeurs » (tous repris dans J’enfonce le clou). Et bien sûr tous les tracts.

Inutile d’ajouter que ce que Nabe aura apporté à l’histoire du pamphlet, en dehors d’une langue hyper crue et dévastatrice, c’est une musicalité qui ne doit rien à la tradition de l’extrême-droite française pamphlétaire, mais au jazz le plus percussif. Enfin, sa drôlerie ne peut être que manifeste lorsqu'on constate par soi-même que Nabe est l’un des rares auteurs à avoir le pouvoir de faire éclater de rire plusieurs fois par page (voir par exemple L’Enculé, 2011).

La mémoire

Doté d’une mémoire « prodigieuse » (comme l’avait souligné Jacques Chancel interrogé par Frédéric Taddeï en 2011), et entrainée à cela par sa mère très tôt dans son enfance, Marc-Édouard Nabe ne s’y est pas complu. Elle lui sert avant tout d’arme dans son activité de serial-killer mémorial et littéraire, mais aussi dans son travail de sauveteur de tout un tas de scènes, souvenirs, paroles, informations qu'il est hors de question pour lui d’oublier.

Ainsi, grâce à sa mémoire, le lecteur pourra aussi bien relire des tirades du professeur Choron que des anecdotes de Sam Woodyard sur Duke Ellington, ou encore « réentendre » des dialogues avec Philippe Sollers, sans oublier des scènes érotiques parfaitement détaillées de sa propre existence... Bien d’autres choses encore, de l’aventure de L’Idiot international racontée quasi journalièrement dans Kamikaze à des épisodes familiaux (de sa propre famille, mais aussi d'autres) seront à jamais consignées grâce à la mémoire de l’auteur aussi bien dans ses journaux intimes qu’au détour d’un pamphlet, d’un article ou même d’un poème. Il faut donc être très attentif aux textes toujours informés et précis de Nabe qui serviront plus tard à reconstituer la temporalité dont il aura été le contemporain et avec les personnes et les événements importants dont il a été le témoin. Quelques exemples : les récits que Lucette Destouches fait dans Lucette de sa vie avec Céline et leur traversée de l'Allemagne ou encore les détails sur Billie Holiday que Nabe avait recueillis du pianiste Mal Waldron et qui se retrouvent, « incognito », dans L’Âme de Billie Holiday. Sans négliger les « cancans » sur le Show-Biz, tous exacts, de Gérald, patron du club Le Mathis, et que le narrateur fait parler dans L’Homme qui arrêta d’écrire.

Sur le thème même de la mémoire, en tant que moteur romanesque, on peut renvoyer le lecteur au « trou » qui a changé le destin du narrateur de Je suis mort ou à l'effort mémoriel que celui de Alain Zannini doit faire pour se rappeler son journal intime volé à Patmos.

La peinture

Avec la musique, la peinture fut le premier art pratiqué par Nabe dès sa plus tendre enfance. Son don pour le dessin, repéré immédiatement par son père, a été évidement encouragé par celui-ci, puis par le dessinateur Siné. Le portrait a été un des premiers genres picturaux qu’il a abordé, puisqu’on en a retrouvés de son père, de sa mère, de sa grand-mère, exécutés à l'âge de 5 ans, et tous caractérisés par une expressivité et une ressemblance qui ne se démentiront pas dans l’expressionnisme futur des portraits d’écrivains, de jazzmen, et d’autres différents héros qu’il multipliera par la suite... Projetant d’abord (à l’âge de 12 ans) de devenir dessinateur de bandes dessinées, puis à 15 dessinateur d’humour, Nabe ne se mettra vraiment à la peinture à l’huile qu’à l’âge de 16 ans. Les toiles feront place à de grandes gouaches puis à des pastels dans les années 1990 jusqu’à une pratique de matériaux mélangés ou divers sur différents supports qui nous donnent par exemple la dernière série en date : une cinquantaine de cow-boys au marker sur de tout petits formats (2019)... Grâce à sa proximité artistique flagrante avec Gen Paul, Nabe a connu sa veuve, ainsi que beaucoup de ses amis. Parmi ses contemporains, Nabe a été proche de François Boisrond (de sa génération) pour qui il a écrit un texte (voir Le courage de la fraîcheur dans les Textes non repris en volume).

Dans l’œuvre littéraire, évidemment, la peinture et ses nombreuses questions, est très présente tout le temps. Nabe en connaît toute l’Histoire, de la statuaire grecque antique à Maurizio Catelan. Les « portraits », écrits cette fois, des peintres phares de Nabe sont pléthore dans ses livres : de Picasso à Basquiat, en passant par Soutine, Duchamp, Modigliani, Juan Gris, Dominguez, Pascin, etc. Dans son journal notamment, de nombreuses pages sont là pour parler des peintres et décrire leurs tableaux.

Sans oublier son livre majeur sur la question, Le Bonheur (1988), qui est carrément l’histoire d’un peintre, Andréa de Bocumar, et où énormément de sujets picturaux sur l’art classique comme contemporain circulent (un blog recense toutes les œuvres citées) et même sont mis en scène (voir les chapitres sur Le Carré noir de Malévitch ou sur Les Ménines de Velasquez ou encore la conversation fictive entre des peintres de toutes époques dans une séance de spiritisme, et enfin la recherche de l'oreille coupée de Van Gogh...). Dans ce roman toujours, la fréquentation d’un maître italien connu par Nabe dans sa jeunesse, Orazio Orazi, y est transposée. On lira aussi l'admiration d’Andréa pour Édouard Pignon qui a valu à Nabe d’être reçu par le peintre lui-même après la publication du Bonheur, rencontre racontée bien sûr dans son journal intime Kamikaze (2000).

Comme pour le jazz, la peinture inspirera Nabe dans sa technique littéraire même. De Sollers et Hallier dès les années 80 jusqu’au plus récents admirateurs de cet aspect de la prose de Nabe, beaucoup ont été sensibles à sa picturalité : voir la crucifixion à la fin de L’Âge du Christ (1992), la décomposition du corps dans Je suis mort (1998) ou encore les paysages grecs d’Alain Zannini (2002), et les villes d'Istanbul dans Visage de Turc en pleurs (1992) et de Marseille dans Le Bonheur (1988)... Jusqu'aux Gilets jaunes d’Aux Rats des pâquerettes (2019), des descriptions physiques également d’innombrables personnages foisonnent dans la littérature de Nabe : voir celles de ses parents dans le Régal, de Françoise Verny dans Non, ou de Jean-Edern Hallier lui-même (voir la lecture que Jean-Louis Remilleux fait de son portrait), en passant par le chirurgien de papillons irakien dans Printemps de feu ou le Cheikh Yassine dans J’enfonce le clou, etc, etc, etc... Dessinateur en écriture, Nabe est aussi un peintre en ce sens qu'il utilise toute une palette de couleurs pour « rendre » aussi bien des cieux que de la végétation, des maisons et autres bâtiments, des costumes que des animaux...

Enfin, il est difficile, une fois qu'on les a lues, d'oublier les véritables « nus » que constituent les plastiques « décrites » par les mots de Nabe dans ses livres d’Hélène, de Diane, Laura, Delphine et des autres...

Le cinéma

Grand cinéphile depuis sa jeunesse, et remarqué plus tard par Claude Beylie et Claude Sautet, mais rejeté par Jean-Luc Godard (vexé par une longue analyse de Nabe sur ses films, « Godard le Suissidaire », repris dans Coups d’épée dans l’eau, 1999), Nabe ne cessera de chercher et de voir les films les plus rares de ses réalisateurs préférés : Pasolini, Murnau, Ozu, Kurosawa, de Sica, Dreyer, etc., etc.. Dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010), Nabe racontera la fermeture de la cinémathèque de Chaillot en 2005.

Nabe intègre le cinéma dès son journal intime qui commence en 1983, en racontant de mémoire les films qu’il vient de visionner. Le lecteur peut ainsi « voir » ou revoir des films de Rainer Werner Fassbinder, Sacha Guitry, Marcel L’Herbier ou Martin Scorsese. Dans les années 1990, Nabe écrit des articles dans la revue Première (repris en 1998 dans Oui et Non), grâce à Alain Kruger, avant de rédiger dans les années 2000, à l’initiative de Jean-François Rauger, quelques présentations de programmes de la Cinémathèque française : Julien Duvivier, Douglas Sirk, Dino Risi qu'il aura la chance de rencontrer à Rome. Mais Risi n’est pas le seul réalisateur que Nabe aura connu : par exemple, Maurice Pialat, en 2001, qui avait déjà fait l’objet de plusieurs textes nabiens (voir Oui et Non, publiés en 1998). À signaler également, parmi les acteurs que Nabe rencontrera ou côtoiera, Philippe Caubère, Fabrice Luchini, Benoît Poelvoorde, Hanna Schygulla, Ingrid Caven, Arletty... Les acteurs, Nabe les considère au même titre que les jazzmen improvisateurs, et retiendront en particulier toute son attention les grands seconds rôles du passé sur lesquels ses textes se multiplieront, dans Zigzags (1986) notamment (« Trombones », « Le burlesque et la mort », « Laurel/Hardy »). Il lui arrivera même de faire « interpréter » le rôle de personnages de ses romans par de grands admirés (Michel Simon, Jules Berry, Le Vigan...) : par exemple, dans Le Bonheur (1988) Noël Teyaf est « joué » par Saturnin Fabre... A noter, une retranscription plan par plan de À propos de Nice de Jean Vigo se trouve dans le même livre... Et dans Oui, on trouvera d'autres personnalités du cinéma analysés (« Soupe aux anars » sur les Marx Brothers, « Clouzot est un génie »).

Nabe ne se contente pas de parler du cinéma (muet ou sonore) dans ses livres, il emprunte également des techniques de tournage et de montage cinématographique dans plusieurs de ses romans, notamment Lucette, paru en 1995. Le livre raconte la relation entre la veuve de Louis-Ferdinand Céline, Lucette Destouches, et l’acteur et réalisateur Jean-François Stévenin, qui envisage d’adapter Nord au cinéma. Le film qui ne se fait pas dans le livre est parsemé de citations visuelles, de John Cassavetes en particulier (voir interview Jean-Jacques Schuhl).

Avec la série des Éclats de Nabe, David Vesper co-réalise et co-monte avec Marc-Édouard Nabe chaque épisode : ces mini-courts-métrages tournés spontanément dans sa galerie (2015 - 2017), sans aucune technique et en vidéo, sont aux franges du documentaire pour témoigner d’un artiste filmé en direct en en pleine action dans son univers. Certains amateurs de cinéma ont pu rapprocher les Éclats, toutes proportions gardées, des œuvres de Jean Rouch, Robert Flaherty ou Jean Eustache.

La galerie n’est pas seulement un décor de « cinéma » où se tournent des saynètes en vue de futurs « Éclats », mais une salle de projection improvisée où sur l’écran, dont se sert Nabe et son équipe pour projeter le texte du premier tome des Porcs en correction, sont diffusés irrégulièrement et à la demande de chacun des films tirés de la collection personnelle de Nabe. Des Fassbinder, des Sirk, des Murnau, des Pasolini, des Kazan, des Pialat, des Clouzot, des Dreyer sont ainsi offerts à tous, de préférence aux inconnus qui passent dans la rue, et les séances ont lieu à des heures peu communes.

Les médias

Nabe s’intéresse tôt aux médias, en particulier à la télévision, profitant de la notoriété de son père pour en fréquenter les coulisses dès son plus jeune âge. Sa première intervention médiatique a été radiophonique à l’âge de 11 ans. Dans son journal intime, il analyse les prestations télévisées des autres écrivains. Avant la publication d’Au régal des vermines, il est invité grâce à Catherine Sinet chez Michel Polac à Droit de Réponse en 1984, mais c’est évidemment son fameux passage à Apostrophes, le 15 février 1985, qui a marqué la carrière et la réputation du jeune écrivain, bien plus que son premier livre qu’il présentait.

C’est dans Le Bonheur (1988) que Nabe inaugure son travail effectif sur le matériau littéraire que constituent les médias. Par exemple, plusieurs chapitres couvrent une émission de radio et toute la fin du livre transpose une émission littéraire à la télévision. D'une manière générale, la plupart des figures médiatiques de notre époque apparaissent dans l'œuvre de Nabe, que ce soit par le biais de l’analyse ou, directement, par celui des interviewes, toutes retranscrites dans Coups d’épée dans l’eau (1999). Ainsi, Jacques Chancel, Thierry Ardisson, Frédéric Taddeï, Michel Polac, Laurent Ruquier, Pierre Bouteiller, Philippe Bouvard, Michel Drucker, etc., deviennent, et souvent malgré eux, des personnages « nabiens ». Dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) on lira une scène emblématique de l’état de de la presse puisque Nabe y imagine un dernier journal rédigé par tous les grands pontes du journalisme contemporain réconciliés (Edwy Plenel, Franz-Olivier Giesbert, Serge July, Jean-François Kahn, etc.).

Quant à sa participation personnelle dans les journaux, Nabe a publié ses premiers articles dans la gazette satirique Vertiges des lettres (1984), pour donner les derniers dans Paris Match (1997), mais c'est surtout dans L’Idiot international (1989 - 1990) qu'il se distinguera. Après des dizaines d'interventions pamphlétaires, Nabe publiera dans le dernier numéro de L'Idiot où il écrira un long pamphlet sur l’univers médiatique, « Rideau », qu’il augmente et publie aux Éditions du Rocher en 1992. Vu la virulence de ses articles, Nabe devra ensuite lui-même créer ses supports (L’Éternité, La Vérité...), aucun journal, même « audacieux », n’ayant eu le goût ni le courage de lui donner la moindre tribune en 35 ans.

Dans Les Porcs (2017), Nabe décrit minutieusement des extraits d’émissions (qu’il y soit présent ou pas) et détaille le mécanisme des médias traditionnels, ainsi que leur adaptation à la nouveauté d’Internet dont Nabe sera un des premiers écrivains à se servir aussi bien techniquement que sociologiquement dans la peinture qu’il fait de son époque.

Enfin, dans sa « gazette numérique », Nabe’s News, son nouveau « média », Nabe créé une rubrique « Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! », qui reprend des extraits d’émission de télévision (sans commentaire ni chapô). Dans le numéro 23 (15 décembre 2019), un pamphlet non signé contre Laurent Ruquier et Catherine Barma revient sur la déclaration de l'animateur de France 2 se félicitant que Nabe soit « désormais quasi interdit sur tous les plateaux télé depuis des années, à juste raison, je trouve. »

L’orient

Les origines gréco-turques de son père ont influencé Nabe qui effectue un voyage en Turquie en octobre 1988 raconté sous la forme d’un récit (Visage de Turc en pleurs, en 1992) et dans son journal intime, Kamikaze, paru en 2000. En 1991, il se rend en Israël, mais pour des raisons religieuses (voir L’Âge du Christ qui raconte en 1992 la première communion de Nabe à Jéusalem, puis en 2017, Patience 3 révèle l'intégralité du voyage en Terre sainte).

Dans les années 1990, Nabe approfondit sa connaissance de l'Orient par l'étude du mystique Hallaj et des écrits de l'islamologue Louis Massignon sur lequel il écrit un long texte « Et Massignon s’offrit à la chaise » repris dans Oui (1998). Les attentats du 11-Septembre inspirent à Nabe ce que l’on peut appeler une « trilogie arabe » : Une lueur d’espoir (2001), Printemps de feu (2003), J’enfonce le clou (2004), qui abordent chacun les questions géopolitiques du Proche-Orient sous des formes littéraires différentes (pamphlet, roman, articles). L’écrivain revient longuement sur ces sujets (terrorisme, guerre en Irak, figures de Saddam Hussein, Nasrallah, Zarqaoui, Ben Laden, Tariq Ramadan...) dans Les Porcs (premier tome paru en 2017) et dans ses différents numéros de Patiencel’émergence de Daesh, aussi bien que les attentats de Charlie Hebdo, sont longuement analysés.

Nabe a également intégré l'Orient dans sa production picturale. En 1992, il expose ses « Turqueries », une sélection de tableaux inspirés par son voyage en Turquie en 1988, (voir vernissage dans Nabe’s News). En 2009, c'est à l'Office du tourisme du Liban à Paris que Nabe ouvre une nouvelle exposition intitulée « Les Orients de Nabe », composée de tableaux essentiellement réalisés dans les années 2000 où l’on trouve des pères portant les cadavres de leurs enfants après les bombardements à Cana ainsi que des petits Palestiniens phosphorés par Tsahal ou encore des vues d’immeubles bombardés à Beyrouth. Ainsi, en peinture aussi bien qu’en l’écriture, Nabe prend des positions clairement politiques sur l’univers oriental. Mais aussi poétiques : l'île de Patmos et la campagne d’Ephèse dans Alain Zannini (2002). Et même érotiques : les fantasmes autour de Nada dans Inch’Allah (1996), l'amour avec « Shéhérazade » dans Printemps de feu (2003) ou l'aventure avec Samia dans Les Porcs (2017).

La famille

Fils unique, Nabe a développé un rapport particulier à la famille qu’il intègre dans sa littérature dès Au régal des vermines (1985) où ses parents (Marcel et Suzanne Zannini) sont portraiturés. Dans son œuvre, ils seront en permanence présents par leurs personnalités, leurs dialogues et péripéties racontées dans le détail, y compris dans leur vie « ante-Nabe », pourrait-on dire, Nabe estimant qu'un écrivain se doit d'en savoir le plus possible sur ses pro-créateurs, et de le révéler. Les « Zanine », comme il les appelle, sont mis en scène ou transposés dans différents romans qui complètent le Journal Intime. Citons Le Bonheur (1988) où le père est un clown qui souffre de ne pas faire rire son fils ou dans Je suis mort (1998) un sculpteur aveugle qui se croit artiste abstrait alors qu'il produit des œuvres figuratives... La mère, quant à elle, se retrouve dans un bar de prostituées dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) ou bien à déposer une lettre sur la tombe de son fils suicidé dans Je suis mort (1998)...

Le Bonheur (1988) contient aussi quelques scènes avec la tante Odette et la grand-mère Paraskevi de Nabe, ainsi que des souvenirs personnels de l'auteur à Marseille (voir le chapitre « Les crachats de la petite-enfance »). La belle-famille ardennaise de Nabe est également présente (frère, sœurs, neveu et mère d’Hélène) dans le journal intime et dans Alain Zannini (2002) où la figure biblique du père Hottiaux (que Nabe n'a pas connu dans la « vraie vie ») provoque un déluge.

Quant aux enfants et à l’enfance en général, ils ont une place douloureuse et toujours émouvante (voir « Le Pavillon des enfants », « Sec et bouleversant » dans Alain Zannini). Pollux, le petit cousin dans Le Bonheur (1988) ou la petite fille de Nafitassou dans L’Enculé (2011) sont des personnages notables. Ainsi qu'Iris, sa nièce, dans Alain Zannini (2002) et le fils et la fille de Stévenin, Robinson et Salomé, dans Lucette (1995). Enfin, sur les enfants, difficile de passer sous silence « Ronde d'enfants morts » dans Zigzags (1986) et plusieurs passages de L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) où l'on voit des jeux d'enfants dans un bac à sable prendre des dimensions autant homériques que la lapidation du narrateur par de petits Roumains sur les Champs-Elysées à coups de macarons Ladurée.

Alexandre, fils de Nabe, est bien sûr présent, avant tous les autres, dans la littérature de son père : naissance dans Kamikaze (2000), premières semaines dans Alain Zannini (2002), enfance dans Je suis mort (1998), adolescence dans L’Homme qui arrêta d’écrire (2010) et le premier tome des Porcs (2017).

Les voyages

Les origines de Nabe, surtout paternelles, lui ont inspiré plusieurs voyages : en Turquie en 1988 (raconté dans Visage de Turc en pleurs en 1992, puis dans Kamikaze en 2000), et en Grèce (Alain Zannini, 2002). Mais Nabe a rapporté aussi de nombreuses pages sur l’Italie, le Liban, la Syrie, l’Irak, la Mauritanie, le Sénégal, le Maroc, la Sicile, la Norvège, la Tunisie, la Corse, la Hollande, la Belgique, la Suisse, etc, dans différents livres parus ou à paraître...

Plus qu'un voyageur, Nabe se définit plutôt comme un pèlerin, souvent sur les lieux de vie d’écrivains et d’artistes ou sur ceux d'événements historiques. En particulier, des villes. Gênes et Nice, celles de Friedrich Nietzsche, sont dans Zigzags en 1986 (« Extases génoises ») et Le Bonheur (1988). Pour connaître le sentiment de Nabe sur Oradour-Sur-Glane, il faut le lire dans Kamikaze (2000), et celui sur Beyrouth dans J’enfonce le clou (2004). Visites mystiques également, comme à La Salette deux fois, voir Nabe’s Dream (1991) et Alain Zannini (2002), et Lisieux (Alain Zannini encore). D'autres font l’objet d’essais poétiques comme Dakar (« Dakar en levrette ») et Pise (« La Tour de Pise ») dans Zigzags (1986). Nabe a écrit sur Tanger pour une revue d’architecture, Le Visiteur, dans un texte « Gran Teatro Cervantes » repris dans Oui (1998).

N'oublions pas la notion très importante d’exil chez Nabe, plus que celle de nomadisme, et qu'il a pratiquée à trois reprises. Premier exil de 7 mois à Patmos en 2000-2001, deuxième à Aix-en-Provence pendant deux ans (2012-2014). Enfin, troisième exil à Lausanne (depuis 2018). Ce qui ne l’a pas empêché d'écrire toute sa vie sur Paris, et même sur un de ses arrondissements : voir « Le Huitième ciel » (conférence prononcée aux Invalides, le 19 novembre 2004).

L’écrivain n’hésite jamais à se déplacer sur le terrain de ce qu'il a à vivre et à écrire : pour faire sa première communion à Jérusalem en décembre 1991 (L’Âge du Christ en 1992, Patience 3 en 2017), pendant les bombardements américains à Bagdad (Printemps de feu en 2003), sur les traces des révolutions arabes en Tunisie (avril 2011), ou bien encore à Auschwitz en octobre 2012 (Patience 3 en 2017)...

Les romans ne sont pas en reste puisque Le Bonheur (1988) est tout entier l'histoire d'un voyage raté (et empêché) en Italie qui permettra au lecteur de « visiter » Marseille, Arles, et Fontfroide notamment. Autre voyage « raté », celui à New York avec son père et son fils que Nabe aurait pu faire et auquel il en intègre un à Venise avec Laure qu'il a fait celui-là, alors que le narrateur du roman se rend à Éphèse (Alain Zannini, 2002).