Vincent Van Gogh

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Vincent Van Gogh, de dos, avec Émile Bernard, en 1886

Vincent Van Gogh est un peintre né le 30 mars 1853 à Groot-Zundert (Pays-Bas) et mort le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise (France).

Liens avec Marc-Édouard Nabe

En 1988, Nabe publie son premier roman, Le Bonheur, dans lequel Van Gogh, et particulièrement son oreille coupée, tiennent une grande place :

 « Il s’éventait à coups de chapeau. Il s’épongeait le cou avec un bout de son chou noir.
— Le Bocaal !
— Le Bocaal ?
— Le Bocaal.
Quelle apparition ! Effectivement ! Sur le piano ! Noël avait dit vrai. La main dans la main, à pas de loup les deux s’approchèrent. Pas plus gros qu’un métronome. Andréa même tendit l’oreille pour écouter si ça faisait tic-tac...
Athénée ne s’étonna pas que, van goghomane comme il était, le chevalier Andréa de Bocumar se prosternât, coudes et genoux à terre, devant le piano, la lyre au-dessus de sa tête en auréole de Damoclès... Son gant de bande se défit un peu, un ruban de gaze pendouillait. Du sang se mit à couler lorsqu’il esquissa le geste de soulever le voile, il commençait à en foutre partout. Athénée d’un coup sac ôta le mouchoir rouge qui cachait le saint bocal.
Ça ressemblait à un bocal à cornichons. Avec le clapet et tout. A l’intérieur flottait oui flottait dans un liquide pâle, une oreille de belle dimension, assez rose. La luminosité que diffusait le bocaal était majestueuse. Nimbé de cette clarté surnaturelle et d’un souffle brûlant, Andréa pensait à ce qu’avaient dit les témoins des toiles de Vincent à peine achevées : elles ont beaucoup perdu de lumière : un champ ou un verger encore frais, cru comme de la viande d’or saignante, envoyait une éblouissance si formidable que faire face à un Van Gogh c’était regarder le soleil dans les yeux.
La Sainte-Oreille semblait les observer. Les deux pigeons, là, les visages déformés par la concavité du verre.
— La voilà donc ! L’oreille de l’homme coupé du monde... Cette oreille qui a dû en entendre des épouvantables horreurs ! Un vase d’ignominies, de ricanements, de mépris.[1] »

En mars 1988, Nabe se rend à Auvers-sur-Oise et dépose un portrait de Van Gogh par lui sur la tombe du peintre hollandais[2] :

« Nous allons à l’église. Là c’est encore plus fort. Par-derrière, il l’a prise, Vincent. Je découvre l’exact angle d’où il a peint ce gros bijou beige splendidement intact. Dans la montée, à vingt mètres de la coupe classée, je fais une croix à la craie sur le mur où il a dû s’adosser pour peindre sa toile, mieux protégé ainsi du vent. Hélas, l’église est fermée ! Un dimanche à 11 h ! J’aurais tant voulu lécher les vitraux, m’agenouiller un peu... Un peu plus haut, le cimetière. Sur un plateau de champs tristes. Vincent n’a rien inventé. C’est ça qui est beau : quand la réalité ne dépasse pas la fiction, qu’elle ne bave pas hors de l’art... Il y a même les corbeaux pour qu’on ne ne s’y trompe pas. [...] Les tombes de Vincent et de Théo sont là, recouverte d’un édredon de lierre pour deux. Simples siamois pierreux, pour toujours, pour le pire et le meilleur. La locomotive à peindre et celui qui mettait le charbon dedans. Malgré la pluie, j’arrive à dessiner, en m’appuyant sur une tombe voisine, une tête de Van Gogh aux crayons de couleur que je dépose sur la tombe du suicidé de la société.[3] »

En 1991, dans L’Imbécile de Paris, Marc-Édouard Nabe publie un article sur Van Gogh, film réalisé par Maurice Pialat sur le peintre, avec Jacques Dutronc dans le rôle titre :

« L’intention de Pialat était excellente : casser l’image romanticarde de l’artiste pathétiquement maudit. Milos Forman avait bien essayé de dédiviniser Mozart ! Pialat veut montrer Van Gogh comme un peintre “normal” qui parle comme tout le monde, qui court le jupon, déconne et rêvasse : il n’a pas l’air très heureux mais les artistes sont si exigeants ! Un homme, quoi. Un homme à la Pialat, qui maltraite ses modèles comme le metteur en scène irascible sait, à coups de trique, sortir des acteurs le meilleur d’eux-mêmes (et surtout le meilleur de Pialat). Or, Van Gogh n’était pas un homme, quoi, encore moins un homme comme Maurice Pialat. C’était un martien jaune et sanguinolent qui faisait semblant de faire de la peinture pour oublier qu’il venait d’une autre planète. Si on appelle son film Van Gogh, il faut montrer ça. Sinon, on appelle ça Georges Dubois, artiste-peintre impressionniste méconnu.[4] »
Nabe devant l’autoportrait de Van Gogh à l’oreille coupée, Zurich, 2018

Citations

Nabe sur Van Gogh

  • « Ce n’est pas parce que Van Gogh était un génie que les Arlésiens l’ont rejeté, n’importe quel branleur mal rasé aux yeux de fou aurait fait l’affaire. La différence c’est que la grande beauté picturale, à l’instar du jazz, touche n’importe qui. Ceux qui la haïssent comme ceux qui l’adorent : malgré la tête qui en défend l’entrée, l’âme est forcée. Les cochons mordent sous des déluges de confiture. Le swing des toiles de Vincent atteignait le cœur des hommes. À partir d’une certaine violence positive, l’art passe, il transperce la compacte nullité, il ne fait pas de détails. Charlie Parker, qu’il leur fasse du bien ou du mal, vise les oreilles, les oreilles de Dieu : il les coupe en morceaux ! Les “vertueux anthropophages” d’Arles qui jetaient des pierres à Vincent, les Arléchiens et Arleshyènes qui signèrent des pétitions pour le faire enfermer, ignoraient même que la haute note jaune de Van Gogh les faisait sonner. Leur propre richesse de réception — qu’importe si elle était le fruit de trafics de sentiments minables — les dépassait. Devant le saxo de “l’oiseau noir” ou à l’ombre du pinceau du “loup roux” tout le monde est pareil : châtiés par la force de la splendeur. Le chevalet de Vincent Van Gogh est une potence. Les Innocents y sont pendus pour leur apprendre à mieux balancer. » (Le Bonheur, 1988, pp. 301-302)
  • « Andréa posa sa palette et lut rapidement la notule de L’Aurore. Ça concernait Van Gogh. Un Japonais avait acheté à Londres un Tournesol pour l’impudique somme de 22 milliards de centimes. En moins de cinq minutes, la toile éblouissante est partie. Son prix la dora comme si elle ne brillait pas assez. Andréa voyait jaune. Se révolter contre l’entité bourgeoise de toute éternité crucificatrice de l’artiste martyr est un lieu commun du cœur. C’est ça le plus affreux : qu’une vérité soit presque si classique dans son énormité que plus personne n’en soit touché. Van Gogh n’était peut-être pas le cocu de ses Tournesols : ils ne l’avaient pas forcément trompé avec l’avenir nippon. Et si cette gifle donnée à Vincent-le-raté, c’était le Vincent-qui-a-réussi, le Van Gogh intouchable de notre siècle qui la recevait sur le trottoir du passé en se faisant payer si cher la passe ? Pour certains, les 22 milliards sont un hommage, posthume mais un hommage quand même, que la bourgeoisie non voyante dépose à tâtons aux pieds du Saint-Hollandais... Le Temps, finalement, n’est-il pas le seul et unique salaud de l’histoire ? Le Temps qui attend son heure. Le Temps qui a droit de vie et d’or sur l’artiste mort. Le Temps sait de l’argent tout ce qu’il faut en savoir : voilà tout. Ne vengeait-il pas Vincent sans lui demander son avis ? » (Le Bonheur, 1988, pp. 480-481)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Chapitre XVII « Les tongs », Le Bonheur, Denoël, 1988, pp. 300-301.
  2. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, pp. 2496-2498.
  3. Marc-Édouard Nabe, Inch’Allah, Éditions du Rocher, 1996, p. 2497.
  4. Marc-Édouard Nabe, « Le mauvais Pialat », L’Imbécile de Paris n°5, décembre 1991.