Reiser

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Reiser interviewé par Yves Mourousi, 15 janvier 1979, TF1

Jean-Marc Reiser est un dessinateur né le 13 avril 1941 à Réhon et mort le 5 novembre 1983 à Paris.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Le jeune Nabe en herbe rencontre Reiser à l’automne 1974, au moment où le futur auteur de Patience 2 était venu proposer ses dessins d’humour à Hara-Kiri. Le contact entre celui qui n’était pas encore un mythe du dessin et de l’humour (Reiser mourra d’un cancer à l’âge de 42 ans) et l’adolescent qui ne pensait pas encore être écrivain, mais « dessinateur humoristique », se fit immédiatement. Une entente faite d’admiration réciproque (Reiser louait l’art consommé de Nabe pour la couleur) et de connivence sarcastique et artistique réunira les deux anarchistes. Quelques temps plus tard, en 1975, à la pendaison de crémaillère de la nouvelle maison de Siné, Reiser fera même la connaissance de Suzanne, la mère de Nabe, qu’il appellera « Madame Nabe ». Déjà admirateur du dessinateur quand il sévissait à Pilote, mais surtout évidemment à Hara-Kiri, puis à Hara-Kiri Hebdo, puis à Charlie Hebdo, Nabe appréciera, en dehors du trait de Reiser qu’il vantera à plusieurs reprises dans ses livres, l’apolitisme chevronné de l’auteur du Gros Dégueulasse et de la Vie au grand air, contrairement à la plupart des autres membres de l’équipe (Wolinski, Cavanna, et même Gébé) qui, eux, auront toujours des scrupules gauchistes à se moquer des « ouvriers » et autres esclaves plus ou moins volontaires du capitalisme. La fameuse page de Reiser sur la CGT, qui fut mal reçue au sein même de Charlie Hebdo, était une des choses qui réjouissait le plus Nabe.

Ayant côtoyé plusieurs fois Reiser lors des bouclages de Charlie Hebdo en 1975, Nabe ne le retrouvera que 8 ans plus tard, alors qu’il revenait rue des Trois-Portes revoir ses anciens mentors. Devenu désormais écrivain postulant, Nabe ne fut pas reconnu tout de suite par Reiser qui avait toujours dans l'œil l’ado Zannini encore puceau (on connaît la célèbre formule) transformé en vingtenaire pamphlétaire aux dents longues, et accompagné d’une muse splendide (Hélène). Toujours en 1983, Reiser, devant succomber rapidement à la maladie, et juste avant d’être complètement récupéré par la presse et l’idéologie mitterrandienne, n’aura donc pas assisté à l’éclosion d’Au régal des vermines et Nabe n’est pas le seul à le regretter...

À part dans son journal intime, où Reiser apparaît à plusieurs reprises, c’est au moment des attentats à Charlie Hebdo par les frères Kouachi, et dans l’énorme travail journalistico-littéraire pour Patience 2 (2015), que Nabe reviendra sur la liberté, la rage et la justesse de Reiser. Dans un passage, il compare la façon dont Reiser, poussé par Choron pour dessiner les meilleures couvertures de Charlie, réglait, dès le milieu des années 1970, le problème du monde occidental avec le monde arabe, et celle par laquelle, plus tard, Cabu-le-médiocre humiliera les immigrés sous prétexte de laïcité anti-terroriste :

Citations

Reiser sur Nabe

  • « Tu es seul dessinateur d’Hara-Kiri puceau ! » (1975)

Nabe sur Reiser

  • « Dimanche 6 novembre [1983]. — Reiser est mort, bien évidemment. Le cancer galopant. J’ai vu la gueule de Wolinski à la télé, il n’en menait pas large. Reiser aura été le premier à mourir avant d’être démodé : ils ne savent pas ce que les attend les autres Charlies !… Peu à peu tous seront récupérés. Toute la presse bourgeoise a déjà crié au génie de Reiser. Ce sont les vieilles dames de Faizant qui aujourd’hui apprécient les dessins de Reiser ! Un jour, je parlerai du Reiser que j’ai connu, en 1975, avant qu’il fasse du Brétécher viril… Je le revois, avec sa barbe satanique, me demander pourquoi j’avais arrêté le dessin d’humour, et moi lui répondant : “Et toi, pourquoi tu continues ?” » (Nabe’s Dream, 1991, p. 158)
  • « Mardi 28 août [1984]. — [...] Gébé me parle de la veuve de Reiser et me montre son dernier album Fous d’amour. De bonnes choses mais surtout un chef-d’œuvre du dessin humoristique, le dernier du recueil, intitulé Le Pont des soupirs : deux amants qui ronflent au bord du lit, et du gland de l’un au trou de l’autre, un “pont” de sperme… Quel raccourci génial ! Je montre, enthousiasmé, ce dessin à tout le monde… » (Nabe’s Dream, 1991, p. 581)
  • « Vendredi 23 novembre [1984]. — […] Voici venir l’horreur du cadrage froid, les bourgeois indifférents qui ont autre chose à faire que de se laisser épater, les types sinistres qui calculent les pourcentages du P.I.B. et les inflations du pouvoir d’achat. Que peut un dessin de Reiser contre un informaticien supérieur appliqué ?… » (Nabe’s Dream, 1991, p. 707)
  • « Lundi 28 janvier [1985]. — […] Je lis, sur les épreuves que m’a confiées Barrault, le prochain livre de Sylvie Caster Nel est mort ; il s’agit d’un “poème” de réflexions sur la mort de Reiser. Textes à clefs, où Choron est “Tomatis”, Wolinski “Tyron”, etc. C’est assez mélo et ça se veut “hommage” : la Caster décrit — trop peu – la déclichette de Charlie et si la figure de Tomatis n’est pas trop égratignée, c’est celle de la femme de Reiser qui en prend un sale coup : veuve quasi joyeuse très à l’aise dans le cocktail donné en l’honneur du cadavre. Dommage qu’on puisse croire à une jalousie de femelles. Car Caster en mouillait pour Reiser. C’est un petit livre assez poncif sur la mort. Le meilleur passage est celui où elle évoque l’angoisse de Reiser à se savoir très bon dans un art mineur. Ça fait plaisir de constater que, encore une fois, sur cette question de “bandes dessinées”, j’ai raison. Les quelques conversations que j’ai eues avec Reiser il y a dix ans me reviennent bien, rue des Trois-Portes, et chez Siné à Parmain… » (Nabe’s Dream, 1991, p. 795)
  • « [Sur l’affaire DSK] On imagine ce que Reiser, qui n’était que griffes dehors, aurait dessiné là comme chefs-­d’œuvre !... La ­Nafissatou ­Diallo ­de ­Reiser, ­on ­la ­voyait ­déjà... » (Patience 2, 2015, p. 78)
  • « Reiser le disait déjà, à Apostrophes, en 1981 : “Moi je­ me­ méfie­ de­ l’engagement­ politique,­ surtout­ pour­ un­ artiste. Je crois que la grande dignité pour un artiste, c’est d’être libre en toutes circonstances... Surtout vis-à-­vis du système communiste. J’ai fait quand même quelques voyages dans les pays de l’Est et j’avais pas très bien compris. J’ai compris après : la situation des artistes dans les pays de l’Est, à condition bien sûr d’être d’accord avec le ­gouvernement,­ est ­extrêmement ­confortable, ­infiniment­ plus confortable qu’elle ne l’est ici. Un artiste sera adulé jusqu’à ­la ­fin ­de ­ses ­jours, ­alors ­qu’ici ­il ­suffit ­qu’il ­cesse­ de ­passer ­dans ­les ­radios, ­dans ­les ­télés,­ il ­suffit ­qu’on ­ne­ parle ­plus de lui, il ­suffit ­qu’il ­soit ­passé ­de ­mode ­pour ­qu’il­ se retrouve clochard. Tandis qu’eux là-­bas, pas du tout...” Que dirait-­il Reiser, aujourd’hui, s’il voyait que Charlie Hebdo vient de recevoir, malgré 145 écrivains américains hostiles (je ne savais pas qu’il existait autant d’Américains pas trop cons dans le monde...), le “prix du Courage” remis par le PEN club, à New York... Et avec comme représentants — accroche­-toi à ton cercueil, Reiser ! — Gérard Biard et Jean-­Baptiste Thoret ! Les deux minus sont venus faire les pingouins émus devant un gratin de connards endimanchés comme eux (Salman Rushdie, Paul Auster...). Thanks, suckers ! » (Patience 2, 2015, pp. 124-125)
  • « Quand Reiser faisait des unes sur les Arabes, même en reprenant les clichés racistes, il était lumineux. Et je ne parle ni de son humour, ni de son dessin qui à chaque fois était une œuvre d’art du niveau d’une aquarelle expressionniste... Trois exemples : quand Nasser meurt en 1970, Reiser fait un chameau en deuil avec une voilette et qui pleure. Ça ne réduit pas l’Égypte aux chameaux, mais ça n’occulte pas non plus le cliché que le beauf se fait de l’Arabe. Au contraire, ça­ l’affronte,­ et­ pour­ mieux­ dégager,­ clarifier­ le­ message­ politique, qui est de montrer l’amour que tout le peuple égyptien avait pour son Raïs, y compris les chameaux !... Ou alors, au moment de la crise du pétrole, avec en gros titre ­(à ­mon ­avis ­soufflé ­par Choron) ­:­ “­Assez déconné ! Quand est-ce qu’on va casser la gueule aux Arabes ?” qui est l’expression de ce que le beauf français pense, ce que le lecteur de Minute ou de Rivarol pense, mais qui est cassé instantanément par le dessin de Reiser montrant un Arabe rigolard dans le désert qui dit : “Chiche !” Ça c’est la véritable liberté d’expression ! Tout le monde a la liberté de s’exprimer sur une même une de Charlie : le raciste et l’Arabe ! Pas que le raciste... Ou mieux encore et un peu plus partisan (de la cause arabe, ce qui n’est jamais arrivé dans le nouveau Charlie Hebdo période Val-­Charb), toujours sur le pétrole : “Une nouvelle marque de pétrole algérien », et là on voit un Arabe mais d’ici, un ouvrier qui fait un bras d’honneur en tirant la langue et en criant : “ZOB !”, comme un logo de marque d’essence... » (Patience 2, 2015, p. 144)

Intégration littéraire

Notes et références