Pierre Drieu la Rochelle

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Pierre Drieu la Rochelle

Pierre Drieu la Rochelle est un écrivain né le 3 janvier 1893 et mort le 15 mars 1945 à Paris.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Des trois plus célèbres écrivains collaborationnistes maudits par l’Histoire, on sait que Nabe a jeté son dévolu sur Lucien Rebatet plutôt que sur Brasillach ou sur Drieu la Rochelle. Contrairement aux « néo-hussards » de sa génération, Patrick Besson et Éric Neuhoff en particulier, l’auteur d’Au régal des vermines, qui s’en explique dans ce livre même, n’a jamais été un « fan » de Drieu, en tout cas de ses livres, dont le style, la structure et les personnages lui ont toujours paru faibles et bourgeois, ce qui bien sûr n’a jamais été un jugement moral sur l’attitude politique de l’auteur de Gilles et des Chiens de paille

Nabe fut surtout attentif à ce que, pour lui, le Drieu essayiste avait écrit de mieux, c’est-à-dire sur la littérature et la peinture. Par exemple, son texte sur Soutine, « Soutine », écrase tous les autres, mêmes ceux de Maurice Sachs et d’Élie Faure… Quant au meilleur roman de Drieu pour Nabe, il s’agit bien de son inachevé Les Mémoires de Dirk Raspe, transposition de la peinture et du destin de Van Gogh, et écrit dans une veine qui, si Drieu ne s’était pas tranché les siennes (en vérité, il a ouvert le gaz), aurait pu faire de lui le grand écrivain-artiste qu’il rêvait d’être. Rêveuse bourgeoisie...

Nabe est en outre certainement celui qui a goûté le mieux son Journal, ses récits, ses Notes pour comprendre le siècle et même ses projets (puisqu’il avait l’intention d’écrire un Pamphlet contre moi et mes amis), bref tout ce qui pouvait renseigner sur la personnalité, à la fois flamboyante et falote de ce grand fasciste connaisseur de femmes, mais qui devait hélas ne rester que comme un grand homme de lettres de son époque. Nabe aura l’occasion de parler de Drieu la Rochelle avec plusieurs personnes beaucoup plus admiratives que lui, à commencer avec Lucien Combelle qui était un des plus proches témoins de Drieu et qui ne s’économisa pas pour transmettre, lors de leurs rencontres, sa flamme à Nabe : « …Drieu qu’il aime tant qu’il me le ferait presque aimer[1] »

Grâce au célinien Marc Hanrez, qui dirigea le Cahier de l’Herne spécial Drieu, Nabe en connaîtra davantage sur le romancier de L’Homme à cheval. Hanrez présentera aussi Nabe à Julien Ervier, autre spécialiste de Drieu. Mais les « rochelliens » qui marqueront le plus Nabe seront Marie Balvet et Hubert Stérin, auteurs du Roman familial de Pierre Drieu la Rochelle (1990), rencontrés par hasard avec Marc Dachy dans un restaurant de Saint Germain et qui, tous deux charmés par la conversation astrologique de Nabe au sujet de Drieu, lui enverront peu après leur ouvrage. Ignorant que Balvet et Stérin formaient un couple capricornien qui s’était juré de s’aimer jusqu’à une mort volontaire, Nabe apprit avec une surprise peinée au milieu des années 1990 que Balvet et Stérin, à l’instar de Drieu la Rochelle lui-même, s’étaient suicidés l’un après l’autre.

Pour ce qui est de la présence de Drieu dans l’œuvre de Nabe, il met les choses au point dès le début avec un passage d’Au régal des vermines. D’autres choses suivront dans son Journal bien sûr. Mais aussi, il l’introduira dans une scène de Lucette (1995), racontant un fameux diner où Drieu était présent en 1944 avec Céline et Gen Paul, chez l’ambassadeur d’Allemagne, Otto Abetz. Dans la Jungle de Bernstein, sa préface-fleuve au Théâtre de l’auteur d’Israël, on retrouvera Drieu, d’abord dans un jugement positif sur l’auteur du Messager, puis dans une scène plus physique où en 1940 le directeur de la NRF et le dramaturge devenus ennemis se sont croisés…

En 2000, certains trouveront une parenté dans le traitement du thème de l’amitié dans Mon meilleur ami, publié par Nabe dans L’Infini n°70, et le fameux texte de Drieu la Rochelle sur son ami Jacques Rigaut le dadaïste suicidé : La valise vide (1923).

Citations

Nabe sur Drieu

  • « Jeudi 5 janvier [1984]. — Je feuillette un livre sur Drieu la Rochelle… Passionnant destin… J’ai toujours aimé ceux qui se trompent. Je les trouve émouvants parce que leur ridicule les tue. Il y a une énergie chez le vaincu, et quand il la met — comme on met un sexe — dans la morale, ça jouit ! Prendre la morale par-derrière, en désespoir de cause, c’est ce qu’on fait les collabos. Comment ne pourrais-je pas m’intéresser à cette question unique de l’intellectuel face au mal, moi qui ne bande pour que l’éthique et sa part maudite : l’esthétique ? » (Nabe's Dream, 1991, p. 209)
  • « Drieu est un peu plus puissant quand même. Drieu avec un “R” comme dans “Merdre” ! Drieu le Dieu, le romancier don-juanard, le roi du récit facho… Il est extrêmement surestimé Drieu : il sert de prétexte total à beaucoup de petits cons “républicains” de notre époque. Il est l’incarnation type de ce romantisme fasciste, cette “séduction” par la fragilité, l’angoisse, le complexe d’action, etc. Ça le rapproche des autres merdeux comme Malraux, Montherlant : le hasard seul l’a déporté dans l’autre camp (le bon) où il continue de briller de ses mille feux. Drieu fait beaucoup de mal, d’abord parce qu’il permet d’assouvir le fascisme surréaliste et romantique de tous les coupés qui n’ont pas les couilles de lire Céline ; et aussi parce que sa destinée de petit raté égaré, chien batifolant dans toutes les directions, renforce les ambitions des plus nuls d’entre eux. Bien accroché à l’actualité, “écrivain d’action”, on lui trouve toutes les excuses parce qu’ils ne comprennent pas, ces imbéciles, que n’importe quelle page d’Avec Doriot vaut n’importe quelle page de Gilles : l’écriture de Drieu, si pute, est là pareille, tout entière : les jeunes snobs dandys puants de la vieille droite bégueule choisissent soigneusement leurs transfusions. Dirk Raspe adore les Juifs ! Chez Drieu le fascisme est rivé, capricorniènement rivé même, à tout un complexe héroïco-séminal : je reconnais entre mille un fanatique de Drieu, celui qui ne veut voir que le “Grand écrivain”, mais qui en cachette approuve secrètement le Paumé si féminin : c’est toujours le jeune homme de bonne famille plein de cheveux propres et soyeux, faussement élégant et skieur de femmes, absorbé responsable, concerné par les problèmes du monde, extrêmement bourgeois d’âme et de cœur, anticosmique, anticélinien, le droitier type, dans toute sa splendeur nostalgique… Ils ne sont pas trois parmi les milliers de “rochelliens” à regarder en face le Déat qui sommeille en eux, tassé comme il est par la gloire du Suicidé Héroïque ! D’ailleurs, remarquez-le bien, personne ne lit Drieu la Rochelle parce qu’il est fasciste. Au contraire, tous les lecteurs de Drieu aiment Les Chiens de paille, malgré son fascisme, et pas à cause de lui, pour trouver justement ce qu’il y a de fasciste dans son écriture, ce que le fascisme fait à l’écriture. Si je tape un peu sur Brasillach et sur Drieu, c’est que leurs auréoles — toutes maudites qu’elles soient — ont ébloui d’une certaine manière celle de Lucien Rebatet. » (Au régal des vermines, 2012 (1985), pp. 153-154)
  • « Mardi 14 mars 1989. — Dachy, avec qui je déjeune au Petit Saint Benoît, aborde et interroge un couple à côté de nous sur les sacs de livres qu’ils transportent. La femme lui répond : “Ce sont les premiers exemplaires d’un livre que nous venons de publier sur Drieu la Rochelle.” Marc les invite à notre table et nous passons notre repas à parler avec ces deux Capricorne qui ont travaillé sur ce Capricorne de Drieu. Avec moi, ça fait quatre ! Dachy ne fait pas le poids, même s’il connaît très bien l’éditeur de ces drieux-la-rochelliens. Je commence à leur parler de leur idole. Marc rigole de les voir éberlués par mes connaissances et mes vues “pertinentes” sur le célèbre fasciste… Ils arrivaient tranquillement déjeuner au Petit Saint Benoît et ils tombent sur un gros type qui connaît tout de l’édition et un autre, maigre, qui leur parle de Drieu la Rochelle (politiquement, littérairement, sexuellement) “comme personne ne leur en a parlé” (dixit Dachy) !
Drieu n’a pas l’hystérie de Rebatet ou la tantouzerie de Brasillach. On sent seulement tout ce qui lui a manqué. À la fois dur et mou et jamais mou ni dur. Curieux… C’est Rebatet qui rappelait l’avis de Gaston Gallimard sur les livres de Drieu “jamais réussis et toujours fascinants”. À part quelques pages de Gilles et des Mémoires de Dirk Raspe (je n’ai pas lu Les Chiens de paille), j’avoue que pour moi rien n’est bien “fascinant”. Une écriture sans art mais sans l’artifice de ne surtout pas faire “artiste” comme il y en a aujourd’hui (ça c’est bien), pas un grand sens du dialogue, des histoires à la mords-moi-la-mort, toujours dans la bourgerie la plus fade que relèvent quelques piments de dégoût, mais pas assez pour que ça arrache la gueule comme chez Bernstein par exemple… Non, décidément, Drieu ne me fait pas bander, même son fascisme, qui est bien sûr loin de me le rendre antipathique, n’a pas le panache et la rage attendus. On se demande où il a trouvé la force de se suicider. Dans sa faiblesse sans doute. C’est Borges qui dira que Drieu s’était fait fasciste par “paresse”. Idolâtre de l’humiliation, il vénérait la souillure : un peu comme un Jean Genet hétéro. Drieu avait une allure lymphatique de grand dandy nonchalant : physiquement il me rappelle Dominique Gaultier. La dégaine du chic chauve dans les blonds, avec la lenteur triste d’un fauve en instance de divorce avec lui-même… » (Kamikaze, 2000, p. 3136)
  • « Lundi 20 mars 1989. — […] J’ai reçu le livre sur Drieu par le couple de Capricorne rencontré la semaine dernière, et charmantement dédicacé :
À Marc-Édouard Nabe
En souvenir d’une rencontre de Capricorne et de Scorpion que la hasard a favorisée.
Marie Balvet.

À Marc-Édouard Nabe
Cette étude sur un Capricorne qui n’a pas toujours suivi la bonne étoile…
Hubert Stérin.
Voilà un livre pour rien ! C’en est presque pathétique… Il s’agit d’une “étude psycho-généalogique” illustrée, c’est-à-dire que Balvet et Stérin ont recherché toutes les racines de Drieu, sur plusieurs générations et des deux branches. Qu’est-ce que ça apporte de savoir qui sont les aïeuls du superbe fasciste ? Le paradoxe est dans l’iconographie, habituellement riche dans cette collection faite pour, et qui est ici totalement insignifiante. Rien d’inédit du tout. Même la photo de Drieu sur son lit de mort était connue… Certains de ces albums sont réussis (le Sacha, le Léautaud), d’autres ratés (le Céline, le Artaud), mais il fallait que le plus nul et plus raté soit consacré au personnage qui, au-delà de tout éloge ou de toute critique, inspire la nullité et le ratage : Pierre Drieu la Rochelle !
Drieu, c’est le King of Fiasco. Sa souffrance n’est pas une star. C’est peut-être celui qui s’en sort le moins bien aujourd’hui… Pour Céline, la cause est entendue, quoi qu’on en dise. Pour Brasillach, les années 80 (si collabos, si tantouzes elles-mêmes) ont une “faiblesse”, mais Drieu, lui, est resté sur le sable… Drieu avait une aura de tendre paumé dans les années 50, il l’a perdue depuis : à notre époque, dans le “milieu littéraire”, il n’y a plus que Bernard-Henri Lévy qui l’admire, même plus secrètement. Sans être récupéré, il n’est cité que par ses ennemis attendris, il les rassure sur leur manque de substance à eux.
Sa gueule floue, son expression de blessé qui voudrait être blessant, sa morgue de dandy défaitiste en font un anti-Malraux à l’usage des complexés qui voudraient être Malraux. Dès qu’un maso n’arrive pas à être Malraux, il sort son Drieu pour se prendre la température avec. Ah ! Elle est belle, la postérité de Drieu : servir de thermomètre dans le trou du cul des bourgeois dégénérés.
Drieu méritait-il mieux ? Seule sa lucidité parfaite sur lui-même (hélas, il n’a pas eu le temps d’écrire son Pamphlet contre moi-même et mes amis !) en fait une espère rare de grand écrivain, sans génie, sans talent, sans œuvre, mais un grand écrivain quand même. Et personne mieux que Drieu n’a démontré qu’être un “grand écrivain”, ça n’a aucun intérêt. » (Kamikaze, 2000, pp. 3143-3144)
  • « Ce soir de février 44, rue de Lille il y avait donc Céline, Gen Paul, Drieu La Rochelle et Jacques Benoist-Méchin qui a très bien narré l’épisode dans son journal. Comme toujours, Céline, d’abord, ne dit rien de tout le repas : il laissa parler Drieu, entweedé dans sa désillusion, dandy foutu monocordant sur la situation critique, cherchant en fait, à travers une épaisse jungle d’arguments chics, un bon prétexte pour, enfin, se suicider. Abetz l’écoutait tour à tour allumer et éteindre des lueurs d’espoir, lorsque Céline prit la parole, à la gorge, pour ne pas la lâcher. » (Lucette, 2012 (1995), pp. 325-326)
  • « Le sentiment de malaise n’a pas échappé aux contemporains dont le malaise tenait lieu de sentiment. En particulier, Drieu la Rochelle qui invitera Bernstein à la première de sa pièce Le Chef et qui se fend pour l’heure d’un bel article sur Le Messager dans La N.R.F. où il souligne la facilité bernsteinienne à montrer les jeunes gens de son temps craintifs devant les mots (il sait de quoi il parle). Drieu connaît la valeur haïssable du géant Bernstein. Il le voit comme un monstre, mi-orang-outang mi-Minotaure avec un cœur de mammouth… Il en a même peur, depuis que Bernstein s’est foutu de sa gueule à un dîner, trouvant grotesque le titre de son roman L’Homme couvert de femmes. Drieu n’avait rien trouvé à répondre à l’humiliateur juif. Plus tard, ils s’accrocheront encore et Bernstein, une fois de plus, aura le premier et le dernier mot. En attendant, Drieu — à la veille du fameux 6 février 1934 — est clair : Il faut suivre Bernstein de pièce en pièce, ne jamais le lâcher puisqu’il ne nous lâche pas. » (La jungle de Bernstein, 1997, pp. LIII-LIX)
  • « Avant de quitter le pays, Bernstein a un dernier mot à dire : il l’assène à Drieu la Rochelle dans le jardin des Tuileries, le 22 mai (C’est Drieu qui le raconte dans son journal). Le dandy fasciste croise le titan fébrile et c’est ce dernier qui lance à l’autre un sec Courage ! Drieu dit : Dans sa bouche de vieil histrion, cela me paraît insultant, et il se jette sur le juif sarcastique. Pugilat sur la pelouse. Comme un vieux voyou, Bernstein envoie des coups de pied dans le ventre du collabo susceptible. Souhaiter du courage à quelqu’un qui croit avoir “gagné” et qui se pavane dans son royaume est, de la part d’un sexagénaire persécuté, dont la tête (en énorme) sera bientôt “mise à prix” au Palais Berlitz, un acte de résistance, le premier sans doute venant d’un Français clairvoyant. » (La jungle de Bernstein, 1997, pp. LXIV-LXV)

Intégration littéraire

Portraits

Notes et références