Ornette Coleman

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Ornette Coleman

Ornette Coleman est un jazzman (saxophoniste, trompettiste, violoniste, compositeur) né le 9 mars 1930 à Fort Worth et mort le 11 juin 2015 à New York. Inventeur du « free jazz » par la sortie en 1960 de son album du même nom, aboutissement de ses recherches précédentes dans Something Else!, Tomorrow is the Question et The Shape of Jazz to come (1959).

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Passionné par Ornette Coleman depuis son enfance, le suivant dans toutes ses évolutions, connaissant par cœur la plupart de ses compositions, il était naturel que Marc-Édouard Nabe rencontre un jour le musicien. C’est le journaliste Alex Dutilh qui organise un dialogue entre les deux qui sera reproduit sur un « support faible » (comme les apprécie Nabe) : le prospectus-programme distribué pendant le festival de jazz de La Villette en juillet 1997, le dialogue étant découpé pour être publié sur plusieurs jours. Dans cette interview, Nabe ironise, avec la complicité d’Ornette, sur la prestation jugée ridicule par le grand musicien lui-même et à laquelle on l’avait forcé de se soumettre : la lecture par le philosophe Jacques Derrida sur scène d’un texte de lui accompagné par Ornette Coleman au saxo :

Ornette Coleman : Hier, on m’a fait rencontrer... Comment s’appelle-t-il ? Darlyda ?
Marc-Édouard Nabe : Dalida ?
O. C. : Non, Débrida !
M.-É. N. : Derrida ! Jacques Derrida, le « philosophe »...
O. C. : Oui, je lui ai fait remarquer que lorsque je regarde tous ces documentaires sur le racisme, à la télévision, de toute ma vie jamais je n’en ai vu sur les « Blancs primitifs ».
M.-É. N. : « White primitives » ? Moi je sais qui sont les Blancs primitifs, aujourd’hui !
O. C. : Ah oui ?
M.-É. N. : C’est Derrida, le Blanc primitif !
O. C. (Écroulé de rire)
M.-É. N. : Voilà un travers typique de cette société « cultivée ». Faire se rencontrer un grand musicien classiquement moderne et un intellectuel français amphigourique qui ne connaît rien au jazz ! Avec évidemment la volonté de servir moins l’artiste que celui que j’appelle « l’encultivé »... La fausse bonne idée de journaliste. C’est comme quand on vous compare à Godard, ça n’a aucun rapport. Pur snobisme de ceux qui amalgament à tire-larigot. Ils n’ont jamais écouté une note de vous ! Ils sont dans l’insensibilité, dans les faux semblants de la culture.
O. C. : C’est malheureusement pareil partout.
M.-É. N. : C’est idéologique et l’idéologie n’est pas vraiment harmolodique...
O. C. : C’est tout à fait ce que je pense.

Les sarcasmes conjoints de Nabe et Coleman seront très mal reçus par la presse bobo, par exemple par les Inrockuptibles fustigeant une fois de plus l'écrivain, et ici sa mauvaise influence anti-derridesque sur le jazzman.

Par ailleurs, Nabe a toujours écrit le plus possible sur Ornette Coleman dans ses journaux intimes et ses différents textes, notamment « Le dernier crieur de notes » dans Jazzman (encore à l'initiative d'Alex Dutilh).

En 2015, l’auteur de Patience 2 poussera même jusqu'à comparer les exécutions par la police des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly après leurs attentats, à Charlie Hebdo et à l’Hypercasher, à la musique entendue dans l’album d’Ornette Coleman, Free Jazz, où le quartet d’Ornette joue simultanément avec celui d‘Eric Dolphy en stéréo (1960) :

« Le GIGN contre les frères Kouachi en pleine campagne, et le RAID contre Coulibaly en plein Paris ! C’était comme si deux orchestres de jazz allaient jouer un même morceau en même temps... Ça a d’ailleurs existé ! C’est le célèbre disque manifeste Free Jazz avec les deux quartets croisés d’Ornette Coleman et d’Eric Dolphy ! Encore une résurgence de mes années 70, en ce début janvier 2015... Après Hara-Kiri, après Charlie Hebdo, le free jazz !... Juste avant que la nuit tombe, les deux solutions finales vont en effet exploser en même temps, dans le bruit, la fumée, les images fracturées, les coups de feu, les écorchures, les cris, les soubresauts, sur fond de néant propagé par les infos hoquetantes... Gargouillis étranglés de clarinette basse et rafales de saxos alto d’assaut ! Bâtons d’explosifs et baguettes de batterie ! Grenades et trompinettes à sourdine ! Breaks de kalachnikov ! Coups de feu et de cymbales sourdingues... Tout se désaccordera en une harmonie supérieure qui se dénouera dans la plus parfaite des confusions...[1] »

Citations

Ornette sur Nabe

  • « J’admire que vous sachiez exactement où vous en êtes. » (Interview avec Nabe, 24 juin 1997, repris dans « Ornettologie », Coups d’épée dans l’eau, 1999, p. 380)

Nabe sur Ornette

  • Lundi 1er octobre [1984] — [...] Ornette. Par trois fois on se fait refouler de la forteresse du Châtelet. Un gros videur m’a repéré, il me menace. Marcel, écœuré, décide d’abandonner au moment où nos trois silhouettes larmoyantes attendrissent un des caissiers. L’air entendu, il nous délivre des cartons d’invitation pour les premiers rangs. En deux minutes nous sommes devant le pyjama bleu d’Ornette, très beau, immobile, sans aucune ride, comme tout droit sorti d’une pochette des années 60. Il est entouré de deux trios. Deux fois une basse, une guitare, une batterie. (Il a toujours aimé les doublons.) Ils sont tous électrifiés. Le fils d’Ornette tient la batterie électronique. Un bassiste et un guitariste jouent sur des espèces de pelles à charbon, minuscules et très puissantes... Au bout de vingt-cinq secondes, j’ai compris : même Ornette est fini ! C’est presque émouvant de les voir s’agiter sur le cadavre d’un cadavre. Un free-jazz juste un peu binarisé, larsénisé, stérile et triste. Si seulement Ornette avait pu comprendre qu’avancer le ferait régresser, qu’à jouer une musique morte, autant swinguer comme au début, avec une rythmique valable sur ses si géniales compositions. Il sait qu’il n’est plus à la mode, que le free qu’il a inventé a terminé sa course ici, dans la parodie de ce que les larves ont fait d’Ornette Coleman. Pourquoi joue-t-il comme ses suiveurs dégénérés ? Puisque tout est démodé dans le jazz, écrasé par le rock et ses tonnes de merde, pourquoi ne pas rester dans son vrai passé, dans sa vieillerie authentique ? Ce n’est pas le free au goût du jour, mais le free au goût de la veille. Je comprends Marcel qui joue Rosetta depuis trente ans : le middle est son truc : pas de honte à ringardiser puisque même Miles est ringard. Le jazz est déjà ringard dans le monde d’aujourd’hui : ça met tous les styles à égalité. L’Âge de pierre n’est pas plus ridicule que la Belle Époque : c’est la grande leçon du XXe siècle. Prime time, il ose s’appeler l’orchestre d’Ornette ! Je ne peux même pas me raccrocher au son splendide de son alto, noyé dans les chats écorchés des cordes broussailleuses. Pas de morceaux, des riffs très enfantins comme les berceuses naïves de Miles, mais en plus sales. Un peu de violon, un peu de trompette et derrière des types piqués par des mouches d’ânes. Je ne suis pas sûr qu’il y a dix ans, j’aurais apprécié. Harmolodie ou pas, Ornette est pour moi le compositeur de l’alto déchirant qui swingue sans notes devant une rythmique d’acier... À la fin, seul bon moment : chaque musicien en solo total... Amusant juke-box d’Ornette junior à la batterie électronique. (J’imagine Sam dans une telle soucoupe !...) Puis un très beau numéro du mieux habillé des monstres : Jamaaladeen Tacuma, un bassiste en vert pistache, très à l’aise, plein de grands gestes gracieux, qui a joué dix minutes de “steinberger” : somptueuse intelligence. » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 624-625)
  • « En jouant, Ornette monte, il monte par spirales vers un maelström céleste où tous les bleus tourbillonnent très vite. Les nuages ont fait le vide autour de ce trou qui tourne. Chaque solo d’Ornette est une ascension risquée et joyeuse vers cet espace tournoyant. Une aspiration haletante à vriller un certain ciel du son. Il invente des airs, des débuts d’airs qu’il lance sans avoir l’air, un peu par désespoir, beaucoup par amour. Je connais peu de musique qui respire autant l’amour, un amour en pleine brûlure, incendié par la douleur d’être aimé, d’accord, mais pas autant qu’il aimerait. Ornette hurle d’aimer. Déchirant, mais aussi exaspérant, Ornette l’est. Comment ne pas être exaspérant ? La vie crispe les lyriques, elle leur en fait baver d’avoir un cœur insatiable qui semble ne jamais éponger assez de désirs. Une éponge d’amour, voilà ce qu’est le cœur d’Ornette Coleman, le dernier crieur de notes qui nous reste en cette fin de siècle pourrie. » (« Le dernier crieur de notes », Jazzman n°174, février 1993)
  • « C’est encore une question de temps. Sur le moment, on peut être idiot, car on est trop surpris. C’est un de vos grands mérites d’être le seul, depuis longtemps, à avoir réinventé l’imprévisibilité. C’est d’autant plus fort que vous êtes un compositeur. Quel paradoxe : le dernier grand compositeur du jazz reste le plus imprévisible ! Vous n’avez même plus besoin d’improviser ! C’est ça qui fait si peur aujourd’hui, et dans tous les domaines : être imprévisible, c’est-à-dire vivre dans la grâce de l’instant... » (Interview avec Nabe, 24 juin 1997, repris dans « Ornettologie », Coups d’épée dans l’eau, 1999, p. 378)

Intégration littéraire

Notes et références