Nabe's Dream

Sauter à la navigation Sauter à la recherche
Couverture de Nabe’s Dream, 1991

Nabe’s Dream est le premier tome du journal intime de Marc-Édouard Nabe, publié par les éditions du Rocher en mai 1991.

Résumé

Le livre s'ouvre le soir du 27 juin 1983, au moment de la fin de la rédaction de ce qui va devenir Au régal des vermines. Il se termine sur l'émission Apostrophes diffusée en direct sur Antenne 2 le 15 février 1985 et marquée par les propos polémiques de Marc-Édouard Nabe et son agression hors antenne de Marc-Édouard Nabe par Georges-Marc Benamou. Entre ces deux dates, on revit la vie du jeune l'écrivain, sa recherche d'un éditeur, sa rencontre avec Bernard Barrault et le travail de réécriture de son manuscrit. Les soirées à la rédaction du magazine Hara-Kiri avec laquelle Nabe a renoué permettent au lecteur d’assister à de grands moments avec le Professeur Choron et plus particulièrement de lire les retranscriptions de ses longues tirades délirantes.

Parallèlement, car Nabe a plusieurs vies parallèles, on le verra en famille et en privé avec sa femme Hélène, en visite chez son mentor Lindenmeyer à Barcelonnette ou bien au festival de jazz de Nice, ou encore en « maître de cérémonie » dans un nouveau club, le Twenty-One, où il se produira comme portraitiste en direct des musiciens engagés (Chet Baker, Kenny Clarke...), mais aussi chez Denoël aux prises avec les éditeurs Bourgadier et Sollers... Sans oublier d’assister à son évolution littéraire qui va de ses lectures d’Oscar Wilde et de Cervantès à celles du marquis de Sade, de Lucien Rebatet et de Jean Genet... La conception même du journal intime, telle que l’entend Nabe, permet au lecteur de suivre comme avec une caméra les déambulations d’un jeune homme en pleine autoformation dans le Paris des années 1980 au point d’avoir l’impression d’être avec lui lors de scènes aussi bien avec Jean-Pierre Léaud qu’avec Siné, Bertrand Tavernier ou Sam Woodyard, par exemple. La première prestation télévisée de Nabe, en tant qu’écrivain, chez Michel Polac en 1984, annonce celle d’Apostrophes, mythique, qui, pour la première fois est analysée par le principal personnage concerné, et clot ce premier tome...

Incipit

Lundi 27 juin [1983]. — Fin de Nabe’s Dream dans une délivrance plus grande encore que les atroces souffrances endurées depuis six mois de dactylographie, un an et demi de réaction, sept ans de brouillon et plus précisément vingt-quatre ans de fermentation ! Mille cinquante-six pages de vie vidée ! Une baleine au millimètre, un hippopotame d’horlogerie. Je n’arrive pas moi-même à réaliser. Je regarde, effaré, le parpaing.
Après-midi chez Francis Paudras dans son grand appartement magique rue de Douai. Il met à ma disposition sa photocopieuse dont je tire jusqu’à minuit le reste de mon ouvrage dans une ambiance de fatigue, d’exaltation et d’amitié inouïes. Tout le monde me regarde avec gentillesse manipuler les innombrables feuilles que j’extrais d’une grosse valise. Je reste à dîner puis à dormir dans une pièce bondée d’archives insoupçonnablement inestimable.

Mardi 28 juin [1983]. — J’achève la photocopie de mon livre. Avant de partie le porter chez un relieur, j’assiste à l’arrivée chez Francis du photographe Chenz que j’avais connu à Hara-Kiri. Il nous montre des photos renversantes de Bud Powell prises à Paris dans les années 60. Il y en a une particulièrement évanouissible, c'est celle où l’on voit Duke Ellington jouant de la batterie avec Bud appuyé sur son épaule. La syncope ne se fait pas attendre puisque avant mon départ, Francis nous passe un de plus beaux films que j’aurai vus dans ma vie : Stopforbud par Jorgen Leth, un Danois qui a suivi Bud dans une balade à Copenhague. Ça vaut toutes les fictions. Rien de plus irréel qu’un documentaire lorsqu’une caméra rencontre un vrai sujet. C'est la réalité qui est un “ruban de rêves”, pas le cinéma. Il n’y a pas mieux que Bud Powell pour jouer son propre rôle dans un film sur lui.
En allant rejoindre mes parents pour dîner, je tombe sur Jean-Pierre Léaud, accompagné d’une fille, et très intrigué de me voir avec cette valise énorme qui contient un manuscrit où je parle de lui. Bien luné, mal rasé, il me renouvelle une invitation chaleureuse à la revoir, à ma convenance ultérieure.
Au restaurant, je rencontre un type qui a bien connu Orazi dont il possède une toile que je lui adjure de me montrer un jour.

Mercredi 29 juin [1983]. — Thiverval. Journée de flottement après les deux précédentes, harassantes. Triage de livres et de papiers. J’écoute quelques disques avec Marcel : Hawkins, Milt, Duke... J’essaye en vain de toucher Sollers que je rate d’un quart d’heure chaque fois.
Coup de téléphone d’Hélène qui arrive — enfin ! – demain. Grande haine pour sa désinvolture et son indifférence qui a creusé dans mon cœur une gigantesque fosse que je ne parviens pas à combler. Tout cela immédiatement annulé par la certitude d’aimer la vraie seule femme de ma vie. Avant de dormir et après avoir chassé (sans la tuer) une grosse mouche verte, il me revient deux choses de ces derniers jours. D’abord une phrase de la baronne Nica de Kœnigswarter dont Francis m'a lu la dernière lettre : Thelonious was ill physically and he knew it. Ensuite la vision que me rapporta Francis de Bud Powell : à table, il était totalement absorbé, bouddhiquement en communion avec ce qu'il mangeait, clos à toute discussion et ruisselant de sueur. C’est vraiment le musicien le plus shakespearien qui ait jamais existé, et l’un des plus cosmiques.

Accueil critique

Avis négatifs

Dans Le Monde, Patrick Kéchichian évoque « un vide, un vide affligeant » laissé « une fois dépassé ce fantôme de scandale que représente la gesticulation de MEN »[1].

Renaud Matignon publie dans Le Figaro littéraire une critique féroce à l'encontre de Nabe's Dream et de son auteur[2]. Le livre est néanmoins placé par le journal dans sa liste des « dix essais dont on parle »[3].

Gérard Guégan, dans Sud Ouest, réduit l'écrivain à un « comique », et affirme, à tort, qu'il découvre Barbey d’Aurevilly, Sade, Céline en 1983, alors que « ces trois-là se découvrent, en général, à 15 ans, du moins lorsqu’on prétend au génie »[4].

Yann Plougastel, dans L’Événement du jeudi, salue L’Âme de Billie Holiday et La Marseillaise, mais considère que les autres livres ont donné à Nabe « une aura très parisienne de Céline des fast foods » avant de juger « que la densité de ces 825 pages a de quoi terrasser n’importe quel quidam, qui, du coup, ne verra guère l’intérêt d’en dépasser la deuxième page. »[5]

Dans Politis, Jacques Bertin regrette que Nabe n'ait pas de cause à défendre, le qualifiant de « pamphlétaire sans cause »[6].

François Lussan critique Nabe’s Dream dans Le Choc du mois, en attaquant le livre et Nabe, y compris sur le physique[7]. Du texte, Lussan écrit : « Littérairement, ce subversif light ne tient pas plus la distance. Métaphores usées, cris de colère sélectifs, références hasardeuses et lectures bâclées... Sans parler de ses incongruités stylistiques. Son écriture garde un ton convenu, avec des "aventures au ras des trottoirs de la rive gauche. Il écrit comme il respire : sommairement. »

Avis positifs

Dans Actuel, Frédéric Taddeï accueille très favorablement le premier tome du journal de Nabe, parlant de « huit cents pages d'émotions, de rythme, de passions, d'histoires d'amour, de ruptures, de règlements de comptes. »[8].

Jérôme Leroy, dans Le Quotidien de Paris, prend la défense de l'écrivain en attaquant la critique de Patrick Kechichian : « Que le critique d’un grand journal du soir trempe sa plume dans le venin tiède d’une tolérance hypocrite pour régler le sort d’un écrivain sans même l’avoir lu prouve au moins une chose : la mort gagne du terrain »[9]. Jugeant que la faute de Nabe est d'être « insupportablement vivant », il évoque un journal intime « somptueux », qui « renvoie en creux le reflet trop précis d’un monde où des castrats anorexiques contrôlent tout, même l’imaginaire, où des fossoyeurs paranoïaques viennent donner des leçons de morale dans des compilations fadasses ».

Dans Le Figaro Magazine, François Nourissier, de l'Académie Goncourt, écrit que Nabe's Dream est « odieux, marrant ou urticant, rarement ennuyeux »[10].

Pour Bertrand de Saint-Vincent, dans Le Quotidien de Paris, « Publier, autour de la trentaine, un journal intime qui frôle les 1000 pages est un acte de dandysme qui mérite le respect »[11].

Michel Polac prend la défense de Marc-Édouard Nabe dans L’Événement du jeudi, après la publication de la critique de Yann Plougastel trois semaines plus tôt[12] :

« Métamorphosé en noctambule (moi !), je figure, dans cette galerie de miroirs qui ne reflètent que Nabe, donc encore presque rien, sinon l’heureux époux d’une belle Hélène qui lui assène magnifiquement ses quatre vérités (il a le mérite de les retranscrire), ce qui ne les empêche pas de s’envoyer en l’air à chaque page et dans tous les coins. Je donne tous les Goncourt et d’Ormesson, P.-J. Rémy, Marguerite Duras pour Nabe, l’affreux Jojo. »

Pol Vandromme écrit dans L’Instant fait l’éloge de Marc-Édouard Nabe et de son « journal intime qui laisse les fièvres se consumer dans la fulgurance, et les arrière-pensées s’avouer dans la fulmination. »[13].

Jean Desperts, dans Le Choc du Mois, fait la critique enthousiaste de Nabe’s Dream, « autrement plus fort que toutes les bluettes que signent ces minets proprets et parfumés dont se régalent les chroniqueurs des magazines bourgeois réputés « de droite »[14]. Un mois plus tard, le même Desperts publie une seconde critique du journal intime dans Valeurs actuelles, où il parle d'un « texte lourd, dense et puissant, souvent agaçant, mais attachant et original »[15]. Dans Politis, Yves Larrouy dit du livre qu'il est « bourré de talent, de la patte d'un vrai écrivain, fou de littérature, fou d'amour »[16].

Le Bulletin célinien, sous la plume de Marc Laudelout, écrit que Marc-Édouard Nabe avec Nabe's Dream, « confirme, si besoin était, son exceptionnel talent »[17]. Pour Ouest-France, « Marc-Edouard Nabe se raconte avec style et, souvent, brio »[18].

Jean-Claude Lamy, dans France-Soir, salue le premier tome du journal de Nabe, qui « provoque, impose sa personnalité de trublion et nous assène ses états d'âme dans un style fiévreux »[19].

Gilles Brochard, dans La Voix de France qualifie les pages de Nabe de « vitriol versé sur le désarroi et la bêtise de notre époque », qualifiant Nabe de « jazzman des mots », de « scrutateur maniaque, insolent, partial, joyeux et lubrique de sa propre vie. »[20]

En octobre 1991, Michel Contat salue les pages de Nabe’s Dream consacrées au jazz : « Son journal intime, Nabe’s Dream (Éditions du Rocher, 1991), aux opinions détestables, contient les pages les plus swingantes écrites de l’intérieur du jazz. »[21].

Échos

  • En 2001, Thomas Clerc publie sa thèse de doctorat, portant sur les journaux intimes, et dans laquelle il analyse celui de Marc-Édouard Nabe[22]. En mai 2015, il écrit dans Libération qu'en 1995, au moment de la rédaction de la thèse, il était « fasciné par le journal de Marc-Édouard Nabe »[23].
  • Le 9 janvier 2006, Nabe’s Dream est mentionné dans La Tribune de Genève dans un article sur les blogs : « En 1991, l'écrivain Marc-Edouard Nabe pouvait noter dans le premier tome de son journal (Nabe's Dream) : «Plus on connaîtra ma vie dans ses moindres détails, plus je serai libre. » Depuis, le concept a fait florès. Moins grâce à la littérature, d'ailleurs - même si certains auteurs, essentiellement féminins, se sont spécialisé dans l'exhibition du nombril et de ce qui va autour -, que par le biais des écrans, de télévision ou d'ordinateur. A croire qu'il n'est plus de liberté, pour l'esprit comme pour le corps, sans une savante mise en exposition. »[24]
  • En septembre 2013, lors de la parution de Naissance, de Yann Moix, Frédéric Beigbeder écrit que le roman « rappelle Nabe's Dream, le journal intime de Marc-Edouard Nabe : on y trouve le même exhibitionnisme potache, certaines références similaires (notamment le jazz), la même paranoïa et une manière analogue d'étirer les scènes jusqu'au burlesque le plus hystérique. Un des pères spirituels du héros se nomme d'ailleurs Marc-Astolphe Oh »[25].
  • En novembre 2013, Jérôme Dupuis reprend l’opinion de Beigbeder, à l’occasion de la remise du prix Renaudot à Yann Moix, pour Naissance : « À vrai dire, c'est tout Naissance qui semble inspiré par l'oeuvre de Nabe : le nom ridicule des personnages, l'obsession du jazz et de Ben Laden, le récit de la mise au monde, la figure de Swift... Mais, là où Nabe écrivait des livres excessifs, poignants, imparfaits et novateurs, Moix a donné naissance à un pavé mortellement ennuyeux. »[26]
  • En octobre 2015, Raphaël Sorin, dans Libération, mentionne Nabe's Dream et ses pages sur le Professeur Choron[27]. Il reviendra sur son idée (mauvaise) de réunir toutes les pages choroniennes dans un seul volume dans un Éclat (Monsieur et Madame Sorin en goguette, 23 mars 2018)

Édition

Nabe’s Dream s’est vendu à 4 500 exemplaires, pour un tirage de 6 000 exemplaires[28].

Les droits de Nabe’s Dream ont été entièrement récupérés en 2008 par Marc-Édouard Nabe, qui peut anti-rééditer l’ouvrage. En attendant, le livre est disponible sur la plateforme de vente de l’auteur, faisant partie du stock de huit tonnes de retour récupéré par voie judiciaire par l’auteur en 2008.

Lien externe

Notes et références

  1. Patrick Kechichian, « Au vide du sujet », Le Monde, 24 mai 1991, p. 31.
  2. Renaud Matignon, « Marc-Edouard Nabe : les canapés de la révolte », Le Figaro littéraire, 27 mai 1991
  3. « Les dix essais dont on parle », Le Figaro Littéraire, 10 juin 1991
  4. Gérard Guégan, « Le comique involontaire », Sud-Ouest, 16 juin 1991.
  5. Yann Plougastel, L’Événement du jeudi, 20 juin 1991.
  6. Jacques Bertin, « Nabe est plus bête que méchant », Politis, 29 août 1991, p. 42.
  7. « un physique jamais rincé par l’effort sportif, la plante de serre, le poulet d’élevage [...] Nabe se veut mâtin de Naples, son manque d’épaisseur physique et intellectuel nous le révèle en bichon maltais. [...] Par manque de moyens, on le sent en surrégime permanent, avec l’agitation d’un nain fébrile et passablement obsédé sexuel. [...] Ses petites dents déchiquètent agressivement faiseurs et faisans de la médiaculture » ; François Lussan, « Trop petit mon ami... », Le Choc du Mois, juillet 1991.
  8. Frédéric Taddeï, « Nabe, écrivain géant », Actuel, mai 1991, p. 190.
  9. Jérôme Leroy, « La cote des auteurs », Le Quotidien de Paris, 12 juin 1991.
  10. François Nourissier, « Nabe : la “Diarrhée infernale” » Le Figaro Magazine, 22 juin 1991.
  11. Bertrand de Saint-Vincent, Le Quotidien de Paris, 3 juillet 1991.
  12. Michel Polac, « À contre-pied », L’Événement du jeudi, 11 juillet 1991.
  13. Pol Vandromme, « Plus que tout dire », L’Instant, 27 juin 1991.
  14. Jean Desperts, « La trahison des serfs », Le Choc du Mois, juillet 1991.
  15. Jean Desperts, « Le mouchard inspiré », Valeurs actuelles, 12 août 1991.
  16. Yves Larrouy, « Nabe est plus tendre que méchant », Politis, 29 août 1991.
  17. Marc Laudelout, « Chronique », Le Bulletin célinien, septembre 1991
  18. « Nabe raconte Nabe », Ouest France, 15 septembre 1991.
  19. Jean-Claude Lamy, « "Nabe's Dream" de Marc-Edouard Nabe », France Soir, 19 septembre 1991 ; Jean-Claude Lamy, « “Nabe's Dream” de Marc-Edouard Nabe », France Soir, 10 octobre 1991.
  20. Gilles Brochard, La Voix de France, octobre 1991.
  21. Michel Contat, « Notes de lecture », Le Monde, 24 octobre 1991, p. 22.
  22. Thomas Clerc, « Le journal d'ecrivain dans la litterature francaise du xxe siecle : semiostylistique d'un genre », lire : http://www.theses.fr/1999PA040187 ; remanié en ouvrage : Thomas Clerc, Les Écrits personnels, Paris : Hachette supérieur, 2001, 127 p.
  23. Thomas Clerc, « Avoir 50 ans », Libération, 9 mai 2015, p. 27, lire : http://www.liberation.fr/chroniques/2015/05/08/avoir-50-ans_1299737
  24. « Bienvenue dans le monde étonnant du “tout-à-lego” », La Tribune de Genève, 9 janvier 2006, p. 4.
  25. Frédéric Beigbeder, « Ecrire pour éclore », Le Figaro Magazine, 20 septembre 2013, p. 117, lire : http://www.lefigaro.fr/livres/2013/09/18/03005-20130918ARTFIG00419-ecrire-pour-eclore.php
  26. . Jérôme Dupuis, « Le prix Renaudot? Moix, Moix, Moix », L’Express, 13 novembre 2013, lire : https://www.lexpress.fr/culture/livre/le-prix-renaudot-moix-moix-moix_1299018.html
  27. « Pour Choron, en fait, il n’y a qu’à lire l’abondant Journal de Marc-Edouard Nabe dont il est l’inénarrable héros. » : Raphaël Sorin, « En attendant Al Zeimer », Libération, 1er octobre 2015, lire : http://lettres.blogs.liberation.fr/2015/10/01/en-attendant-al-zeimer/
  28. Alexandre Fillon, « Nabe le maudit ? », Livres Hebdo, 25 février 2000.