Lee Konitz

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Lee Konitz, 13 octobre 2019

Lee Konitz est un saxophoniste de jazz né le 13 octobre 1927 à Chicago et mort le 15 avril 2020 à New York.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

Marcel Zannini avait rencontré et fréquenté Lee Konitz à New York au milieu des années 1950 (il avait même pris avec le saxophoniste alto trois leçons). Voilà pourquoi le père de Nabe, qui lui a fait découvrir l’art subtil de Konitz, emmènera avec lui son fils à chacun des concerts qu’ils pouvaient voir lors des passages du lieutenant de Lennie Tristano en France (Paris, Nice, Juan-les-Pins...).

Dans son journal intime, Nabe’s Dream, Nabe raconte un concert de Lee Konitz et Steve Lacy organisé à la maison de la Radio :

« Jeudi 1er mars [1984]. — [...] Lee Konitz en voyant Marcel hurle à la joie :
Zanini ! Son of a bitch !
De chic, Marcel me présente :
My son of a bitch !
Lee Konitz aime beaucoup mon père : ils font des plaisanteries à la Groucho Marx ensemble. Steve Lacy est là aussi : vieux de la vieille, presque complètement français aujourd’hui : nous le connaissons depuis le début. Je les aime beaucoup tous les deux : ce sont des Blancs qui ont retourné leur blancheur à leur avantage. J’aurais dû penser plus tôt que deux sonorités aussi uniques finiraient par se joindre. Dans la loge, il y a des représentants de chez Vandoren que Marcel a fait venir pour qu’ils offrent du matériel aux deux saxophonistes. Les anches sont trop fortes pour le soprano de Steve. Par contre, Lee Konitz s’amuse comme un petit fou à reposer son anche en plastique et à essayer toute une gamme de numéros et de becs inconnus. Sa sonorité est magnifiquement claire, sa technique d’une aisance rare. C’est le seul alto de sa génération qui n’a pas essayé de jouer comme Parker. C’est Lester Young son truc, d’ailleurs Marcel et lui chantonnent les chorus de Pound Cake et de Tickle Toe. J’interviens pour Lady be good (nous voilà à trois dans sa loge chantant Lester Young !). Mais Lee Konitz ignore la version du J.A.T.P. Il reste sur le cul quand je développe le génial solo présidentiel : il croit que je joue du saxo moi-même ! Rigolades... Steve Lacy échange avec lui quelques arabesques, mais en plaisantant : rien qui ressemble à une répétition, et pourtant c’est la deuxième fois seulement qu’ils jouent ensemble...
C’est l’heure. André Francis vient chercher les monstres. Lee Konitz à notre grande stupéfaction conserve le bec et l’anche neuve qu’il vient d’inaugurer... Pour un concert, Marcel n’aurait pas osé, c’est audacieux, mais ces deux-là sont tellement fortiches de la justesse qu’ils feraient sonner les commas d’un arrosoir !
Très belle musique presque classique, déroulée sans heurt pendant une heure. Beau moment de découpages, d’échafaudages croisés de deux souffles superbes, d’un contrôle parfait... Pas besoin de rythmique avec des dessinateurs dans l’espace pareils. L’art du duo, si courant aujourd’hui, est rarement excitant : ici c’est un film à suspense auquel on assiste. De plus, il y a quelque chose d’historique dans cette rencontre à la fois si logique et si anachronique. Lee Konitz au passé bop et cool, postlestérien et Steve Lacy, isolé sur son trône d’empereur unique du soprano moderne, issu du free-jazz post-monkien... C’est bien ça qui ne peut que me plaire chez le standardiste et le compositeur : Lester et Monk. Il y a quelque chose entre Lester et Monk, je croyais que c’était seulement moi, aujourd’hui je sais que c’est aussi la musique de Steve Lacy et Lee Konitz ensemble.
D’ailleurs Monk était à l’honneur ce soir. Ils ont joué Ask me now et Lacy seul un Evidence poignant comme un poignard. Très beau. Ils ont échangé quelques compositions originales ; un blues bizarre ; Hot house (mon parkérisme préféré) et All the things you are : “more ou less” précise Lee Konitz qui n’a pas arrêté de truffer le concert d’allusions et de clins d’œil, en particulier à Marcel, apostrophé dans le bocal ! Un concert sur mesure vraiment qui m’a revigoré. Tout s’est passé si fluide, si amicalement : la musique et les personnages : un rêve. Nous rentrons à Thiverval, très père du fils et fils du père, ficelés encore par les lacets subtils de Lee Konitz et de Steve Lacy. C’est d’un grand feeling que sont habités les Juifs blancs qui font du jazz : encore un mystère dont j’ai accusé l’évidence une fois de plus, ce soir d’élévation, de communion d’un sang et d’un pain aussi consacrés l’un que l’autre dans une irréprochable matière sonore, proche d’un cachemire qui s’écoute et nous réchauffe.[1] »

Nabe continuera à aller voir Lee Konitz sur scène et dans les coulisses. C’est dans un de ses concerts donnés au Petit Journal Montparnasse dans les années 1990, que l’organiste Eddy Louiss et sa femme, également présents, donneront à l’écrivain un couteau, qu’il emportera à Patmos comme il le raconte dans Alain Zannini (2002). Toujours dans Alain Zannini, Nabe se souviendra que lors de son premier séjour à Venise en 2000, tombant sur une affiche pour un concert le lendemain même dans la Sérénissime de Lee Konitz, il s’y rendra et retrouvera le saxophoniste étonné de le reconnaître dans la salle. Enfin, à Paris, par exemple au Duc des Lombards, Nabe continuera à rester fidèle en tant qu’auditeur et complice lesterien de celui qu’il considère comme le plus grand altiste blanc.

Extrait d’une interview de Lee Konitz (19 novembre 2009) dans laquelle le saxophoniste parle de Count Basie et Lester Young (« Je ne veux pas dire que Basie ne faisait pas de la vraie musique, mais il jouait surtout pour la danse et quand Lester est arrivé, c’est devenu de l’art. ») puis Konitz joue par-dessus un disque le solo de Lester Young sur Pound Cake (1938) solo que chantait en coeur Nabe/Zanini/Konitz[2], et dont Marcel Zanini a fait son titre phare intitulé Suivez le Président

Citations

Nabe sur Konitz

  • « Tel un arpenteur, je marchais tous azimuts, jusqu’à me trouer les semelles où le vent pénétrait ! Sur une affiche, je vis que Lee Konitz était annoncé pour un concert en duo autour des standards de Gerschwin !... J’aurais trouvé le hasard trop cool s’il n’avait pas forcé la note en faisant jouer l’un de mes musiciens préférés dans l’église Saint-Jean-l’Evangéliste ! Le lendemain, j’y étais, et avec le couteau d’Eddy dans ma poche... Je me pinçais pour y croire (et Lee aussi lorsqu’il me reconnut dans la salle !) : j’étais à Venise, et j’écoutais, dans une acoustique divine, l’alto coupant et stylé de Lee Konitz devant une statue de marbre représentant le Disciple Préféré (pas celui de Lennie Tristano, vous m’avez compris), en train d’écrire l’Apocalypse, son aigle sur l’épaule ! Je me disais que décidément, un jour, j’irais à Patmos... » (Chapitre 39 « Laure à Venise », Alain Zannini, 2002, p. 633)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Marc-Édouard Nabe, Nabe’s Dream, Éditions du Rocher, 1991, pp. 305-306.
  2. « Le dimanche 29 novembre, Lee Konitz, 82 ans, l’une des dernières figures mythiques du Jazz blanc, donnait une série de deux concerts exceptionnels au Duc des Lombards. Mais plutôt que de faire le compte-rendu de ce concert lui-même nous parlerons d'un autre compte-rendu auquel le public présent a eu droit. Après le concert, Jean-Michel Proust, le patron du Duc des Lombards, est en effet monté sur scène pour raconter la scène à laquelle il venait d'assister : “C'est un moment très rare auquel j'ai eu le bonheur d'assister dans la loge. Lee Konitz, François Théberge, Marcel Zanini et Marc-Édouard Nabe chantant tous les quatre à l'unisson une série de solos de Lester Young... Il y avait une véritable joie de vivre...”
    Il y avait là en effet deux fois deux génération de jazzmen qui se trouvaient ensemble. François Théberge, saxophoniste canadien étant un peu le fils spirituel de Lee Konitz. Le courant est d’ailleurs tout de suite passé entre lui et Marc-Édouard Nabe. Le quatuor s'est retrouvé de façon impromptue à enchainer les standards lesteriens a capella : Tickle Toe, Lady Be Good, Pound Cake, Lester leaps In... Un véritable moment précieux de Journal Intime que Jean-Michel Proust en amoureux du jazz a eu la générosité de porter à la connaissance du public. » (Brève du site alainzannini.com, 30 novembre 2009)