Jacques Henric

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Jacques Henric, 2018

Jacques Henric est un critique littéraire né le 21 décembre 1938.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

C’est en mars 1984 que Marc-Édouard Nabe rencontre, sur les conseils de Philippe Sollers, Jacques Henric pour la première fois :

Jeudi 1er mars [1984]. — [...] Jacques Henric ! Je le voyais grand, blond, jeune. C’est un vieux soixante-huitard tout gris et petit qui met sous son café L’Infini n°5 en guise de signal. Présentation et arrivée, en supplément, de sa petite grue, emplumée rousse attentive... Une personne c’est une entrevue. Deux (dont une femme) c’est un show ! Pendant une demi-heure, je déverse sur le directeur d’Art Press ma lave artistico-biographique, avec éclaboussures sarcastiques et fumée satanique... Il me félicite de ma fougue et du talent indéniable de ma prose (il ne connaît de moi que Billet doux filé par Sollers) mais bien vite, c’est la fine bouche habituelle :
— Vous aimez Bloy, mais Bloy a des cibles. Il me semble que vous flottez autour des cibles. J’ai lu votre article. La haine est un peu “surréalo” : Ionesco, Chagall, pourquoi pas d’autres ?... J’aime la violence mais j’aime quand elle va quelque part. Vous avez raison d’attaquer cette époque, mais je ne pense pas qu’il faille le faire de front. Regardez Philippe Muray (qui m’a parlé de vous) : son livre est très drôle et acerbe tout en prenant le XIXe siècle à rebrousse-poil : c’est du beau travail... Quant à Céline, c’est plus qu’un problème de ciblage, c’est la gaffe et il faut faire gaffe ne pas faire des gaffes. Si vous suivez cette voie, c’est la gaffe et il faut faire gaffe de pas faire des gaffes. Si vous suivez cette voie, c’est dangereux pour vous, très dangereux...[1] »

À cette époque, Henric découvre le manuscrit de ce qui deviendra en 1985 Au régal des vermines et affirme à son auteur : « C’est de la dynamite ![2] » :

Lundi 2 avril [1984]. — [...] Rendez-vous avec Henric au siège de Art Press, avenue Matignon. Il se montre très sympathique avec l’auteur du “pain de dynamite”. Ça lui plaît bien mais lui aussi trouve ça insortable dans une époque si mièvre et lâche... Aucun éditeur ne prendra le risque et le livre n’est pas assez une “œuvre d’art”, sa forme est trop en dehors des genres, pour rattraper le contenu périlleux.[3] »

Fin 1984, Henric invite Nabe à venir à Art Press pour photocopier des textes dont il avait besoin :

Mardi 4 décembre [1984]. — [...] Je tombe sur une secrétaire très aimable qui met à ma disposition toute la collection de la revue. Pendant une heure je compulse en plaçant des repères aux endroits intéressants : pages de Muray sur Céline, inédits d’Artaud, études sur Sade, Rimbaud, Pasolini, Borges... Au moment de photocopier, je me vois arriver une longue mégère, une de ces carabosses avec lesquelles depuis le lycée j’ai systématiquement des démêlés.
— Je suis la gérante, et une photocopieuse coûte cher, monsieur !... Oui, je vous connais de la télévision, mais ça ne change rien. Je vous laisse en faire une dizaine, pas plus ! Si vous voulez des numéros, achetez-les ! Nous les vendons ! Nous les vendons !
Écœuré, je ramène les gros volumes reliés à la petite secrétaire, toute désolée, et je me barre. Henric va m’entendre ! C’est comme ça qu’on aide les jeunes écrivains qui lui font l’honneur de s’intéresser à sa revue de merde ?... Je ne veux pas croire qu’il dirige une équipe si mesquine par hasard. [4] »
Article d’Art Press sur Nabe et le Régal

Après la sortie d’Au régal des vermines et le passage de Nabe à Apostrophes, Art Press publie un article violent et anonyme contre l’écrivain, intitulé « “Je suis partout” 85 » et illustré par une photographie montrant deux femmes portant l’étoile jaune pendant l’occupation française. Nabe apprendra quelques jours plus tard par Régis Jauffret que l’auteur de l’article n’est autre que Jacques Henric, qui a fait de l’attaque du jeune écrivain « une question de morale »[5]. Henric ne s’arrête pas là et publie trois mois plus tard, toujours dans Art Press, un second article où il écrit notamment :

« Il y a un racisme et antisémitisme chic, cultivés, ou qui se veulent rigolards. Ça peut donner un livre dont les grands médias télévisuels s’entichent, ou un dessin dit humoristique, ou des propos d’après-boire tenus dans une station de radio libre (voir les récentes affaires Siné et Nabe...) Et puis il y a un racisme et un antisémitisme qui, eux, passent aux actes, ne font pas dans la dentelle. Ils flinguent ou posent des bombes. Un Marocain, un jeune Français d’origine maghrébine ici ; un cinéma là, parce que les cibles humaines sont des Juifs. Tout ça se passe en France en 1985. Heureusement, c’est aussi en France que vient de naître le mouvement SOS racisme. Une extrême vigilance s’impose. Que l’explosion qui a dévasté le cinéma où se déroulait le festival du cinéma juif serve à nous rappeler que la bête immonde n’est pas morte.[6] »

La guerre est ouverte : Nabe riposte dans son journal intime, critiquant les livres prétentieux de Henric (Walkman, 1988, évoqué dans Kamikaze[7]), jusqu’à son militantisme d’« intellectuel » post-sollersien, bien-pensant et moralisateur, qui l’a fait soutenir des écrivains tels que Haenel, Meyronnis, Zagdanski, Houellebecq. Cependant, la « question de morale » d’Henric sera mise de côté en 2019 lorsqu’il s’agira de défendre publiquement Yann Moix après la révélation de ses textes antisémites et révisionnistes publiés à l’âge de 22 ans en 1989 (soit quatre ans après Au régal des vermines...)[8].

Citations

Henric sur Nabe

  • « Israël, février 85 : procès Mengele, des témoignages insupportables sur les expérimentations pratiquées sur des êtres humains dans les camps d’extermination nazis, les images insoutenables de victimes venant témoigner aujourd’hui leurs corps...
France, février 85 : la banalisation du nazisme bat son plein, la France semble vouloir faire joujou avec un petit livre dont certaines pages sont assez ignobles et littérairement nulles. Le titre : Au régal des vermines. L’éditeur à qui ont doit, entre autres, la biographie d’Henri Curiel : Barrault. Une émission télévisée Droit de réponse, a donné sa bénédiction à l’ouvrage. Une autre, une tribune à son auteur. Ce fut un spectacle pénible et inquiétant de voir, à Apostrophes, des gens se tordre de rire devant les insanités haineuses du petit pitre, qui brusquement ne rirait plus, lui.
Du Céline, ce “Régal des vermines” ? Plutôt du Rebatet, du “Je suis partout”. Dans la plus stricte tradition des pamphlétaires d’extrême-droite, on s’attaque à toute l’humanité pour choisir peu à peu une cible privilégiée : les Juifs (un chapitre leur est consacré). “Bagarre de bicots enflammés”, “Crouillure de plus en plus minable”, puis “les Juifs sont responsables de la civilisation écœurante de cette ordure de Dieu (...) Les Hébreux d’Israël, je les dégueule donc, je les colle contre leur mur (souligné par nous, a.p.ah ! le signifiant) croulant de larmes. (...) C’est la race que Dieu a choisi pour souffre, celle qui a de la chair de Christ dans son coffre-fort ou dans son petit porte-monnaie pourri (...) Depuis deux mille ans, il nous aurait été facile de nous débarrasser des Juifs, pas besoin d’attendre Hitler et ses gros sabots (...) Nous vivons dans une civilisation entièrement juive...
Nous arrêtons là. Il y en a des pages et des pages de ce tonneau. Tous les thèmes et tout le vocabulaire ordurier de l’antisémitisme s’y trouvent. Le samedi 9, sur TF1, M. Polac a pris date : “un nouveau talent est né !”
Étrange coïncidence, la même semaine, on apprenait par Libération, qu’un des sympathiques petits cochon de l’équipe Polac, Siné (vous savez ces dessinateurs qui sont si de gauche, si redresseurs de torts, si implacables avec l’Église, le Pape, la sale presse d’opposition, les Nouveaux Philosophes...) avait été condamné par un tribunal pour... provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale. La plainte avait été déposée par le Comité juif d’action. Curieuse époque, non ? » (Art Press, 1985)

Nabe sur Henric

  • « Jeudi 8 septembre 1988. — [...] J’étais sur le point de ne pas m’énerver devant les navets divers (Lévy, Spire, Labro, Bruckner...) quand je suis tombé sur le dernier roman de ce raté d’Henric chez Grasset : Walkman... Après m’avoir conchié, ce salopard marche maintenant sur mes plates-bandes souillées de ses propres merdes ! Parce qu’il faut savoir qu’Henric est coprophile dans ses livres ignobles. Il croit sublimer le caca divin, il ne fait que patauger dedans. Ah ! Ils ont toujours de bonnes idées, les théoriciens plongés toute la journée dans les œuvres des vrais artistes, et qui ratent leurs propres pirouettes quand c’est leur tour, par carence d’art, par haine du don, par absence de style et de tempérament d’écrivain (ceux que Céline appelait “les pas-faits-pour”) ! Les deux sujets du roman nul d’Henric sont Albert Ayler et Istanbul ! J’écume de rage ! Ha ! Élisabeth a raison : il est temps que je me dépêche de partie pour Byzance ! Mon pays ! Et ce sinistre médiocre d’Henric qui ose toucher à l’iconoclastie, à la Corne d’Or, et au Bosphore ! Avec Ayler en prime, jouant à la fondation Maeght, à Istanbul (fausse anecdote), mélangeant tout exprès soi-disant... Bien sûr, Henric parle mais ne sait rien dire. Pas une phrase importante sur la musique d’Ayler, des recopiages d’interviews, des clichés didactiques et pas d’émotion d’oreille. Incapable de se presser le tympan pour en faire sortir des images. Encore du prétexte littéraire à jouer au “poète” qui s’y connaît en autres arts ! Pareil pour Constantinople, la race lui manque, ça donne Montparnasse, ça fait plouc de la rue de l’Ouest qui voyage... Comment un type aussi étriqué qu’Henric, dont le milieu connaît si bien la lâcheté et la servilité, peut-il oser parle de l’ample Byzance ? Je suis sûr qu’il s’est attaché à Istanbul et à Ayler parce qu’il croit ces thèmes “malsains” comme lui : quelque chose de sale le tente là, mais ne pue pas qui veut ! N’a pas le sens de la pourriture de tout un Orient ruiné le premier journaliste mal rasé venu ! Il dupera qui avec son cocktail douteux ? Un peu de peinture, un peu de musique, un peu de merde, un peu d’Orient, une larme de sexe et on agite bien fort pour faire moderne ! Remuez et... jetez !... En on a accusé Le Bonheur d’être un patchwork ! Mais c’est une mosaïque ! Byzantine ! Et payée ! Du fin fond de ma grand-mère ! Pas un dosage étudié de matières premières, la recette qui ne prend pas d’un copieur complexé qui joue au plus malin. Ça, un roman ? Non, même si Guyotat se compromet à jamais en encensant encore un livre d’Henric sur Le Nouvel Obs par renvoi d’ascenseur, ça ne suffira pas à sauver la énième tentative de l’obscur rédacteur en chef d’Art Press pour “percer” dans la crédibilité littéraire. Même en ayant la vulgarité de dédier son livre à Dominique Fernandez (de chez Grasset), Henric n’existera pas. » (Kamikaze, 2000, pp. 2844-2845)

Intégration littéraire

Notes et références