Fournier

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Fournier

Pierre Fournier, dit Fournier, est un dessinateur et un pamphlétaire né le 12 mai 1937 à Saint-Jean-de-Maurienne et mort le 15 février 1973 au Perreux-sur-Marne.

Liens avec Marc-Édouard Nabe

C’est un des plus grands regrets de Marc-Édouard Nabe que de ne pas avoir connu Fournier, étant entré à Hara-Kiri comme jeune dessinateur en août 1974, soit un an et demi après la mort de Fournier qui était un des ses préférés dans « la bande à Choron ». À l’époque où le futur Nabe lisait Charlie Hebdo et Hara-Kiri, et qu’il appréciait particulièrement les grandes pages de Fournier, noircies de dessins superbes dans la lignée d’un Félix Vallotton ou des plus grands graveurs allemands et dessinateurs japonais, et accompagnés de textes serrés et très violents contre ce qu’on n’appelait pas encore la « société de consommation », il ne savait pas que Fournier était considéré au sein même de l’équipe d’Hara-Kiri comme le plus mauvais esprit du journal contestataire… C’est plus tard en effet que Nabe découvrira que Fournier avait des tendances jugées « à droite » (comme son ami Reiser[1], qui lui aussi avait commencé à publier dans Minute avant Hara-Kiri), jusqu’à s’intéresser à la figure du para de l’OAS fusillé Degueldre, et surtout jusqu’à prendre la défense inconditionnelle de Céline !... Oui, dans Charlie Hebdo, tout à côté de Cavanna, cet anticélinien notoire, celui-là même qui devait annoncer, toujours dans son style trivialement primesautier, sur une grande page, la mort de Fournier en février 1973, ce qui laissa l’adolescent Alain Zannini inconsolable.

Juste avant une autre mort, celle de son grand-père maternel cette fois-ci, Marcel Taurel en 1974, Nabe avait eu le temps d’initier le vieil homme à La Gueule ouverte, le journal de Fournier qui ne pouvait qu’intéresser son « Papy » déjà concerné par la pollution, les atteintes à la Nature et le massacre de la planète…

Une fois revenu rue des Trois-Portes au début des années 80, Nabe continuera son approfondissement de la pensée pamphlétaire et de l’œuvre graphique du dessinateur foudroyé par un infarctus à l’âge de 35 ans. Il ne cessera de questionner ses amis d’Hara-Kiri sur la personnalité de Fournier, en premier Choron qui avait permis à Fournier de créer son propre journal dans le groupe des Éditions du Square et qui en a fait ainsi le premier « écologiste » « militant », constituant une équipe de journalistes et d’activistes qui lui a survécu, mais aussi Gébé dont l’utopie de l’An 01 n’était pas si éloignée des objectifs plus concrets de son collègue Fournier dans Charlie. Nabe en parlera aussi souvent dans son Journal, et particulièrement sur plus de 4 pages dans Tohu-Bohu, dans une sorte d’analyse fournieresque qui ira jusqu’aux yeux et aux oreilles de l’acteur Bruno Solo, fils d‘un cousin de Fournier, ce qui fera que Solo sympathisera naturellement avec l’auteur d’Au régal des vermines et de Rideau chaque fois qu’ils se rencontreront. C’est également Nabe qui, transmettant son enthousiasme pour Fournier à Frédéric Pajak, notamment lors de leur voyage en Israël (Voir Patience 3), aura sans doute poussé indirectement plus tard, après leur brouille, Pajak, devenu éditeur chez Buchet-Chastel, à se lancer dans une réédition, en quatre « compils » tristes, des textes et des dessins de Fournier pour sa collection « Les Cahiers dessinés », avec l’aide des archives confiées par la veuve du dessinateur... En effet, cette remise au goût du jour de Fournier dans le cadre d’une édition traditionnelle, bien bourgeoise, bien propre, agrémentée des préfaces de Delfeil de Ton et de Pajak lui-même, et surtout démantelant les albums originaux édités jadis par Choron au Square, qu'il ne fallait surtout pas désordonner et recomposer pour les rendre plus digestes sous des titres balourds et vulgaires imitant mal la crudité agressive de ceux de Fournier de l’époque (1971-1973), n’a justement pas été du tout du goût de Marc-Édouard Nabe ! Pour lui, « surfer » sur la mouvance écolo des années 2000-2010, en réutilisant Fournier, en le décomplexifiant pour en faire un « précurseur de l’écologie », un militant plus qu’un artiste alors que c’était le contraire, s’apparente à une sorte de trahison.

Dans l’entourage de Nabe, l’ironie du sort fit également que son ancienne compagne, Audrey Vernon, en 2017, très portée sur les sujets écologiques, s’est elle aussi rappelée du Fournier auquel Nabe l’avait initiée dix ans auparavant, et a lu publiquement certains de ses textes en vidéo pour le compte du journal Reporterre[2].

Il suffit de replonger dans les textes pris au milieu des dessins de Fournier dans ses trois albums existants pour comprendre en quoi son esprit anarchiste, anticommunautaire, anti-« de gauche », et presque, pourrait-on dire au sens d’aujourd’hui, « anti-écolos » le rapproche de la colère actuelle d’un Nabe qui, hélas, n’a jamais pu lui rendre hommage de son vivant.

Citations

  • « Mardi 12 juin [1984]. —[…] Le visage keatonien de Gébé m’évoque aussi la figure de Fournier, autre moment problématique, ancien de Minute, prophète de l’écologie, mais mal compris des hippies, révolutionnaire “réac”, épuriste de santé, hypercélinien, accrocheur de Cavanna, et avec lequel seul le Gébé de l’an 01 s’entendait vraiment vrai. J’avais lu en effet des textes frappants de cet hygiéniste, mort à trente-cinq, trahi par un tuyau en plastique qui turbinais mal son cœur d’écolo ! » (Nabe’s Dream, 1991, p. 474)
  • « Vendredi 23 novembre [1984]. — […] En feuilletant les numéros, je suis tombé plusieurs fois sur des papiers très solides de Fournier. Je crois même que c’est bien mon favori. Pas seulement parce qu’il était célinien mais d’abord pour ses dessins formidables, tout à fait originaux, pas du tout collés à la caricature de l’événement mais bien chiadés dans la tradition allégorique, sans “gag” : des descriptions d’objets, des scènes apocalyptiques de notre société de consommation bien tracées en beaux équilibres de noirs et de blanc, ornées de sa belle écriture en script serrée et penchée… Tout cela donnait à ses planches une rigueur effrayante de désespéré autoritaire. Et puis aussi toute sa Gueule ouverte, son combat de militant, bien sûr très vieillot et vain aujourd’hui, mais qui a eu le mérite de le faire réfléchir sur la sauvegarde de l’environnement et surtout d’aller jusqu’au fond de l’absurdité gauchiste. Fournier est le type qui, de l’intérieur, sur le tas, malgré les émerveillements de l’écologie naissance, a analysé impitoyablement le phénomène gaucho du hippysme postsoixantehuitard… Certains papiers, dépouillés de leur désordre pénible (Fournier encombrait ses paragraphes et ses dessins de petites annonces, d’appels à des manifestations, de colonnes de chiffres et de dates, de bribes de lettres de lecteurs…), contiennent de magnifiques diatribes et de très profondes remarques politiques. De semaine en semaine on le sentait déchiré entre l’application directe de son programme (“réinventons tout, nions tout, détruisons tout, conservons tout, intégrons tout, reconsidérons tout”) et son dégoût pour la mode écolo dont il devenait le pape. Les babas cool n’ont pas été les compagnons qu’il espérait, lui, qui vantait le passage de Bagatelles sur la pollution des grands villes et la mer à Paris ! J’en suis sûr. S’il avait vécu, il aurait mal tourné, c’est-à-dire dans le bon sens. Son opposition à Cavanna sur des points cruciaux nous le prouvait. Il portait dès le début de l’aventure gauchiste sa propre décadence en lui. Je ne l’ai pas connu, mais sa mort en février 73 m’avait beaucoup frappé : ce type cardiaque à trente-cinq ans, fauché en plein boulot, était celui qui allait nous apprendre non pas “la fin du monde”, mais le début d’une révolution anti-industrielle radicale et métaphysique que les gniards ratés de Marx n’auraient pu suivre… Quand je pense à tout ce qu’il a raté… Du talc Morhange au Rainbow Warrior, en passant par le tout premier McDonald’s installé sur le boulevard Saint-Michel… Qu’aurait-il pensé des années 80, Fournier ? Il se serait rasé la barbe… Aurait-il écrit un grand livre, en montrant comment la jeunesse écologique s’est rangée au capitalisme “adulte”, comment le vieux monde a récupéré la culture de la révolte même pour en faire d’horribles institutions plus retardataires que jamais, soumise très bas aux progrès technologiques, sans se souvenir des “pionniers” de son genre ?… Il vaut peut-être mieux qu’il soit mort, lui le moins sectaire du groupe comme par hasard : il n’aurait pas été content du recyclage de ses émules, toutes ces vieilles barbes fleuries qui trifouillent aujourd’hui les câbles des satellites, ces bergers dissous dans le troupeau, ces ingrats de la carottes qui demandent maintenant à leur machine à laver si elle est contre le nucléaire. » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 707-708)
  • « Mardi 27 novembre [1984]. — […] Je descends avec Bibi à la cave pour chercher les deux livres de Fournier. Dans le bordel, nous ne trouvons que le second : Où on va ? J’en sais rien mais on y va (La Vie des gens est épuisée). C’est là qu’il parle de Céline, de Degueldre, des décharges publiques. Odile m’en fait cadeau. Choron voit que je suis dans Fournier en ce moment, et ne se fait pas prier pour me le dépeindre.
— Tu t’entendais bien avec lui ?
— Oui… Non ! C’était un mystique ! Un végétarien, très dur chez lui : il choisissait les robes de sa femme et tout. Il arrivait avec son cabas plein de poireaux, sinistre, sans un mot il nous regardait. Il ne buvait pas. Si on fumait devant lui, il fallait recracher la fumée par la fenêtre. Il m’a tellement fait chier pour que je lui fasse son journal et puis il n’a même pas écrit une ligne dans le premier numéro ! Il m’a ramené toute une bande de Savoie ! T’aurais vu ça, Nabe ! Des chevelus abrutis, des cons. Je leur disais : “Vous êtes écolos et vous avez six enfants chacun ? Pauvres cons ! L’écologie c’est la stérilisation : surpeupler la planète, c’est ça votre écologie de merde ?” Il y avait aussi ce con de Toulousain qui raconte des histoires de merde à la radio : Gougaud ! La plaie !… Fournier s’entourait de merdeux, puis au troisième numéro, il est mort ce con ! Et moi je me suis retrouvé avec les mecs : tu parles d’un cadeau… Quand tu penses qu’un type comme Fournier, qui crachait toute la journée sur la science, vivait grâce à une petite pile dans le cœur, et qui s’est arrêtée… À la fin, ça commençait à barder : Cavanna l’accusait de rousseauisme… Je me souviens, la veille on a eu une très orageuse discussion, vraiment dure : il est parti se coucher : le lendemain on apprend qu’il était mort ! » (Nabe’s Dream, 1991, pp. 716-717)
  • « Mercredi 27 janvier 1988. — […] Mort trop tôt, Fournier ! L’Humanitaire, ça aurait été sa bête noire, après le Nucléaire, les Communautés et les clubs de vacances (il a été l’un des seuls à l’époque à les comparer à des camps de concentration). C’est Fournier qui a trouvé, dès 70, cette formule parfaite : Liberté — Égalité — Fraternité pour faire joli. » (Inch’Allah, 1996, p. 2430)
  • « Ô Fournier ! Prophète de l’écologie, pamphlétaire célinien et dessinateur très original, même dans Charlie Hebdo, et pour qui Choron créa un autre journal encore : La Gueule ouverte... Mensuel puis hebdo ! J’ai déjà tant écrit sur Fournier ! » (Patience 2, 2015, p. 43)
  • « Val n’attendit même pas que Gébé soit enterré pour se bombarder à sa place “directeur de la publication”. Hop ! À la trappe ! Un géant gêneur de moins... Quand on pense que Choron, en 1973, non seulement avait laissé le nom de Fournier inscrit dans l’ours de Charlie pendant de longs mois après sa mort, mais avait continué de le payer comme si du ciel il continuait à écrire et dessiner, pour aider sa veuve et ses trois enfants ! » (Patience 2, 2015, p. 64)

Intégration littéraire

Notes et références

  1. Couverture exceptionnelle d’un numéro de Charlie Hebdo (1971) où sous un dessin de Reiser représentant Fournier pour faire de la pub à une des manifestations qu’il avait organisée à Bugey contre le nucléaire, Choron a laissé Fournier écrire une note de dernière minute sur la Une même !
  2. https://youtu.be/58aq-ZFjyQw