Alain Zanini
Alain Zanini est une étude signée Constantino Serra, initialement publiée le 2 mars 2009 sur alainzannini.com, le site des lecteurs de Marc-Édouard Nabe.
« Alain Zannini, combien de n ? » c'est une question qui reviendra encore chez les personnes découvrant Nabe , au même titre que le nombre de l dans Billie Holiday, ou bien l'emplacement du h dans Django Reinhardt. Question à laquelle tout le monde, lecteurs, fans, ou même Wikipédia répondra avec indulgence : Alain Zannini, le nom réel de Marc-Édouard Nabe, et le titre de son gros roman, s'écrit Zannini, avec deux n plus un; alors que Marcel Zanini, nom de scène de Marcel Zannini son père s'écrit avec un n (fois 2) uniquement. C'est assez simple en fait.
Il se trouve que justement non, simple ça ne l'est pas. C'est rarement si simple chez Nabe. Et en premier lieu du fait de l'immédiateté, trompeuse, de la clarté, de la transparence totale du texte. D’« éminents critiques » auront eu beau (auront eu laid surtout) se couvrir du ridicule de leurs avis définitifs, il est temps aujourd'hui de démontrer, comme l'auteur y invite, que ce sont eux, les premiers, qui n'y auront vu que du feu... (Sans parler de tel ou tel blogueur, de cadavres qui ne sauraient même pas y voir du feu, mais passons...) Comme souvent tout ce qui a l'air donné pour compte au sujet de Nabe il suffit de faire l'effort de s'y pencher un peu, d'un regard un tantinet exigeant, non-frigide et honnête, pour que la lecture, comme basculant dans un système de miroirs qui se déploient sans fin, ouvre à des abîmes de mises en perspectives insoupçonnées et de navigations fascinantes... Et c'est souvent dans le trou de serrure d'un détail minuscule que l'on découvre alors avec stupéfaction les recherches d'écriture les plus riches et les jeux les plus profonds.
Je fais sans doute partie aussi de ceux qui passent à côté d'un tas de détails primordiaux, mais au moins ai-je la sensation de le savoir. Un truc con ici : Je ne me serais jamais intéressé de la sorte aux n de Zannini, si je n'avais pas moi-même aussi, suite à une erreur originelle d'état civil un n à géométrie variable, mais dans mon prénom. Et si je n'avais pas ainsi une certaine idée de la conscience particulière qu'il y a à pouvoir choisir telle ou telle orthographe de signature, décalant la frontière qui sépare le nom du pseudonyme, faisant du nom, comme c'est le cas je crois dans la grammaire japonaise, un mot différent selon les âges, les périodes, les locuteurs ou les situations.
Donc si Alain Zannini (le livre) semblait magistralement épuiser la question fondamentale chez Nabe (alpha et oméga du cycle zanninien : Journal intime + roman) du pouvoir intrinsèque du nom porté (au sens propre) et ses implications ontologiques absolument déterminantes, peut-être était-ce pour mieux dissimuler que l'affaire Zannini ne se cantonnait pas à la seule dialectique entre le nom d'un écrivain et son pseudonyme en littérature. Le pseudonyme fût-il pluriel et même innombrable chez certains, comme Kierkegaard ou Pessoa. on le ramène trop vite à une « simple » question de double... Mais Nabe va plus loin je crois. En effet, très discrètement, la dualité du nom chez lui se révèle en vérité plutôt comme la partie apparente d'une trinité plus intime. 2 be 3 : Le nom du Père, du Fils et celui de l'Esprit, pourrait-on bien sûr symboliquement dire : Alain Zannini alias Marc-Edouard Nabe ou Alain Zanini (ils ne sont pas trop de trois ...). Alain Zanini donc, et la lettre volée ! Il existe sous les yeux des lecteurs et depuis toujours un Alain Zanini, identité niée d'emblée elle aussi, et tout d'abord par les puristes, (un comble ! ) quasiment inconnue et assez énigmatique avec laquelle il serait temps d'essayer de faire connaissance enfin.
L'acte fondateur, la fission de l'immuabilité du nom chez les Zannini se situe évidemment à ce moment dont on ignore la date précise, mais qui doit se situer vers la fin des années soixante, ou le saxophoniste Marcel Zannini, (répertorié sous cette orthographe dans l'annuaire des jazzmen de New-York) décide d'enlever un n au nom de famille pour en faire son nom de scène. Et de fait en même temps que Marcel devenu Zanini, qui soudain se retrouve très célèbre sous le nom de Zanini tout court, son fils Alain Zannini récupère ce nouveau nom. Ce n'est pas encore un pseudonyme, ce n'est pas encore Marc-Edouard Nabe, mais ce n'est déjà plus non plus le nom fixe, le nom de famille, tout en étant le même quand même et en restant celui du père. Ainsi en même temps que Marcel Zanini, Alain Zanini voit le jour : Je suis là, Alain Zanini, Zannini même (c'est le poète Axel Toursky qui conseilla à mon père d'ôter un « n » à notre nom) (Nabe’s Dream p. 619). Dès lors, depuis ce moment d'enfance jusqu'à aujourd'hui encore, Marc-Edouard Nabe utilisera parfois en parlant de lui-même, rarement mais toujours de façon très précise, le nom de Zanini également.
Les secrets de l'Index du Journal Intime, ça a en a fait ricaner plus d'un (Ô Zagdanski, au pays des borgnes aveugle roi !) quand Nabe y faisait référence, mais, surtout en ce qui concerne la musique secrète des noms, on n'imagine pas la somme d'indications étonnantes encore à explorer qui ont pu être glissées dans l'Index du Journal. L'Index semble fonctionner comme un accélérateur de particules, lieu de collision de tous les patronymes, dont les numéros de pages traceraient les relevés explosifs à de futurs physiciens. Quand donc un chercheur, ou plutôt même un explorateur entreprendra-t-il la remontée de l'Index comme une remontée du Zambèze en direction des chutes, en sens inverse, de chaque mot à chaque page, nom après nom numero après numéro ? J'ai le vertige à la pensée des correcteurs fous et correctrices fourmis qui ont accompli ce travail de relecture dément sous la houlette maniaque de l'auteur plus obsessionnel encore ... Car cet Index, qui passe à première vue pour une agrémentation anecdotique sortie de n'importe quel ordinateur a été entièrement réalisé et relu et très travaillé, à la main. On peut le démontrer, nous y reviendrons... La lettre volée donc : Il faut bien entendu commencer par consulter dans l'index le nom que personne n'avait l'idée d'aller chercher puisqu'on n'y allait chercher que son propre nom propre quand on en avait un. Qui donc y serait allé y consulter celui de Nabe ? (trop d'entrées !) et surtout celui de Zannini, a fortiori à l'époque où il n'était en rien à l'ordre du jour...
Ça en vallait la peine, pourtant ! Commençons par Nabe’s Dream. Pour les trois personnes concernées de la fameuse petite famille se bousculent pas moins de six entrées différentes en variations Zannini qui obéissent à ces règles de typographie précises qui s'enrichiront encore dans les volumes suivants : « En capitales : les noms de personnes réelles. En bas de casse: ceux des personnages fictifs, les noms inventés ou transformés, les surnoms »... Les voici :
Zanine, La (ZANNINI, Suzanne)
Zanine, Le (ZANINI, Marcel)
Zanines, Les (ZANINI Marcel et ZANNINI Suzanne)
Zanini (ZANNINI, Alain)
ZANINI, Marcel (ZANNINI, Marcel)
ZANNINI, Alain
D'accord... Mais là où les surprises commencent vraiment, c'est lorsqu'on entreprend de vérifier les occurrences et que l'on s'aperçoit que dans l'Index, l'occurence renvoyée est parfois volontairement différente de celle de la page qui en est la source. Ainsi quand l'entrée ZANNINI, Alain (seulement deux occurrences dans l'index de Nabe’s Dream contre quatorze pour la version Zanini) renvoie à la page p.746 c'est Alain Zanini qui en fait y figure. Et comme par hasard, dans une phrase qui soulève l'identité de l'écrivain par rapport à son pseudonyme : Ce qu'elle n'aime pas dans Marc-Edouard Nabe, c'est Alain Zanini. C'est le Alain Zanini en moi qui en s'améliorant améliorera Marc-Edouard Nabe... Est-ce parce qu'Hélène parle à ce moment là de Marc-Edouard comme le fils de Marcel plutôt que comme le fils de Suzanne que Nabe met cette orthographe dans sa bouche ? Difficile de répondre. Examinés par l'index, les rapports d'Hélène avec le « vrai » nom de son compagnon sont les plus flous à suivre. Contrairement aux parents pour qui, malgré les noms multiples, l'identité du fils sera en fin de compte toujours bien arrêtée, Hélène est à cette époque celle qui désirant bien sûr arracher le fils à sa mère (et à son nom) accompagne la naissance de l'artiste, mais qui se retrouve du coup devant quelqu'un de nouveau qui lui échappe à elle aussi : Sans elle j'aurais très mal fini, en sous-puceau tache-de-Turc, broyé par des parents qui ne voulaient pas laisser s'envoler du nid leur oisillon de proie. Heureusement elle a tenu bon. C'est ce dont elle se félicite aujourd'hui, même si au moment où enfin Alain Zanini est mort (en direct à la télévision française le 15 février 1985) elle n'a pas pu jouir du Marc-Edouard Nabe qu'elle espérait voir naître mais s'est trouvée face à un troisième homme, ce Nabe « maudit » modelé par les circonstances (Tohu-Bohu, p.908). Mais plus tard Nabe fera employer la forme Zannini aussi à Hélène dans le même genre de phrase sur l'identité : « Fini Alain Zannini qui n'en revient pas d'être Marc-Edouard Nabe », me dit Hélène qui est à fond pour mon entrée à l'Idiot. (Kamikaze, p.3241). Alors que dans la retranscription des propos d'autres personnes ou dans des cas précis, Nabe emploie à son sujet la graphie Zanini uniquement. (Et dans d'autres cas précis la graphie Zannini). Choron en est l'exemple le plus emblématique. dans le Journal, pour le professeur, Nabe est en premier lieu « le fils à Zanini » et, (on peut vérifier) employé par Choron le nom sera toujours scrupuleusement écrit de cette manière. Hélène par exemple est « la femme de Zanini ». Zanini, c'est alors Alain, qui arrive même à être encore plus Zanini que Marcel ! Il me serre dans ses bras en m'affirmant qu'il va composer une chanson, « une chanson pour le père à Zanini »... le père à Zanini ! Formidable ricochet ! C'est pas mon grand père ! C'est bien Marcel. Zanini, ici, c'est « le père à Zanini », comme à l'armée ... (Nabe's Dream, p.473).
Comme à l'armée ! Nous y voilà ! Mais pas tout de suite encore... Le nom d'Alain Zanini a donc fait son apparition dans le Journal Intime, il est utilisé pour signaler les locuteurs qui connaissent Nabe via son père, comme Choron. Avec toutefois la nuance importante et subtile (illustration parmi tant du souci de précision maladif nabien dans le détail fait pour ne jamais être vu ) que ce nom utilisé pour les locuteurs qui, comme Choron, le connaissent en tant que fils de Zanini le chanteur-vedette, ne sera pas le même que celui utilisé pour signaler ceux pour qui Nabe est le fils du Marcel Zannini qu'ils ont connu à Marseille avant que celui-ci change de nom. C'est le cas par exemple lorsque Nabe est présenté à Jean-Jacques Schuhl, « tellement connu par oncle, tante, mère, grand-mère, cousins, amis interposés ». Filière familiale et non plus filière show-biz. Il est alors naturel que lors des présentations avec cette autre idole : « M.-E.N. = Alain Zannini » (Inch’Allah, p. 2085). Pas besoin des galimatias de Guy Debord pour faire de la psychogéographie appliquée, Nabe montre et de façon simple qu'il y a chez lui d'un côté le nom parisien et de l'autre le nom marseillais. Celui d'Alain Zannini, qui est aujourd'hui bien connu, mais qui semble avoir été d'ordre beaucoup plus intime et privé que le nom de scène du père, pendant un temps. En effet, surtout dans le tome I du Journal Intime, écrit faut-il le rappeler avant la naissance officielle de Nabe à la littérature, Alain Zannini, le nom d'enfance, le nom réel, apparait comme évité, détourné et en quelque sorte tabou. Et c'est sans doute la raison pour laquelle Nabe, saisisseur de tabous par les cornes, (et en premier lieu les siens !) le remettra plus tard au tout premier plan, en couverture d'un livre. Quand il est question du « vrai nom » dans le Journal Intime, c'est souvent Zanini qui apparait. Comme si d'ailleurs le nom véritable représentait un danger, une négation de l'écrivain qui veut n'exister que par et pour la littérature: Je suis remercié sous mon vrai nom (Alain Zanini) : une manière pour Francis de nier mon existence littéraire. (Inch’Allah, p.1784). Ou bien même quand il fait référence à des documents officiels, on dirait que Nabe tient à protéger le plus possible son vrai nom réel. Si fort que soit le débordement de la littérature dans la vie (et il va très loin chez Nabe), il y a comme un réflexe de survie de l'Alain Zannini en Nabe. (Et a contrario peut-être aussi une réaction de défense de Nabe envers ce qui l'extrait de la littérature). Comme si, dans cette expérience de transparence totale, Alain Zannini tenait à préserver la, de plus en plus mince , séparation indispensable envers Marc-Édouard Nabe certes, mais aussi (déjà ?) envers l'Alain Zannini issu de la plume de Marc-Edouard Nabe, qui même s'il est supposé être le vrai reste un Zannini de papier. C'est cette fonction (en plus des autres décrites) qu'occupe alors Alain Zanini, des années avant qu'Alain Zannini (le personnage) ne le remplace de façon plus vertigineuse, anihilant la distinction.
Car dans le Journal, si, comme on l'a vu, Alain Zanini est la forme logiquement utilisée comme dérivant de la filière paternelle, jazzistique et parisienne, il apparait d'autant plus étonnant alors de constater que cette même forme peut renvoyer également à l'enfance et au temps où le nom Zanini n'existait pas encore. Comme si l'Index, à plus d'un endroit piégé, servait non plus à retrouver, mais au contraire à éviter que l'on remonte sur certaines occurrences. Dans le registre négatif Nabe avait déjà expliqué le cas particulier de la maîtresse d’Albert Algoud dans l'Index de Kamikaze. Dans le registre positif, la découverte la plus troublante (à mes yeux l'un des plus touchants trésors de l'Index, et donc des 4 000 pages du Journal Intime) est incarnée dans le chiffre 116, numéro de page inséré à l'entrée Zanini (ZANNINI, Alain) dans Nabe’s Dream. En se rendant à la page 116, on cherchera en vain, mot après mot, le nom Zanini ou Zannini ou même Alain qui est censé y figurer. La page contient essentiellement un texte sur Kenny Clarke écrit pour le « 21 ». Il faut relire moins attentivement pour que le renvoi vainement cherché saute soudain aux yeux. La lettre volée, bien sûr ! ... Elle apparait tout simplement dans les premiers mots : « Quand j'étais petit garçon... » L'Index ne renvoie jamais une entrée à Nabe pour un simple je, sinon il y faudrait tous les numéros de pages. C'est là le cas unique, je crois. Mise à l'index (c'est-à-dire la façon de Nabe de rendre hommage...) de ce petit garçon plutôt secret dont toute l'oeuvre dit en fait très peu de choses, et qu'on ne retrouvera ni en cherchant Nabe ni en cherchant Alain Zannini. Il y a une Merveille de ce j apostrophe, pro-nom de la troisième personne, qu'aucun ordinateur n'inventera jamais.
Nabe a aussi trop le goût de l'anarchie pour ne pas chercher toujours à introduire du déréglement (mais avec une grande rigueur, c'est tout l'intérêt) dans tout ce qui est censé fonctionner dans un cadre immuable. Une lettre capricieuse, irrégulière, dans le patronyme et c'est un grain de sable jouissif dans les rouages de contrôle (ou aujourd'hui dans les moteurs de recherches) des administrations. A commencer par la plus stricte de toutes: l'armée. Nabe s'empare donc aussitôt du minuscule, mais tellement important et symbolique espace de liberté qu'il a en permanence à sa disposition : son nom. Zannini un jour, Zanini un autre (voir photo), Zanninni ou même Zaninni le lendemain ? Il en parle d'ailleurs dans Alain Zannini : Déjà qu'un nom c'est lourd à porter ! Ça me rappelait mon service militaire, où je changeais tous les jours de nom (Max-Edward, Mike-Aymard, Merz-Ajar, que sais-je...) sur le scratch du treillis que les militaires obligeaint chacun des « appelés » (les bien nommés) à exhiber sur leur coeur brisé. (A.Z. p.287).
Mais ce qui va nous intéresser ici c'est la continuité et la cohérence inaperçue sur le plan littéraire. Le nom trafiqué en 1979 répond en conséquence « présent » à l'appel en 2003. Zanini, le nom de jeune fils (comme on dit nom de jeune fille) ressurgit en toute logique dans l'évocation de la figure de l'adjudant Chanal, et sûrement pas parce que Chanal ferait un substitut de la figure du père façon Choron : Chanal avait une façon de prononcer mon nom de jeune fille, « Zanini » qui montrait que je n'étais pas son genre. Je crois qu'il aurait voulu que je le craigne. Mais déjà à l'époque je ne craignais personne, à part moi-même peut-être.
— Vous tremblez, Zanini ?
— Oui mon adjudant, j'ai froid.
(Et Zanini vous emmerde, c'est écrit sur son treillis.)
Et même après la Vérité, la cohérence nabienne dans l'utilisation de ce nom de jeune fils continue à apparaitre impeccablement dans les cas qui logiquement la réclament. Jusqu'au dernier et assez récent exemple en date, dont le déclencheur est justement une histoire de fils et de nom : « Ce qui est sûr c'est que le fils Zanini n'ira pas loin dans la vie » (Sauver Siné). Qu'on dise encore que quand Nabe écrivait des livres, c'était autre chose!... (Et au passage il faudrait noter que le fils Sarkozy (Nicolas) a lui aussi enlevé un tréma sur le nom Sarközy de son père, tiens...) La forme Alain Zanini dépasse donc largement le cadre du Journal Intime. (En revanche je ne crois pas me tromper en disant qu'elle est absente d’Alain Zannini le roman. Ce qui est normal...). Je me suis plus attardé sur Nabe’s Dream, parce que dans le premier tome l'Index, qui se met en place, lui est encore ouvert. À partir de Tohu-Bohu et dans les tomes suivants, même si les Zanines ont plusieurs entrées, Zanini (Alain) disparait de l'index pour laisser la place à ZANNINI, Alain seulement. Il disparait de l'Index mais pas du tout du texte. Les numéros de page renverront toujours aussi bien à Zanini, quand c'est Choron qui parle, qu'à Zannini quand il s'agit de désigner l'homme (futur personnage d’A.Z.) réel derrière son masque d'écrivain : Oui mon vieux ! Il n'y a plus de grand Nabe, il n'y a plus qu'Alain Zannini fils de Marcel et de Suzy Zannini, mariés à l'église Notre-dame-du-mont le 26 juin 1952 : un pauvre petit Marseillais qui en chie pour finir un chef-d'oeuvre raté. Voilà la vérité ... (Inch’Allah p. 2125)
Le plus remarquable à noter enfin dans tous ces effets autour de ce seul nom, c'est bien sûr qu'ils retranscrivent le plus souvent un propos oral alors que la nuance ne peut-être perçue qu'à l'écrit. C'est la qu'est la démarche pleinement littéraire de Nabe . Il faut que l'oral devienne de l'écrit, que la Chair se fasse Verbe pour être véritablement incarnée. Et c'est sur des détails minuscules comme l'incarnation de papier de ce nom qui a été trempé dans l'écrit, comme le bâton dans l'eau célinien, cassé pour pouvoir apparaitre droit, que l'on prend aussi conscience du profond travail de Nabe pour transformer la réalité en écriture. C'est évidemment à cette lumière aussi qu'il faut relire un livre comme Coups d’épée dans l’eau, LE livre de l'oral médiatique qui se croit triomphant et ne se sait pas déjà changé en statue de sel par l'écrit. Il faudra expliquer un jour à quel point Coups d'épée est de la littérature. (La table des matières et la quatrième de couvertures sont des poèmes en soi, il suffit seulement de les lire). Nabe jouit de la parole parlée imprimée, surtout de celle qui ne s'imprime pas. Il a compris, en profond rimbaldien, la phrase graphico-musicale : « J'écrivais des silences. » Il est naturel qu'il note alors en toute non-lettre une virgule (orale !) réclamée par Philippe Sollers... (c'est mon exemple préféré !). Et évidemment, Alain Zanini apparait dans Coups d’épée dans l’eau :
— J.-M. d. M. : Vous publiez deux livres, Oui et Non avec votre photo qui sert à unifier les deux couvertures, avec un beau chapeau, je ne connais pas les marques de chapeau, c'est un ? ...
— M.-E.N. : C'est un Zanini.
Apparition symbolique, quasiment magrittienne, ce nom invisible à l'oral, que l'écriture fait soudain exister, et qui se dessine par le signe qui en a été retiré, sous son chapeau...