Porks in progress
Porks in progress est une étude signée « Psychose blanche », initialement publiée sur le blog éponyme le 17 octobre 2017, puis reprise dans le numéro 11 de Nabe’s News du 30 janvier 2018, et portant sur le premier tome des Porcs.
Les Porcs, de Marc-Édouard Nabe, sont-ils Les Démons du début de notre siècle ? Non, car il ne s’agit pas d’un roman ; Dostoïevski s’inspirait des nihilistes de la génération de soixante pour écrire une prophétie qui prendrait tout son sens bien après. Oui, parce que l’autobiographie de Nabe parvient à prendre notre époque à la gorge et à en dresser un tableau apocalyptique, bien qu’il n’en dégage pas toujours les lignes de fuite.
Dans une vidéo récente, Nabe affirme qu’il développera ses thèses dans les tomes ultérieurs. Dans l’avenir, écrit-il, pour comprendre le présent d’antan, il faudra passer par nous. Certes, mais nul ne peut dire si Les Porcs seront lus comme un simple témoignage ou comme un roman visionnaire. En attendant, le lecteur de ce mille-pages suffoque et revit à un rythme trépidant les quinze années écoulées — le point de vue : toujours le vertigineux ego de Nabe, véritable trou noir, calmar géant qui ramène tout à lui, pour broyer, réduire à néant…
Comme dans Requiem pour un massacre, le film défile à l’envers : le Onze septembre, l’entrée en scène du « meyssianisme » conspirationniste, le psychodrame du 21 Avril, la seconde Guerre du Golfe, la capture de Saddam Hussein — selon Nabe, il lisait Crime et Châtiment dans sa caverne.
Ce qui frappe dans l’hyper-présent, c’est que tout se joue désormais à la télévision, dans le tohu-bohu des images, et non plus dans le texte imprimé, ou à la remorque sur l’autoroute de l’information, dans l’éternité d’Internet : l’Internullité.
Pour ma part, j’avais totalement oublié Windows of the world, roman du pubard prognathe Beigbeder, exemple de mièvrerie émocratique qui accumule et mélange les figures convenues de l’imaginaire dominant : enfant-martyr, World Trade Center et chambre à gaz.
Là où Nabe cogne le plus dur, le plus juste, c’est lorsqu’il démonte la cucuterie compassionnelle. Tout le monde en pleure : portrait d’Ardisson en jésuite doublé d’un sadique qui organise des dîners de cons et qui retourne toujours sa chasuble du bon côté.
Que dirait Nabe des médias bruxellois qui pleurnichaient sur les victimes de Dutroux pour mieux culpabiliser et infantiliser les Wallons, pour nous forcer à tourner sur leur carrousel belgicain, comme cette émission de la RTBF où Gino Russo répondait aux questions débiles d’un public… d’enfants.
Le Démon qui s’incarne dans Les Porcs, c’est le conspirationnisme. Nous sommes tous devenus conspis depuis le onze septembre : l’esprit des séries X-Files s’est engouffré dans l’effondrement des tours, « ces deux phallus du capitalisme. Aucun attentat islamiste n’est étonnant, tous ont un sens et souvent le bon. »
Nabe reproche aux conspis de déresponsabiliser Ben Laden, de le réduire à un pantin des services secrets. Or, pour les besoins de sa démonstration, pour mieux humilier l’Occident, Nabe préfère voir en Ben Laden un génie, un résistant « au racisme anti-arabe des Américains. » Ben Laden, l’Arabe errant, l’Antéfric, le kamikaze du futur…
N’est-ce pas aussi une forme de conspirationnisme que d’hyper-personnaliser le terrorisme ? De présenter Ben Laden comme une sorte de Fantômas, de Stavroguine ou de Djinn des Mille et Une Nuits ?
Si l’anti-conspirationnisme de Nabe s’accompagne d’une islamophilie sans limite, il entraîne aussi certaines approximations.
Nabe réduit un peu vite le révisionnisme historique à un conspirationnisme. Faurisson — que Nabe méprise — refuse de se définir comme conspirationniste et de nombreux révisionnistes dénoncent, eux aussi, le conspirationnisme — ce qui ouvre parfois une faille dans leur raisonnement, mais c’est un autre problème.
Le soutien de Nabe à l’islamisme radical ne serait-il pas une stratégie visant à dépasser la dissidence française par la surenchère ? Selon Bourdieu, tout écrivain se définit par un champ de tension, par un territoire symbolique dont il s’assure la maîtrise en s’opposant à d’autres.
En d’autres mots, dès lors que le révisionnisme et le conspirationnisme deviennent la marque de fabrique de la dissidence française, Nabe doit les disqualifier pour mieux affirmer son indépendance au sein du champ qu’il a produit.
À raison, Nabe se voit comme le père d’une génération. « J’ai accouché sans trop pousser de monstres, d’amputés dès l’utérus…»
N’était-il pas là bien avant Soral, Dieudonné, Houellebecq, Angot et tous les autres ? N’est-ce pas lui le Diable de la Licra, l’écrivain qui se fit casser la figure pour antisémitisme médiatique, à la sortie d’Apostrophes ? L’ennemi public numéro un, c’est moi, dit Nabe ! Le dibbouk émissaire !
Cependant, si Nabe rejette le révisionnisme — ce tabou autour duquel tout gravite —, comment prouver qu’il est encore plus rebelle, encore plus outsider, plus dangereux et plus incontrôlable que les autres… sinon par le soutien à l’extrême-islamisme ?< br/>
Entendons-nous bien… Nabe est un grand écrivain, pas un styliste, soucieux de la forme, mais un puncheur à la ligne, soucieux du fond, de toucher le fond, là où ça fait le plus mal, à la recherche de l’hénaurme selon le mot de Flaubert.
Son livre regorge de formules au vitriol, d’épigrammes, de pépites de méchanceté et de jeux de mots atrocement drôles et drôlement atrocitaires. On en sort abasourdi, groggy, comme après un combat contre Mike Tyson.
Toutefois, et c’est la où les jointures blessent, on peut se demander si cette ultra violence narcissique ne constitue pas une fuite en avant, aussi désespérée que le panégyrique de Soral à la Corée du Nord. Lors d’une interview, je me souviens de Nabe déclarant avec sérieux que les terroristes du Bataclan n’auraient pas ouvert le feu dans un concert de jazz. Ils se seraient arrêtés, impressionnés par les saxophones de ces blacks aux joues gonflées… N’importe quoi !
De même, comment peut-on se dire catholique et approuver des gens qui, dans les régions qu’ils occupent au Moyen-Orient, dynamitent tout ce qui rappelle de près ou de loin les traces du Christ ? Certes, le monde moderne, américanisé est haïssable, mais pourquoi le salut viendrait-il d’un camp étranger, hostile, qui se soucie de nous comme de l’an quarante ?
Le projet djihadiste n’est pas qu’une simple vengeance, un retour de manche à balai dans les tours, il comporte aussi un volet théologico-politique — dont il ne se cache pas.
Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis, surtout quand nos ennemis eux-mêmes leur donnent un coup de pouce, à l’occasion — lire à ce sujet le livre de Philippe Baillet : L’autre tiers-mondisme.
Et s’il est toujours dangereux de s’en remettre au nationalisme d’une autre nation, il est encore plus douteux de se fier au Madhi d’une autre religion que la sienne.
Qu’importe de vagues humanités, pourvu que le geste soit beau, s’exclamait Laurent Tailhade après un attentat anarchiste à Paris. C’est un mot d’artiste, par qui le scandale arrive.
Il est très proche de Nabe, le terroriste des Lettres, le pirate de l’air de l’anti-édition qui, tel un kamikaze, envoie ses deux livres 747 — second tome à paraître — dans les tours branlantes des conspirationnistes fous. C’est spectaculaire, discutable et ça fait pas mal de dégâts…
Mais c’est ainsi que Nabe est grand.
Avant-garde rattachiste post-industrielle BLOG BELGE.
17 octobre 2017